Corps de l’article

Cet ouvrage a le mérite d’être tout à fait d’actualité, en plus de porter un regard multidisciplinaire sur un enjeu de société important dans le contexte du vieillissement démographique québécois. Sous la direction de Martine Lagacé, professeure à l’Université d’Ottawa, près d’une vingtaine de chercheurs et de praticiens se penchent sur différentes manifestations d’âgisme au sein de notre société. L’âgisme, tel qu’il est défini par Butler en 1968, est ce processus selon lequel une personne est stéréotypée et discriminée en raison de son âge (p. 2). Cet ouvrage explore donc ce phénomène à travers 13 articles regroupés en trois parties : stéréotypes et figures de l’âgisme : médias, publicité, cinéma et recherche ; figures de l’âge et pratiques âgistes dans la relation de soins ; l’âgisme au travail et ses conséquences. Les auteurs de ce collectif, principalement originaires de la France et du Canada, se sont donc donné un objectif clair : « […] faire comprendre le phénomène de l’âgisme dans différents secteurs de l’activité humaine : le travail, les médias, les sciences, les arts, la santé, l’enseignement, etc. » (p. XV). Ils se sont également donné un second objectif, nettement plus ambitieux celui-là, soit de changer le regard social posé sur les personnes âgées. À défaut de pouvoir donner un compte rendu exhaustif de chacun des articles de cet ouvrage, nous tâcherons de donner un aperçu de la richesse et de la diversité des points de vue abordés.

L’image des vieux[1] dans l’imaginaire collectif

En premier lieu, Jérôme Pellissier, secrétaire de l’Observatoire de l’âgisme en France, s’intéresse aux stéréotypes et aux préjugés véhiculés dans les médias français. Le titre de son article « Âgisme et stéréotypes : quand l’âgisme conduit à la haine de soi et au conflit entre générations » donne tout de suite le ton de son propos. En effet, ce dernier s’attarde à démontrer comment la persistance des préjugés et stéréotypes, notamment dans la presse écrite, a des incidences sur les individus vieillissants en affectant leur estime d’eux-mêmes, participe également à l’omniprésence d’une certaine « phobie du vieillissement » et, ultimement, à une guerre des âges. En second lieu, le chercheur Luc Dupont nous amène, quant à lui, sur le terrain de la publicité et du rôle qu’elle joue dans la persistance des préjugés âgistes. Son article « Sur la représentation du vieillissement dans la publicité » nous permet d’explorer davantage « ce que la publicité raconte sur les gens âgés » (p. 41).

Puis, deux articles étudient la question de l’âgisme à travers le spectre des oeuvres cinématographiques. L’article de Denis Bachand, « Au crépuscule des jours : regards sur la vieillesse dans le cinéma québécois » analyse la personnification de la vieillesse dans sept films québécois, tandis que Florian Grandena s’intéresse aux oeuvres issues du cinéma français. Le second article, « De l’âge du désir : une remise en question de l’asexualisation des aînés dans le cinéma français », en traitant d’oeuvres où des cinéastes ont notamment osé aborder la question de la sexualité des personnes âgées, nous montre qu’« un certain progrès et un changement des mentalités semblent s’effectuer lentement, mais sûrement » (p. 5).

Pour conclure cette première partie sur la construction et la transmission des stéréotypes âgistes, l’article de Jean-Pierre Thouez, intitulé « L’âgisme dans la littérature scientifique : le cas des sciences sociales », nous rappelle qu’aucun domaine de la vie n’est à l’abri des attitudes âgistes et que même le regard des chercheurs sur le vieillissement est teinté des valeurs et préjugés de la société dans laquelle ceux-ci évoluent.

L’image des vieux dans le domaine des soins et de la santé

La deuxième partie de l’ouvrage, Figures de l’âge et pratiques âgistes dans la relation de soins, se penche sur les conséquences des attitudes âgistes et leurs répercussions dans des domaines plus précis, tels que dans la relation d’aide et de soins entre les personnes âgées et les professionnels qui les soignent. Dans le premier article de cette série, « Vieillir : déclin ou changement ? », le chercheur Yves Joannette et ses collègues mettent en relief « les nombreux mythes entourant le vieillissement physiologique, selon lesquels ce processus est associé uniquement, voire exclusivement, à un déclin » (p. 6). Dans le deuxième article, « Quelles attitudes les étudiants universitaires du domaine de la santé entretiennent-ils envers les personnes âgées ? Un état de la question », Jean Vézina passe en revue plus d’une quarantaine de recherches s’étant intéressées à la question des attitudes des futurs professionnels à l’égard des personnes âgées. Sans grande surprise, il semble qu’encore très peu d’étudiants manifestent le souhait de travailler auprès des personnes âgées.

Puis, c’est au tour d’Anne Bourbonnais et de Francine Ducharme, dans leur article « Âgisme et professions d’aide… des paradoxes dans une société vieillissante ? », de mettre de l’avant l’influence de certaines valeurs prédominantes dans notre société, telles que la productivité et l’indépendance, sur le regard et les attitudes des professionnels de la santé à l’égard des aînés. Les auteures font également ressortir qu’à certains égards, « le fait de tenter de montrer des images plus “normales” du vieillissement ne permet pas de réduire les stéréotypes sur les “personnes âgées”, mais ce discours contribue au contraire à accentuer la valeur accordée à la productivité et les craintes face à la dépendance et à la mort » (p. 159).

Par la suite, Bernadette Dallaire et ses collègues, dans leur article « Vieillissement et trouble mental grave : questions de représentations, questions d’intervention », analysent la question de la juxtaposition de différents stigmates, dont celui basé sur l’âge et celui de la maladie mentale. De plus, les auteurs interrogent le regard qui est posé par la société et les professionnels de la santé sur cette partie de la population aînée, en plus de donner un aperçu des services de santé qui leur sont offerts à ce jour. Le lecteur ne sera pas étonné d’y apprendre qu’il existe encore très peu de services adaptés à cette clientèle et qu’il est difficile pour ces aînés de demeurer dans leur communauté. Les auteurs posent également la question de la réadaptation psychosociale adaptée à ce groupe d’âge et tous les défis que celle-ci représente. Finalement, les auteurs réussissent très bien à montrer comment la réalité vécue par ces personnes est « un exemple d’âgisme cumulatif dans lequel l’exclusion associée à une condition stigmatisante et disqualifiante – ici, la maladie mentale – est en quelque sorte amplifiée avec le vieillissement » (p. 190).

Cette deuxième partie est complétée par une contribution d’Hubert Doucet sur l’éthique en matière de soins à apporter aux personnes âgées. Dans son article intitulé, « Soigner les personnes âgées : entre abandon et acharnement », l’auteur propose de « discerner les orientations à privilégier en ce qui concerne les personnes âgées malades dans le contexte de la médecine moderne et de l’organisation actuelle des soins » (p. 200). En mettant en perspective les différentes écoles de pensée qui s’affrontent, notamment sur la question d’établir un critère d’âge à la dispensation de certains soins de santé, l’auteur tente de proposer quelques orientations à privilégier et met de l’avant la dimension de l’accompagnement (p. 200). Cet article est particulièrement éclairant, notamment dans le cadre de la consultation publique qui se tient actuellement sur la scène québécoise concernant la question du « Mourir dans la dignité ».

Les vieux au travail

La troisième et dernière partie de cet ouvrage, l’âgisme au travail et ses conséquences, est consacrée à la question des préjugés reliés à l’âge dans l’une des sphères les plus importantes de nos vies, soit celle du travail. Il nous apparaît infiniment pertinent qu’une partie de cet ouvrage se penche sur cette question, d’autant plus que le milieu de travail est très souvent l’endroit où sont vécues, sur le plan individuel, les premières discriminations âgistes. Il est d’autant plus important d’examiner cette question dans un contexte de pénurie de main-d’oeuvre annoncée. À travers trois articles, les auteurs approfondissent donc cette question sous les angles sociologique, psychologique et économique.

Tout d’abord, Anne-Marie Guillemard, grande spécialiste française de la question des retraites, propose « La discrimination à l’encontre de l’âge dans l’emploi. Une perspective internationale ». C’est donc à travers une comparaison entre l’Europe continentale, les pays scandinaves, l’Amérique du Nord et le Japon que l’auteur montre que la façon d’envisager le vieillissement au travail ne se présente pas de la même façon dans les différentes sociétés. Elle parle alors de différentes « cultures des âges », certaines engendrant davantage d’âgisme en matière d’emploi (p. 221). Cet article expose très clairement le fait que la gestion « par âge » a atteint ses limites et qu’elle ne correspond plus à la réalité de nos « sociétés de longévité » (p. 237).

Puis, l’article « À quand la retraite ? Le paradoxe de l’âgisme au travail dans un contexte de pénurie de main-d’oeuvre », de Martine Lagacé et Francine Tougas, met en lumière l’impact et les conséquences des attitudes âgistes sur l’individu lui-même, le travailleur en l’occurrence. Elles montrent comment ces travailleurs réagissent à ces attitudes en se désengageant progressivement du milieu de travail, que leur estime d’eux-mêmes en est affectée, ce qui peut les inciter à quitter effectivement le milieu du travail de façon prématurée. D’où l’importance de chercher à enrayer la communication âgiste en milieu de travail, notamment en faisant prendre conscience à l’ensemble des travailleurs, à tous les niveaux de hiérarchie, de ce qui peut être véhiculé à travers des commentaires banals du genre : « Puis, à quand la retraite ? »

Finalement, Marcel Mérette, dans son article « Coût de l’âgisme au travail. Une première estimation pour le Canada » cherche à quantifier les coûts de l’âgisme en milieu de travail. En s’intéressant aux sorties anticipées du travail, dans un contexte de pénurie de main-d’oeuvre, il est fort pertinent de démontrer les coûts économiques de l’âgisme au travail, notamment parce que « la participation des personnes plus âgées au marché du travail pourrait devenir essentielle à une bonne performance économique » (p. 263).

Pour conclure

Au terme de cette lecture, nous sommes en mesure de saluer l’excellente et très pertinente contribution de l’ensemble des auteurs de ce collectif. En effet, l’ouvrage est notamment intéressant pour son propos d’actualité. Bien que l’âgisme ne soit pas un phénomène nouveau et qu’il se soit manifesté de différentes manières à travers l’histoire de l’humanité[2], le vieillissement accéléré de la population dans la plupart des pays occidentaux le remet à l’avant-scène. Une autre des grandes qualités de cet ouvrage se trouve aussi dans les différents points de vue qu’il apporte sur la question de l’âgisme. En ce sens, les différentes contributions pourront trouver écho auprès de chercheurs et d’étudiants de différentes disciplines, mais aussi auprès de professionnels du milieu de la gérontologie ou de la gériatrie, de bénévoles qui travaillent auprès des aînés, et auprès des aînés eux-mêmes. Il est à souligner également que la perspective française est tout à fait en phase avec la réalité québécoise et que, par conséquent, les contributions des auteurs français apportent une valeur ajoutée à l’ensemble de l’ouvrage.

Nous exprimerons un seul bémol… Le titre de l’ouvrage laissait présager qu’il serait également question de pistes de réflexion sur la manière de « changer » le regard social sur le vieillissement. À cet égard, nous sommes un peu restée sur notre faim. Bien entendu, l’objectif était ambitieux… et comme le note avec justesse la directrice de l’ouvrage, « […] constater, sans détour, que si le regard actuel sur les aînés est trop souvent teinté de fausses croyances et de préjugés, la démarche même de faire une telle constatation peut constituer le premier pas pour changer ce regard » (p. 2). Un premier pas, certes, mais la formulation de pistes d’action aurait permis de faire un pas supplémentaire dans la transformation de ce regard social sur le renouvellement du vieillissement.