Corps de l’article

Je ferai quelques remarques en réponse à l’article de M. Lachapelle. La première concerne le fait qu’il a présenté ce que j’appellerais l’histoire dominante du secteur communautaire et des CLSC au Québec. Celle-ci décrit la progression qui s’effectue du mouvement et des groupes d’opposition à la professionnalisation, l’offre de services, l’organisation par secteur/région et, finalement, à une plus grande reconnaissance par le gouvernement et le financement régulier, etc. Je suis d’accord avec cette vision, mais elle est cependant incomplète. Sa description correspond à ce que j’appelle le courant dominant des organisations communautaires. Il y a d’autres organisations qui ne sont pas représentées dans cette histoire ; c’est le cas des autochtones ainsi que de plusieurs groupes d’immigrants récents qui ne font pas partie des structures importantes et qui peuvent ne pas se sentir capables, pour une foule de raisons, d’y participer. Il y a également des groupes qui travaillent au plan local qui refusent d’adhérer à ces structures, parce que leurs membres croient que leurs politiques seraient alors compromises. Ce sont des groupes liés aux mouvements sociaux qui ne courent pas après le financement de l’État et qui choisissent de rester dans les marges. L’histoire du secteur communautaire du Québec de Lachapelle doit donc être comprise comme la perspective d’un initié, et elle n’est aucunement représentative de l’ensemble.

De plus, une analyse plus rigoureuse est nécessaire concernant le rôle de complice du secteur communautaire dans la transition vers le néolibéralisme. Le gouvernement péquiste a inscrit intentionnellement la province de Québec dans la ligne du paradigme dominant axé sur le marché. Celui-ci avait sa propre stratégie qui n’était pas unique. Le développement de l’économie sociale et la participation de certains représentants de la communauté à des Sommets économiques faisaient partie de ce déplacement des responsabilités du gouvernement provincial au plan local. Oui, certaines parties du secteur communautaire en ont bénéficié, mais cette politique a également réduit leurs mandats et restructuré leurs orientations, sans remettre en question de quelque manière que ce soit les plus grands changements socioéconomiques. Ceux-ci participaient à la libération du marché de ses contraintes, donnant la priorité à l’emploi sur l’aide sociale, peu importe l’emploi, et redéfinissant la responsabilité du développement social. Le virage vers l’économie sociale en est l’exemple le plus frappant. Cela ne veut pas dire que toute opposition soit disparue. Quelques organisations qui travaillent dans le domaine de l’économie sociale croient que leur mandat premier est de contester l’ordre établi, mais elles ne forment qu’une minorité et, en fait, elles desservent leur propre intérêt. L’économie sociale et la reconnaissance du secteur communautaire ne devraient pas être portées aux nues sans une sérieuse autocritique et une analyse de leurs contextes ainsi que des transformations qui y sont liées.

Finalement, je suis d’accord avec certaines pistes que propose Lachapelle à la fin de son article. La question est de savoir comment y arriver et s’il est même possible d’y parvenir, étant donné le haut niveau de structure, la professionnalisation et l’orientation vers l’offre de services. Peut-être que le premier pas à faire est de reconnaître que le développement du secteur communautaire au Québec n’a pas jusqu’à maintenant été un succès complet et une histoire de progrès. Il est temps de penser que l’actuelle organisation des citoyens pour qu’ils deviennent les acteurs de leurs propres batailles pour la justice sociale exige plus que simplement réorganiser et redéfinir la relation financière à l’État ; elle exige des politiques et des pratiques différentes. L’autonomie par rapport à l’État et au financement en est le point de départ, et former une grande opposition de la base en est le but, mouvement qui, cette fois, ne sera pas financé par le gouvernement !