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Introduction

Une question persistante dans les débats théoriques sur l’intersectionnalité concerne les liens entre les rapports sociaux de pouvoir ou les systèmes de domination : faut-il les penser comme intégralement co-construits ou dotés d’une certaine autonomie? Cette question « purement théorique » contient certes le risque d’enfermer l’intersectionnalité dans des polémiques abstraites entre académiciens qui l’éloignent aussi de sa visée activiste : la transformation de l’ordre social inégalitaire et non seulement sa compréhension. Or, en conceptualisant l’intersectionnalité comme praxis – soit un engagement normatif dans la mise en oeuvre des idées et idéaux intersectionnels de justice sociale en recherche, enseignement, activisme et advocacy (Townsend-Bell, 2010; Phoenix et Pattynama, 2006), on peut poursuivre le travail théorique au-delà de l’opposition binaire théorie / pratique et en l’intégrant aux luttes progressives.

Pour ce faire, il importe de ne pas voir l’intersectionnalité comme une théorie unifiée du pouvoir, mais bien comme un ensemble d’approches hétéroclites qui comprennent l’inégalité sociale comme résultante d’une articulation complexe d’une série d’opérateurs de pouvoir dotés de spécificités géohistoriques, donc non universels. Ces opérateurs de pouvoir peuvent être abordés comme des catégories (race, classe, genre, etc.), des processus ou des systèmes (racialisation, racisme, capitalisme, patriarcat, hétéronormativité, etc.). Au-delà du simple constat de leur multiplicité, les approches intersectionnelles s’efforcent d’expliquer leurs corrélations, idéalement de façon située et historicisée. Il en ressort une pluralité théorique et conceptuelle dont il convient de souligner les nuances et différences. Sous le chapiteau totalisant du vocable intersectionnalité, on retrouve ainsi d’autres termes tels que co-formation, co-constitution, imbrication, emboîtement, assemblages, co-extensivité et articulation. L’objectif de cet article n’étant pas de passer en revue ces différents termes, je m’attacherai à approfondir la question théorique de mise en lien des différents opérateurs de pouvoir et à le faire de la manière la plus pertinente possible pour les luttes de justice sociale. À cette fin, je m’appuierai sur une figure emblématique des études culturelles et postcoloniales britanniques, Stuart Hall, dont l’oeuvre, sans s’inscrire dans le champ des études intersectionnelles, partage avec celui-ci certaines questions fondamentales. Cofondateur de la New Left Review et intellectuel engagé dans l’arène publique [2], Hall garda, de son propre aveu, une relation stratégique avec la théorie plutôt que d’en faire une profession; il préféra intervenir à chaud par ses essais plutôt que de composer le grand livre théorique – « Stuart Hall’s Theory of Everything » (Scott, 2005 : 3). Caractérisée par une grande sensibilité historique, sa pensée se focalise sur une compréhension critique de la conjoncture que Hall attribue au travail intellectuel collectif du Centre for the Contemporary Cultural Studies (CCCS). Pour Hall, c’est au niveau de la conjoncture que le savoir peut être articulé de la façon la plus utile et concrète aux luttes et aux possibilités politiques. D’ailleurs, ce sont les mouvements qui provoquent des moments théoriques et non le contraire : « les conjonctures historiques réclament des théories » (Hall dans Grossberg, 2007 : traduction libre). Cette conception permet de rattacher le moment théorique de l’intersectionnalité à une conjoncture historique distincte et à son articulation initiale à l’intérieur des mouvements, des luttes féministes noires.

Il en ressort un premier intérêt de la pensée de Stuart Hall pour l’intersectionnalité. Celui-ci ne réside pas seulement dans la richesse de la conversation théorique que sa pensée permet de générer, mais aussi dans un meilleur arrimage de l’intersectionnalité à la conjoncture et aux luttes politiques progressives. À une époque comme la nôtre, marquée par d’importantes vagues de protestations de masse pour la justice économique, sociale et environnementale [3], remettre l’intersectionnalité au diapason de grandes questions sociales s’avère d’autant plus pressant. L’intersectionnalité a un important rôle à y jouer, non seulement comme cadre d’analyse et d’action critiques, mais aussi pour son potentiel de développement d’une éthique de collaborations non oppressives entre ces divers mouvements progressistes [4]. La pensée de Hall s’avère porteuse sur ce plan-là également, comme elle prône une politique d’identité vécue dans et par la différence qui ne chercherait plus à fédérer les différences sous un toit politique unique afin de mener ses luttes (Mills, 2007). S’engager dans une éthique de collaboration non oppressive requiert une remise en cause de l’inclusion, quand l’autre, le différent, est appelé à venir se joindre à nous, selon les termes établis par nous (Bilge, 2013). La volonté d’inclure l’autre, ou de fédérer les différences sous un même toit politique, dissimule certains enjeux de pouvoir comme le maintien des privilèges, l’autonomie politique des mouvements minoritaires, etc. Se distanciant des actes d’inclusion qui font place aux dominés à l’intérieur des cadres établis par les dominants, l’éthique intersectionnelle de politiques de coalition entre divers mouvements de justice sociale est attentive aux disparités structurelles dans le positionnement social des uns établissant les termes du débat, et des autres invités à s’y joindre. Ces derniers sont invités à parler « en qualité d’autres », dont la seule présence est censée prouver le caractère « inclusif » du mouvement, ainsi diversifié, de même qu’à « représenter leur communauté », faire un pont entre celle-ci et le mouvement. Or, la question du fardeau de l’alliance est rarement posée. Qui est appelé à joindre le mouvement de qui? Qui construit quel pont sur le dos de qui? [5] Ces questions politiques ne sont pas sans rapport avec la question théorique concernant la mise en lien des différents opérateurs de pouvoir – le noeud gordien théorique de l’intersectionnalité – comme certaines conceptions s’avèrent plus porteuses que d’autres pour le développement des lignes d’action politiques les plus à même de soutenir les coalitions intersectionnelles non oppressives.

Le noeud gordien des relations entre les opérateurs de pouvoir

La littérature intersectionnelle n’est pas consensuelle et ne propose pas de réponse uniforme à la question théorique de la relation entre les différents opérateurs de pouvoir. Parmi les points qui y font débat, on notera en particulier la question de l’autonomie relative, ou non, des rapports sociaux de race, de classe, de genre, etc. les uns par rapport aux autres, et celle visant à savoir si l’on peut, ou doit, accorder un plus grand poids explicatif à l’un d’entre eux et, si oui, selon quels critères (Weldon, 2006; Bilge, 2009, 2010). Cette pluralité du débat émane en partie de la pluralité de l’objet qui se pense à travers la notion de co-constitution. Ainsi, selon les cas, cet objet peut se référer aux identités, aux catégories de différence, aux processus de différenciation ou encore aux systèmes de domination (Dhamoon, 2011) ou à plusieurs entre eux. Si cette diversité de l’objet intersectionnel, qui se prête à l’analyse à la fois au registre des identités, des catégories, des processus et des systèmes, est certes une richesse, le fait qu’un pan de la littérature recourt à la notion de co-constitution comme une simple formule, n’apportant peu ou pas d’éclairage ontologique ou épistémologique, constitue une faiblesse indéniable. Aussi il arrive que l’idée de co-constitution soit comprise et déployée de façon quelque peu dogmatique, délégitimant tout exercice intellectuel de dissociation, fut-il justifié sur le plan analytique, pédagogique ou activiste. Contrairement aux approches qui voient la dissociation comme une anti-intersectionnalité et confondent des pratiques de dissociation n’instaurant aucune hiérarchie idéologique entre les dominations avec celles établissant des hiérarchies stables entre une domination considérée principale et celles rendues dérivatives, la perspective que je défends demeure attentive aux différents enjeux liés à la question de la dissociation et évite tout dogmatisme.

En tant que stratégie pédagogique, la dissociation peut s’avérer nécessaire. Comme nous l’explique Rachel Luft (2009), dans une classe majoritairement blanche, la conscientisation critique vis-à-vis du privilège racial, la blanchité, qui passe autrement inaperçue, peut amener l’enseignant.e à opter pour un abandon stratégique et temporaire de l’intersectionnalité afin d’isoler, de dissocier artificiellement la race. Il ne s’agit pas là d’une posture anti-intersectionnelle, mais d’un renoncement stratégique temporaire à l’intersectionnalité à des fins pédagogiques. Cela se justifie d’autant plus que notre conjoncture est marquée par le déni généralisé de la pérennité sociale de la race, en diapason avec l’hégémonie contemporaine du mythe de la société postraciale où le racisme appartiendrait au passé, l’oeuvre de quelques individus mal ajustés et non un phénomène structurel. Une introduction intempestive, car trop précoce, de la notion de l’intersectionnalité dans l’enseignement peut très bien devenir, malgré les meilleures intentions, un moyen de se détourner du racisme, ouvrant ainsi la voie à la déflexion par un mésusage des questions du type « oui, mais qu’en est-il des femmes / des homosexuels / des pauvres / des handicapés? » – autant de façons d’esquiver la pérennité du racisme structurel et des processus contemporains de racialisation.

Sur le plan politique, l’injonction à l’intersectionnalité faite par les majoritaires peut délégitimer le droit des mouvements minoritaires de décider leurs priorités de lutte et stratégies d’action – c’est dans ce sens que Houria Bouteldja (2013), porte-parole du Parti des Indigènes de la République, invoque la légitimité et l’urgence d’articuler la race avec la race dans le contexte d’oppression raciste en France.

Sur le plan théorique, face au déni de la signification sociale de la race dans les formations sociales (économiques, politiques, idéologiques) contemporaines et de la pérennité du racisme dans les institutions, une démarche analytique dissociée pourrait s’imposer. Loin de renoncer à l’intersectionnalité, celle-ci vise à ajuster l’intersectionnalité à la conjoncture qui efface la race parfois sous couvert d’intersectionnalité, et à l’articuler de la façon la plus utile aux luttes sociales. C’est entre autres dans ce sens-là que j’interprète la proposition de Patricia Hill Collins, une figure clé de la pensée black féministe intersectionnelle, d’analyser distinctement les dynamiques du racisme – analyse pouvant servir de gabarit pour penser d’autres systèmes de pouvoir.

Understanding the dynamics of racism as a system of power in a theoretical way sets the stage for developing pragmatic strategies for practicing resistance and catalyzing change. I want to map out how we might think about racism as a system of power […] [and] present a critical analysis of racism as a system of power that serves as a template for thinking through other similar systems (for example, gender, sexuality, ethnicity, religion, class, age, and ability)

Collins, 2009: 44-45

Voir dans ces dissociations un manquement à l’esprit et à la lettre de l’intersectionnalité nous empêche d’en saisir la signification et l’utilité dans toute leur variété – pédagogique, activiste, théorique. Par ailleurs, si la dissociation des opérateurs de pouvoir empiriquement emboîtés les uns dans les autres s’avère surtout une stratégie d’intervention pédagogique, politique ou théorique justifiée par les besoins contextuels, elle permet aussi d’approfondir l’analyse sur la question des particularités propres des phénomènes. L’attention accordée à la « co-constitution » des rapports sociaux ne doit pas faire perdre de vue leur irréductibilité ontologique et leur spécificité historique [6]. Une perspective intégrée des analyses dissociées, tenant compte à la fois de l’irréductibilité et de la spécificité des rapports co-constitutifs au sein d’une unité différenciée – perspective à laquelle la pensée de Hall a beaucoup à offrir – permet ainsi de dépasser le « plateau » théorique où semble stagner l’intersectionnalité sur ces questions. Cette stagnation émane entre autres d’une tendance à renoncer à la théorisation des processus de différenciation sociale à la fois dans leur irréductibilité et leur indissociabilité, à laisser leurs interconnexions comme une question ouverte à faire émerger empiriquement (Hancock, 2007). Or, si l’explication intersectionnelle doit toujours être contextualisée et historicisée, elle ne peut pas pour autant se limiter à illustrer les imbrications par des instances historiques concrètes (Acker, 2006); elle se doit de pousser la théorisation de la co-formation des catégories / processus / systèmes de pouvoir. Ainsi, si l’idée que ces relations de pouvoir formant le tout social sont à la fois indissociables (principe de co-constitution) et irréductibles (principe de non-équivalence) est généralement admise dans la littérature, encore faut-il pouvoir les expliquer dans une pensée théorique cohérente. Pour cela, nul besoin de retour aux préjugés idéologiques instaurant des hiérarchies fixes entre un rapport principal (capitalisme, patriarcat ou racisme) et les rapports secondaires, dérivatifs, pas plus que de refus de théoriser ces relations en renvoyant le tout au travail empirique. Il n’est pas dans mon propos de sous-estimer l’importance des connaissances empiriques, mais de souligner la nécessité de poursuivre le travail théorique de mise en lien des rapports sociaux. Il ne s’agit ni de régler a priori et une fois pour toutes cette question de façon théorique (déterminisme théorique), ni de renoncer à la théorie en laissant tout au terrain, à la contingence contextuelle (absolutisme empirique), mais de forger une troisième position qui permet de théoriser le contexte dans le cadre d’une pensée intersectionnelle.

L'intersectionnalité comme pont entre déterminisme et contingence?

Pour mener la réflexion théorique sur l’interconnexion des rapports de pouvoir composant l’architecture sociale – architecture que je pense à l’aide de certaines notions althussériennes revues et parfois corrigées par Hall telles que « l’unité du tout complexe » ou « l’unité différenciée à dominante » (Althusser, 1965; Hall, 2013[1980]), j’ajoute un troisième principe aux deux susmentionnés (principes de co-constitution et de non-équivalence) : il s’agit du principe marxiste bien connu (mais sans doute jugé obsolète par plusieurs) de la spécificité historique qui postule que chaque formation sociale doit être analysée de manière indépendante afin de dégager ses lois spécifiques d’émergence et de déploiement – ce qui n’est pas sans rappeler la dissociation analytique des rapports empiriquement indissociables. Parce qu’il tient compte des ontologies distinctes et particularités historiques de chaque formation sociale (Anthias et Yuval-Davis, 1992; Juteau, 1994), il permet d’éviter le réductionnisme et l’écueil de la standardisation et l’aplanissement des différences (race, classe, genre, etc.).

Le recours à ce principe n’est pas antithétique avec la pensée intersectionnelle dans la mesure où celle-ci fait cohabiter en son sein deux principaux courants des théories critiques sociales : le matérialisme et le post-structuralisme. Si cette cohabitation n’est pas sans tension, considérant que « d’importants clivages théoriques s’alignent le long de ces deux traditions de pensée et alimentent les discussions ontologiques et épistémologiques » (Bilge, 2009 : 72), elle ouvre aussi des possibilités en incitant certains à travailler ces tensions de manière créatrice, à emprunter simultanément aux deux courants – un trait distinctif de la pensée de Stuart Hall.

La manière créatrice dont la pensée de Hall travaille cette tension entre le matérialisme et le poststructuralisme constitue un potentiel pour l’affinement théorique de l’intersectionnalité. Évitant le double écueil du dogmatisme théorique et de l’absolutisme empirique, sa pensée permet le développement au sein même de l’intersectionnalité d’une théorie de la contingence et de la conjoncture. Je dégage dans ce qui suit les grandes lignes de son approche qui rassemble de manière créative et audacieuse des perspectives vues d’habitude irréconciliables – approche qui a un fort potentiel pour l’intersectionnalité. Il convient toutefois de souligner que cette mise en conversation n’entend nullement opérer un recalibrage généalogique de l’intersectionnalité, une réécriture de son histoire. Contrairement à certains écrits féministes blancs, qui font par exemple d’Alexandra Kollontaï une figure clé de l’intersectionnalité et décentrent le rôle central joué par le féminisme black et la question raciale [7], je ne fais pas de Stuart Hall un pionnier de l’intersectionnalité, comme certains ont pu le soutenir (Lindner, 2012). Je m’attèle à dégager des lignes de tension et de convergence entre la pensée hallienne et l’intersectionnalité sans chercher à dissoudre l’une dans l’autre [8]. Qui plus est, l’annexion de toute une gamme de cadres théoriques et analytiques traitant des liens entre les rapports sociaux sous une seule bannière (intersectionnalité ou autre) ne rend pas justice à la diversité et à l’originalité des travaux qui ont d’autres ancrages généalogiques, d’autres vocabulaires, et oblitère les tensions et les dissensions qui sont riches en enseignement et potentialités.

De la pertinence de Hall pour l’intersectionnalité

Ayant proposé au début une conception de l’intersectionnalité comme praxis, au-delà du binarisme théorie / activisme, je traiterai d’abord de ce que la pensée de Hall a à offrir à ce chapitre. Hall est un intellectuel engagé dont il n’est guère aisé de distinguer le travail politique du travail proprement scientifique, et ce d’autant plus qu’en tant qu’intellectuel, il s’est constitué aussi contre ce type de clivages (Mattelart et Neveu, 1996). Hall se défend d’être un théoricien pur et insiste sur sa « relation stratégique à la théorie » [9], même si d’autres le voient comme un éminent théoricien [10].

La manière hallienne de concevoir la théorie est féconde pour la nécessaire réaffirmation de l’intersectionnalité comme praxis engagée dans la justice sociale – un aspect primordial pourtant perdu de vue dans l’académisme ambiant des débats de plus en plus abstraits et désintéressés des effets concrets de l’intersectionnalité (Bilge, 2013). L’attachement de Hall au monde concret et au combat contre l’inégalité sert de garde-fou contre les excès d’un « tout discursif » postmoderne. Tout en se servant d’un appareillage conceptuel poststructuraliste, incluant les notions de circularité du pouvoir (Foucault), de différance (Derrida), etc., Hall n’hésite pas à en problématiser les limites pour une théorie / praxis de l’inégalité :

Si l’on se penche par exemple sur la théorie du discours […] – sur le poststructuralisme ou sur Foucault –, non seulement on observe le passage de la pratique au discours, mais on voit aussi que la différence – la pluralité des discours, le glissement perpétuel du sens, la dérive sans fin du signifiant – est poussée bien au-delà du point où elle est en mesure de théoriser l’inégalité nécessaire d’une unité complexe, voir « l’unité dans la différence » d’une structure complexe.

2012[1985] : 133

Son adhésion circonspecte et conditionnelle aux idées poststructuralistes et sa liberté de pensée qui ne s’excuse pas de son syncrétisme théorique [11] font de Hall un penseur difficile à classer : ni un marxiste orthodoxe, ni un poststructuraliste orthodoxe – si tant est qu’une telle appellation n’est pas en soi un oxymore (Mills, 2007). Cet imaginaire théorique et politique d’exception (hors classe) est riche en enseignement pour sortir d’une vision « soit / soit » qui semble dominer la littérature intersectionnelle dans sa manière de penser la relation entre l’intersectionnalité et le postmodernisme / poststructuralisme. En effet, l’intersectionnalité est soit rattachée au postmodernisme, soit y est opposée; dans les deux cas, la proposition est sans appel et tombe parfois dans la caricature du camp adverse (voire également une autocaricature). Par exemple, Catherine MacKinnon soutient qu’il n’y a aucun.e praticien.ne véritablement postmoderne de la théorie de l’intersectionnalité, qui repose sur une observation constante et vigoureuse de la réalité, alors que le postmodernisme est une illusion qui défait la réalité (2013 : 1020). L’imaginaire théorique de Hall, avec son éclectisme assumé, permet de dépasser ces clivages stériles, et d’envisager, au-delà d’une filiation non problématique ou d’absence de toute filiation, une relation trouble entre intersectionnalité et postmodernisme.

L’approche de Hall problématise les certitudes théoriques et évite les deux « excès » – celui d’un postmodernisme qui ne voit rien que le discursif, et celui d’un marxisme classique qui ne jure que par le déterminisme économique :

[...] the fully discursive position is a reductionism upward, rather than a reductionism downward, as economism was […]. We can’t be materialists in that way any longer. But I do think that we are still required to think about the way in which ideological / cultural / discursive practices continue to exist within the determining lines of force of material relations […]. Material conditions are the necessary but not sufficient condition of all historical practice

Hall dans Mills, 2007 : n / p

Sur l’objet théorique des connexions entre les rapports sociaux formant l’architecture sociale, la perspective hallienne s’avère féconde dans son évitement des écueils du marxisme et du poststructuralisme qui se sont tous les deux penchés sur cette question. Hall développe un paradigme de « non nécessaire correspondance » entre les instances constitutives du tout social (lequel renvoie dans le marxisme classique à la métaphore base / superstructure [12]), qui est sa réponse à l’impasse causée par la certitude marxiste de « nécessaire correspondance » et la certitude poststructuraliste de « nécessaire non-correspondance ». J’y reviendrai.

La pensée de Hall est marquée par une double réticence : à l’égard du marxisme et du poststructuralisme, alors même que plusieurs penseurs de ces courants figurent parmi ses sources d’influence. Sa pensée exprime aussi une transformation, qui n’est peut-être pas surprenante au cours d’une si longue et fructueuse carrière, mais qui est source de contentieux. Le fait que ses anciens écrits soient plus proches du marxisme et les plus récents plus proches du poststructuralisme ne fait pas le bonheur de tous [13]. Toutefois, il importe d’éviter de cloisonner sa pensée dans une périodicité linéaire, car celle-ci ne cesse de travailler la tension entre le structurel et le culturel / discursif, et que pendant la dernière décennie de sa vie, Hall n’a pas cessé de confronter l’oubli de l’économie politique dans les études culturelles. La pertinence de Hall pour l’étude de l’intersectionnalité réside, selon moi, autant dans ses travaux plutôt marxistes, avec pour références clés les Althusser et Gramsci abordés ici, que dans ceux se rapprochant du poststructuralisme. J’avance, avec prudence, que c’est « Hall plutôt marxiste » qui est plus à même de contribuer au noeud théorique des liens entre les rapports sociaux, et c’est « Hall poststructuralisant », sans pour autant sacrifier les enjeux politiques à l’autel anti-essentialiste, qui offre un plus grand potentiel pour les politiques de coalitions intersectionnelles – question qui n’est pas abordée ici. Ma répartition, aussi prudente et provisoire fût-elle, doit être nuancée par le fait que c’est la tension permanente entre ces deux sources d’influence qui constitue la formidable originalité de sa pensée. Il ne faut donc pas voir ma proposition comme un effort de trancher sa pensée, de la classer dans l’une ou l’autre case selon les périodes. Sa troisième position, ni vraiment marxiste, ni vraiment poststructuraliste, est une « politique sans garantie » que Hall se plaît à qualifier de « marxisme sans garantie » (1996). In fine, le potentiel d’un dialogue fécond entre l’intersectionnalité et l’oeuvre de Hall me paraît dépendre de notre aise avec le malaise que crée une pensée mécréante, car inclassable.

L’articulation « sans garantie » comme troisième voie théorique

Hall façonne sa troisième voie en réaction à l’idée marxiste d’une relation automatique entre les classes et leurs idéologies qui serait garantie par la détermination économique. Il confronte cette idée en utilisant deux auteurs marxistes qui ont oeuvré dans une direction non réductionniste, mais différemment : Althusser et Gramsci.

L’oeuvre de Gramsci revêt une grande importance pour Hall et lui fournit des concepts cruciaux comme l’hégémonie, le bloc historique ou la guerre de position versus la guerre de mouvement. Il utilise aussi Gramsci pour repenser la notion d'idéologie, que ce dernier comprend comme étant composite, pénétrée par le sens commun et les croyances populaires, et complexe – loin de la « fausse conscience » du marxisme orthodoxe; il parle des « consciences contradictoires » (Hall, 1986; Mills, 2007).

Hall met en tension Gramsci avec le structuralisme althussérien qui lui avait déjà [14] fourni certains concepts comme l’autonomie relative, la surdétermination et la structure articulée à dominante [15], lesquels se rattachent au marxisme, mais aussi la notion d’interpellation [16], qui présage des orientations futures vers les subjectivités poststructuralistes. C’est une véritable lecture croisée que Hall entreprend à travers ces deux auteurs pour forger un paradigme marxiste contre-réductionniste qui rend compte de la spécificité historique d’une formation sociale comme une idéologie articulée aux autres formations sociales, tout en maintenant le lien « nécessaire, mais non suffisant » aux structures économiques (Mills, 2007).

Hall reprend d’Althusser l’important bémol qu’il apporte à la pensée marxiste sur la relation base / superstructure et la place de l’idéologie par son concept de surdétermination [17] qui permet d’en remédier certaines carences. Il convient de s’attarder sur les concepts althussériens de surdétermination et de « structure à dominante », qui sont parmi des pièces maitresses de l’apport de Hall à la théorisation des liens entre les rapports de pouvoir.

Pour Althusser (1965), la conception marxiste du « tout social » constitue déjà une pensée révolutionnaire par rapport à la totalité hégélienne. Reprenant les prémisses du matérialisme historique, il résume de façon fort claire la vision marxiste :

Marx conçoit la structure de toute société comme constituée par les « niveaux » ou « instances », articulés par une détermination spécifique : « l’infrastructure » ou base économique (« unité » des forces productives et des rapports de production), et la « superstructure », qui comporte elle-même deux « niveaux » ou « instances » : le juridico-politique (le droit et l’État) et l’idéologie (les différentes idéologies, religieuses, morales, juridiques, politiques, etc.) 

Althusser, 1976 : n / p

Or, là où le marxisme classique voit une détermination spécifique, celle de l’économique sur le reste, Althusser conceptualise plusieurs déterminations et envisage l’autonomie relative des différentes instances de la superstructure les unes par rapport aux autres et dans leur relation à la base, tout en affirmant que cette dernière (l’économique) détermine « en dernière instance ». Aussitôt énoncée, il relativise cette idée de « en dernière instance », souvent citée hors contexte, par une proposition plus nuancée. Après avoir postulé l’existence d’un rapport de « détermination en dernière instance, par l’économique », Althusser se presse d’ajouter quelques lignes plus loin : « Ni au premier instant ni au dernier instant, l’heure solitaire de la “dernière instance” ne sonne jamais » (1996 [1965], 112-113). Que peut bien signifier cette invocation aussitôt révoquée? On peut penser, suivant Yoshiyuki, que la théorie althussérienne des années 1960 présage l’arrivée d’un « matérialisme aléatoire, qui met l’accent sur la contingence politique » (2007 : 219). Pour Yoshiyuki, à partir du moment où Althusser se met à réécrire sa thèse de la détermination en dernière instance, en 1972, « il ne cessera de méditer, au sein du champ politique, sur le devenir structural dans le décalage entre le nécessaire à actualiser et l’aléatoire imprévisible, autrement dit, dans la nécessité de la contingence » (2007 : 219).

Hall ira plus loin qu’Althusser dans la saisie du contingent. Dans un article qui fait date [18] tant est son apport à une relecture des concepts marxistes d’idéologie et de détermination, Hall s’attache à sauver la détermination d’une clôture définitive qu’implique la notoire « détermination en dernière instance », du moins dans sa réception dominante; ce faisant, il ouvre un espace d’opération pour la contingence (Scott, 2005 : 5). L’idée althussérienne de « dernière instance » est selon Hall « le dernier reposoir d’un rêve perdu ou d’une illusion de certitude théorique » (1983 : 83). La structure des pratiques sociales, soit l’ensemble, serait ainsi :

[…] ni libre-flottant, ni immatérielle. Pas plus qu’elle n’est une structure transitive dont l’intelligibilité réside exclusivement dans une transmission ascendante unidirectionnelle des effets, de la base vers le haut. L’économique ne peut pas effectuer une clôture finale dans le domaine de l’idéologie, au sens strict de toujours garantir un résultat. Il ne peut pas toujours sécuriser une suite particulière de correspondances ou toujours fournir des modes particuliers de raisonnement propres aux classes particulières en fonction de leur place dans le système

1983 : 84, ma traduction

Point significatif : c’est en adoptant une vision proche de l’intersectionnalité que Hall parvient à sauver la question de détermination (« determinancy ») tant de la fermeture définitive marxiste que de l’invalidation sans appel poststructuraliste. Il le fait en pensant en termes de co-détermination ou de déterminations mutuelles que nous verrons plus loin.

L’attention que Hall porte à la contingence, qui est aussi théorique, n’est pas un travail intellectuel individuel, mais mené collectivement au sein du CCCS. Ce souci partagé de diagnostiquer la conjoncture émerge comme une réponse aux conditions de crise, de rupture et de contradiction, et s’appuie sur « un Gramsci radicalement conjoncturaliste » (Grossberg, 2007). Hall désignera rétrospectivement cette compréhension critique de la conjoncture comme le projet intellectuel par excellence du champ des cultural studies tel que compris et pratiqué au CCCS [19]. Il ressortira de ce travail collectif, dont Hall fut le pivot, un nouveau modèle d’études culturelles, avec des outils conceptuels judicieux, comme la distinction entre contexte et conjoncture.

Le contexte est entendu comme une unité complexe, surdéterminée et contingente, alors que la conjoncture, est plus qu’un simple contexte :

mais une articulation, une accumulation ou une condensation d’une contradiction […] une formation sociale fracturée et conflictuelle au long des axes, des plans et des échelles multiples, en quête constante d’équilibres temporaires ou stabilités structurelles par le biais d’une variété de pratiques et de processus de luttes et de négociation

Grossberg, 2007 : n / p, ma traduction

Cette distinction entre contexte et conjoncture est une étape importante dans l’élaboration par Hall d’une théorie de l’articulation, qui représente un des aspects les plus féconds de sa pensée pour l’intersectionnalité.

Si par moments Hall utilise le terme articulation d’une façon typique de l’intersectionnalité, c’est-à-dire pour parler des imbrications de race / classe / genre, etc., comme illustre cet extrait : « […] les questions centrales de la race sont toujours apparues historiquement en articulation, en formation avec d’autres catégories et divisions, et qu’elles n’ont jamais cessé de croiser et recroiser les catégories de classe, de genre et d’ethnicité » (Hall, 2007 : 207), il serait faux de penser que sa théorie d’articulation entend conceptualiser directement l’intersectionnalité, ou expliquer comment la race apparaît en formation avec d’autres catégories. Il est vrai que dans le court extrait cité, l’idée intersectionnelle de co-formation ou « formation avec » est centrale et dépasse le niveau de croisements synchroniques des catégories socialement significatives. Cette congruence rend tentante la lecture de sa théorie comme étant intersectionnelle, comme ayant été conçue pour penser les intersections de race, de classe, de genre, etc. Et pourtant, la visée principale de sa théorie d’articulation est l’approfondissement de la surdétermination althussérienne; elle traite donc de l’articulation de différentes instances juridique, politique, idéologique et économique, et non des imbrications race / classe / genre. Elle cherche à mieux concevoir comment les différentes instances (économique [20], juridico-politique, idéologique) d’une formation sociale peuvent s’articuler pour former une unité complexe, différenciée, une « structure à dominante » sous certaines conditions, sans qu’il n’y ait une garantie quelconque de cette articulation ou non-articulation.

Cette absence de garantie est le point crucial de sa troisième position et la démarque tant de l’articulation garantie marxiste (« nécessaire correspondance ») que de la non-articulation garantie poststructuraliste (« nécessaire non-correspondance »). Sa troisième voie en est une sans garantie de correspondance ni de non-correspondance entre différentes instances d’une formation sociale, différentes pratiques en son sein. Cette « politique sans garantie », Hall la résume comme une « non nécessaire correspondance » (2012 : 135-136).

Cette position théorique est prometteuse pour dépasser certaines impasses ou positions polarisées des débats théoriques intersectionnels, notamment sur la question de co-constitution (si ces relations de constitution mutuelle sont symétriques, sinon comment théoriser leurs asymétries?). Entre la position marxiste qui conçoit les relations entre les différentes instances d’une formation sociale, et les différentes pratiques en son sein, comme obéissant nécessairement à une loi de correspondance – que « tôt ou tard, les pratiques politiques, légales et idéologiques […] finiront par se conformer […] [et] seront donc mis en correspondance nécessaire avec ce que l’on appelle – à tort – l’économique » (Hall, 2012 : 135), et celle poststructuraliste qui glisse par réaction au déterminisme marxiste vers l’autre extrémité – posture formellement identique au marxisme, même si en substance diamétralement opposée, puisqu’elle garantit la non-correspondance, en fait une loi au même titre que la nécessaire correspondance (« il n’y a nécessairement pas de correspondance, nécessairement aucun lien de (co)déterminations entre les instances »), Hall n’en choisit aucune et élabore sa propre position :

[I]l n’y a pas de correspondance nécessaire […] cela signifie qu’il n’y a pas de loi qui garantisse […] cette absence de garantie, qui rompt avec toute téléologie implique aussi qu’il n’y a pas nécessairement de non-correspondance. […] Une position théorique fondée sur le caractère ouvert des pratiques et des luttes doit avoir parmi ses résultats possibles une articulation en termes d’effets qui ne correspond pas nécessairement à ses origines

2012 : 136

La sienne est une relation de co-determination (« mutually determining ») entre les instances, qui évite le libre-flottant postmoderne intact de tout déterminisme (érigé en loi, donc sous garantie) et le déterminisme économique marxiste, pareillement garanti : une relation caractérisée par relative ouverture et indétermination (« indeterminancy ») théorique (Hall, 1983 : 84).

Le concept clé de cette position est sans conteste l’articulation, notion déjà importante dans le structuralisme althussérien, dans sa conception de la « structure articulée à dominante ». Hall en élargit la portée, la complexifiant considérablement, et propose une définition fort circonstanciée :

Par le terme « articulation », j’entends une connexion ou un lien qui n’est pas nécessairement donné dans tous les cas, comme une loi ou fait de la vie, mais qui a besoin de conditions d’existence particulières pour apparaitre, qui doit être soutenu positivement par des processus spécifiques, qui n’est pas « éternel », mais qui doit être sans cesse renouvelé, qui peut, sous certaines circonstances, disparaitre ou être renversé, les liens anciens étant dissouts et de nouvelles connexions – réarticulations – se voyant forgées. […] une articulation entre des pratiques différentes ne signifie pas qu’elles deviennent identiques ou que l’une se dissout dans l’autre. Chacune garde ses déterminations et ses conditions d’existence distinctes. Cependant, une fois qu’une articulation est faite, les deux pratiques peuvent fonctionner ensemble, non pas en tant qu’« identité immédiate » (au sens du Marx de l’« Introduction de 1957 »), mais en tant que « distinctions au sein d’une unité »

2012 : 134, n6

La conception hallienne d’articulation reflète aussi le double ancrage du penseur dans un marxisme et un poststructuralisme aussi hétérodoxe l’un que l’autre. En plus de l’influence althussérienne susmentionnée, on notera celle des postmarxistes Ernesto Laclau et Chantal Mouffe, qui définissent l’articulation comme « toute pratique instaurant une relation entre divers éléments de telle sorte que l’identité de chacun se trouve changée en conséquence » (1985 : 105, ma traduction). Cette idée résonne particulièrement avec l’intersectionnalité qui s’est constituée comme perspective théorique entre autres par sa rupture avec les approches additives, puisque l’expérience intersectionnelle des femmes noires « est plus que la somme du racisme et du sexisme » (Crenshaw, 1989 : 140) – approches qui pensent la relation entre divers éléments sans tenir compte du changement en conséquence de la relation, en d’autres mots sans l’aspect processuel et constituant. La littérature intersectionnelle expose avec force les limites des approches additives et multiplicatives pour appréhender l’architecture complexe du pouvoir. Cependant au chapitre de la théorisation des liens entre divers éléments constitutifs de cette architecture, la recherche intersectionnelle devrait poursuivre la réflexion et sortir du « plateau théorique » et de la tendance de réduire cette question à la démonstration empirique. De mon analyse de la pensée de Hall, je retiens au moins deux voies théoriques prometteuses pour l’intersectionnalité : 1. une meilleure théorisation de l’architecture complexe des rapports de pouvoir qui combinera la théorie hallienne de l’articulation des différentes instances (économique / juridico-politique / idéologique) à la théorie intersectionnelle de co-constitution des différentes catégories / opérateurs de pouvoir (race / classe / genre); 2. une théorisation de la contingence, s’appuyant entre autres sur la distinction contexte / conjoncture et les apports du projet intellectuel du CCCS, qui permettra d’appréhender les conditions spécifiques sous lesquelles des articulations (économique / juridico-politique / idéologique) et des intersections (race / classe / genre) se forment et forment une unité complexe différenciée, une « structure articulée à dominante ». Ces deux voies me semblent particulièrement fécondes pour l’approfondissement et le renouvellement des problématiques théoriques intersectionnelles.

Conclusion

Les féministes antiracistes (de couleur, transnationaux, post- / dé-coloniaux, indigènes) ont toujours été à l’avant-garde des débats que nous qualifions aujourd’hui d’intersectionnels et ont postulé que les formations transversales de race / classe / genre / sexualité, etc. ne peuvent être comprises sans leurs corrélations et sans référence aux histoires et à l’héritage de l’esclavage, du colonialisme et de l’impérialisme (Brah, 2007). Si, dans le champ d’études intersectionnelles, nombre de féministes antiracistes se sont efforcées de théoriser ces connexions, elles ne sont pas les seules à l’avoir fait. Ainsi, la façon de théoriser l’architecture complexe que forment ces liens est multiple, tout comme le vocabulaire pour la signifier. Dans ce champ théorique, qui ne doit ni se stabiliser, ni se couper de la praxis, si tant est que la visée de justice sociale reste prioritaire, l’oeuvre d’un penseur en particulier, Stuart Hall, qui ne s’inscrit pas pour autant dans la littérature intersectionnelle, se distingue par de nombreuses questions qu’il partage avec l’intersectionnalité. Les réponses qu’il fournit à ces questions sont différentes, et c’est avec cette différence que l’intersectionnalité a été mise en conversation dans cet article. Une conversation qui n’en est qu’à ses débuts et qui concourra, je l’espère, à ce que les fondements théoriques de l’intersectionnalité demeurent un chantier ouvert, une réflexion toujours renouvelée.