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Origines de ma motivation militante

NPS D’où vous vient votre motivation à travailler pour les droits des autochtones ?

En 1975, j’avais pris un engagement personnel de faire connaître l’histoire des pensionnats. Je voulais aussi m’assurer que ce genre d’histoire ne se répète plus jamais sur la planète. Ça ne devrait plus jamais se reproduire. Jamais, à aucun moment.

Je me suis engagé à prendre toutes les tribunes qui me seront offertes pour faire connaître cette histoire-là. C’était mon engagement, la bataille de ma vie. C’est ce qui m’a amené à me tenir debout C’est ce qui m’a amené à assumer mes responsabilités, mon devoir, mes obligations.

Je souhaitais faire en sorte de modifier les choses nécessaires pour corriger cela. C’était le plus fondamental dans ma démarche. Je pense que j’ai reçu les dons nécessaires pour le faire. En effet, j’ai été élevé déjà pour être un conteur d’histoires quand j’étais tout petit. J’ai utilisé ce cadeau-là, pour transmettre aux autres cette histoire.

NPS Avez-vous souvent l’occasion de parler de processus de guérison à des non-Autochtones, à des professionnels ?

Non, je n’ai pas eu ce genre de tribune, parce qu’au cours des dix dernières années nous devions travailler à parfaire notre intention. Il fallait chercher comment on allait procéder pour arriver à trouver nos solutions, des moyens qui pourraient faciliter le travail des intervenants dans la communauté.

Vous savez que le pensionnat c’était l’aboutissement d’un processus. Le point final d’une politique de dépossession : d’abord la dépossession territoriale, puis la dépossession des noms, la dépossession de notre spiritualité, de notre culture et de notre langue. Finalement, c’était la conséquence d’une dépersonnalisation de l’individu. De sorte que quand on n’a plus d’attache, qu’on n’a plus de points de repère pour ce que nous sommes, il vient un moment où on se lance de tous côtés, on se lance un peu partout pour savoir comment arriver à survivre.

On te dit pourtant que tu es un Indien, mais tu ne l’es plus. On te dit que tu dois rester à tel endroit, mais tu ne te sens pas bien à cet endroit, c’est-à-dire sur une réserve. Alors tu te poses souvent des questions comme : « pourquoi sommes-nous devenus ce que nous sommes ? » Tant et aussi longtemps qu’on ne trouve pas de réponses à ces questions fondamentales, il y a nécessairement des actions qui visent à essayer de noyer la réponse, à essayer de nous empêcher de trouver la réponse. On est perdus. Et ce n’est pas nécessairement une simple perte de situation géographique, mais c’est aussi une perte de l’âme. Moi, j’appelle cela des grands brûlés de l’âme. Nous sommes devenus des grands brûlés de l’âme. En étant des grands brûlés de l’âme, il y a des médicaments qu’on peut prendre, il y a des approches qu’il faut utiliser pour essayer dans un premier temps de calmer la douleur et, dans un deuxième temps, de donner des soins qui sont continus, des soins appropriés. Il y a toutes sortes de moyens pour y arriver.

Le processus de guérison

Tantôt, on utilise des travailleurs sociaux, tantôt des psychologues, des psychiatres, des docteurs, ou parfois on utilise des infirmières. Tout ça fait partie de la démarche. Lorsque la fondation de la guérison a été mise sur pied, dans ma perspective personnelle, c’était plus important d’aller chercher des personnes qui ont des dons de guérisseurs dans les communautés. On n’avait aucune espèce d’idée de la façon de faire cela. On s’est dit qu’il fallait trouver d’autres méthodes, d’autres manières de faire, au lieu d’utiliser les sciences contemporaines ou les intervenants professionnels comme les travailleurs sociaux et autres. Que pensez-vous de jouer du tambour par exemple… ? Un tambour. Le son d’un tambour, ça a l’air anodin de jouer du tambour, mais à un moment donné, lorsque tu entends le tambour, tu finis par te poser des questions. Tu veux aller chercher ce dont tu as besoin pour confirmer que le tambour, ça fait partie de toi. Il y a des personnes qui sont dans les communautés et qui ont ces connaissances-là. Mais elles ont toujours été ignorées, elles ont toujours été laissées de côté. Précisons qu’il y a quand même eu ce qu’on pourrait appeler des communications souterraines durant le processus de dépossession dont je parlais au début. Il y a des gens qui ont fait de la résistance et qui ont réussi à passer les informations d’une génération à l’autre. La dépossession a peut-être éteint le feu de la spiritualité, mais il y a eu des cendres qui restaient. On n’avait qu’à souffler dessus pour que ça le ranime. Et le seul moyen d’y arriver, c’était justement d’expérimenter des approches de toutes sortes. Ça pouvait aussi être d’aller chercher des cérémonies de spiritualité en dehors du pays, des expériences qui ont survécu. Puis de les ramener ici. On va aussi voir les aînés pour connaître les histoires qui ont été transmises, qui ne sont pas tout à fait mortes encore, mais qui sont des choses importantes. Ils savent, eux, qu’il y a quelque chose à faire avec cela. On nous a « enveloppés » pendant toutes ces années-là, et ce réveil-là a pu être très brutal parfois, mais à d’autres moments, il a été plus calme, tandis que pendant d’autres périodes, on a totalement ignoré ces réveils. On ne peut pas arriver à tout faire dans une courte période de temps, à faire prendre conscience à tout le monde en même temps de ces réalités.

Il y a des gens qu’on a formés au cours des années qui sont encore vivants actuellement et qui sont encouragés à continuer à pratiquer leurs cérémonies et leurs rituels. Graduellement, le feu va finir par prendre forme, va s’étendre et en arriver à ce qu’on retrouve ce dont on a été dépossédés. Ce sera un processus extrêmement long, extrêmement laborieux, et, surtout, il y aura beaucoup de conflits qui vont surgir de ces retours-là. Des conflits de valeurs, de morales, de religions, de spiritualités. C’est tout cela qui nous attend. Mais le fait est que la majorité de ces réalités-là sont déjà en place pour pouvoir continuer le travail. Même s’il faut prendre conscience aussi du fait que le travail déjà fait est encore très fragile.

NPS Qu’est-ce que les non-Autochtones ou les professionnels pourraient faire pour vous soutenir dans ce processus de guérison ?

Il y a des professionnels qui ont pris conscience de la nécessité d’aller vers les rites anciens, vers les cérémonies, vers la tradition. Et ils vont aussi sur le terrain, c’est-à-dire dans le bois pour aller faire des thérapies, qu’elles soient individuelles ou familiales. Il y a des professionnels qui accompagnent le processus de cette façon-là, sans nécessairement prendre le leadership de l’action. Mais tout simplement en étant à l’écoute, en n’arrivant pas comme un professeur ou comme un maître, mais plutôt comme un aide, un aidant au processus. Cette personne-là devrait être en mesure d’analyser parfaitement où en est le processus de guérison commencé. Ensuite, cette personne s’adapte à ce processus, à cette manière de faire les choses. Une fois qu’il ou elle a compris cela, que cette approche est admise, à ce moment-là, elle devient une personne-ressource absolument indispensable pour parfaire la démarche, continuer la démarche et donner de l’assurance aux Autochtones qui veulent s’en sortir. Donner de l’assurance aussi au leadership de la communauté. Afin que les leaders deviennent confiants en leurs propres moyens. Ainsi, ils seront plus sûrs de leurs décisions, sans qu’il y ait une interférence quelconque de l’extérieur. Mais une fois la démarche amorcée, pour que la communauté soit en mesure de prendre ses décisions, il faut être patient. Il faut s’adapter. Comprendre notre désarroi, notre situation. Quand, enfant, on a perdu sa famille, qu’on a perdu sa langue, sa culture, qu’on a perdu sa maison, sa terre, l’endroit où on devrait prendre racine et grandir, quand on a perdu tout cela, c’est sûr que ça prend du temps pour aller les récupérer. Ça ne se fera pas dans une génération, ni dans deux ou trois générations. C’est un processus qui sera très long puisque le processus de dépersonnalisation et de dépossession a pris tant de temps. Il va falloir compter au moins autant de temps pour retourner dans le milieu où on était. Parce qu’on est différents, on doit travailler deux fois plus fort que le citoyen normal pour préserver cette différence. Il faut que moi et tous mes frères et soeurs, on soit deux fois plus travaillants. Il faut qu’on soit deux fois plus vigilants. Toujours deux fois plus. Ça devient vraiment pesant à la longue d’être comme ça. De dire qu’on est différents. Ce n’est pas si évident que ça.

Rapports entre le processus de guérison et le travail social professionnel

NPS De votre point de vue, quels sont les liens ou les oppositions entre le processus de guérison traditionnel des Autochtones et l’intervention sociale comme on la définit au Québec dans les milieux professionnels ?

J’ai vécu une expérience comme pour les agressions sexuelles dans les années 1980, au début des années 1990. On avait finalement reçu des informations des femmes disant qu’elles avaient été agressées sexuellement tantôt par leur mari, tantôt par leur oncle, tantôt par les beaux-frères. Il y avait eu des événements absolument abominables qui se sont passés durant un certain nombre d’années. Comment peut-on régler ça ? On était perdus. On était perdus quant à la méthode à utiliser. En principe, il fallait d’abord se concentrer sur la personne, mais s’il y avait dix personnes qui avaient vécu la même réalité on n’avait pas les ressources pour le faire. On s’est donc concentrés sur une femme et on lui a dit ce qu’elle devait faire pour s’en remettre, pour essayer d’entamer un processus de guérison sur elle-même. On l’a donc envoyée en thérapie pendant un certain nombre de mois et d’années. À son retour, elle a dit : « Il manque quelque chose à ma guérison : je dois rencontrer mon agresseur. » Sur cette méthode-là, on avait beaucoup de divergences d’opinions quant à la façon de l’utiliser. On a donc décidé de prendre la décision à la majorité au lieu de le faire par consensus. Alors on a donné le choix à l’agresseur : « Soit tu plaides coupable et tu vas en prison, ou tu plaides coupable, mais on va t’aider dans une thérapie quelconque. On va analyser ta problématique et on va t’envoyer dans cette thérapie au lieu d’aller en prison. » Cela a eu son effet et il a accepté. Il a dit : « Je reconnais que je l’ai violée et je veux me faire traiter parce qu’il semble bien que j’ai des problèmes. » Il y a toujours la tendance au déni au début de ce processus : « Oui, je l’ai fait, mais elle était consentante », par exemple. Finalement, il a été trois ans en thérapie. Il a quand même été sorti de la communauté pendant trois ans, période pendant laquelle il n’a pas été en contact avec son monde. On a utilisé cette méthode-là parce qu’on n’était pas en mesure de faire autre chose et il fallait trouver une solution. Par la suite, toutes les femmes et les hommes ont voulu faire la même chose ! On s’est donc retrouvés avec 20 agresseurs sur les bras et autant de femmes victimes. Tous les hommes ont voulu plaider coupables, mais ils ont aussi voulu aller en thérapie parce qu’ils ont vu ce qui était arrivé à celui qui était revenu. Ils disaient : « Il ne boit plus, il ne fume plus, il est revenu guéri et on aimerait ça être comme lui. » Il a donc fallu trouver des moyens pour améliorer leurs conditions. Comme la question de l’environnement de leur demeure, par exemple. Mais on avait alors d’autres problèmes parce que les demeures auxquelles je fais référence, ce sont des cabanes, sans électricité, sans eau courante ; il n’y a rien de tout cela. Ils vivent dans le bois.

Ils ont retrouvé une certaine appartenance à la terre dans laquelle ils vivaient. Ils se sont mis à inventer des méthodes pour réparer les fautes qu’ils avaient commises, comme aller faire du bois de chauffage pour la femme. Le bois de chauffage dans cette communauté-là était un élément absolument essentiel. La plupart des femmes ne pouvaient pas faire le bois de chauffage, mais les hommes, eux, en étaient capables.

Il y en a même eu qui étaient très bons à la chasse et qui ont utilisé ces dons-là pour nourrir les femmes qu’ils avaient agressées. Il y a eu un effet d’entraînement. Il y a eu des cercles de partage, des cercles de guérison se sont créés, puis ils se sont installés naturellement dans leur milieu. Ils ont même bâti des cabanes pour faire ce genre de partage. Graduellement, on a ensuite introduit des rites, des cérémonies, on a invité des chamans, des sorciers de l’extérieur pour qu’ils puissent venir diriger ces cérémonies. Peu à peu, les choses se sont mises en place pour aider les gens à se retrouver, à retrouver aussi une certaine forme de spiritualité, mais aussi à implanter cela dans leur conscience, à intégrer ces réalités essentielles dans leur vie, pour qu’ils puissent se retrouver et, fondamentalement, pour qu’ils retrouvent leur identité. En même temps, ils étaient toujours confrontés à des valeurs étrangères durant ce processus-là, dans le sens qu’il fallait aller à l’école, envoyer les enfants à l’école, travailler. À un certain moment, j’ai réalisé un atelier sur le mot travail. Dans notre langue, ça n’existe pas le mot « travail », c’est un concept difficile à adapter. En fait, on disait plutôt qu’il fallait être occupé à faire quelque chose. Mais traduit comme cela, ce n’est pas tout à fait la même chose quand quelqu’un dit : « moi, je suis occupé à faire quelque chose, je vais aller faire du bois de chauffage ». Autre exemple, une des tâches qu’on avait dans le dispensaire, c’était « représentant en santé communautaire ». C’est un beau titre. On n’a jamais été capables de traduire ce mot-là non plus. En fait, on expliquait en quoi consistait le travail, c’est-à-dire qu’il s’agissait d’aller voir les familles qui sont dans le besoin, de leur expliquer les choses à surveiller, les médicaments, comment entraîner les jeunes à se moucher, à ne pas sortir sans manteau, toutes ces choses de la vie quotidienne. Autrement dit, il fallait leur enseigner comment devenir parents.

La famille, les parents, les enfants

Au pensionnat, une des choses les plus désastreuses qui soient arrivées, c’était justement qu’on enlevait les enfants de la famille. Quand tu laisses ton enfant de 5 ans, 6 ans, partir comme ça, tu n’as plus de raison pour faire certaines choses parce que la raison de ton existence, la raison de faire ces choses n’est plus là. Cela a été dramatique pour les parents. Par le fait même, ils n’ont pu communiquer comment éduquer les enfants, comment élever les enfants. Puis du jour au lendemain, sans aucune espèce d’expérience d’être maman ou d’être papa, ils doivent agir en parents. Ils ne savent rien de tout cela. C’étaient donc des réalités qu’il fallait remettre en place aussi. Les habiletés parentales là-dedans, c’était désastreux. La Commission de la protection de la jeunesse en 1990 est venue faire une enquête et j’étais alors grand chef. J’avais demandé que cette Commission vienne faire une enquête dans les communautés. J’étais le grand chef, alors pas besoin de vous dire que j’ai perdu mon poste six mois plus tard à cause de ça… Il y avait un gars de la ville qui m’avait dit : « Richard, si tu veux rester grand chef mêle-toi pas des affaires sociales. Mêle-toi pas de ça. C’est sûr que tu vas te faire avoir. » Et il avait raison, par exemple, de ce côté-là. Quand la Commission des droits de la personne est venue pour étudier l’état des enfants dans les communautés, c’était épouvantable le désordre qu’il y avait, les négligences que les enfants vivaient, c’était l’enfer, ça n’avait pas de bon sens. C’était incroyable. Les travailleurs sociaux des services sociaux de ma région avaient tout fait pour que ça ne sorte pas et, finalement, on a eu une rencontre avec le ministre. À l’époque, il s’appelait Marc-Yvan Côté. Il m’avait dit : « On va faire le ménage dans la cabane. » En faisant le ménage dans la cabane, on avait eu droit à des ressources supplémentaires pour essayer de régler en partie la problématique que les enfants vivaient dans cette communauté. Les parents étaient toujours « sur le party », les enfants étaient abandonnés. Quand le chèque du premier du mois arrivait, les enfants étaient tout seuls, parfois jusqu’à quatre, cinq jours tout seuls. Le 19 du même mois, c’était la même chose. Et encore le 26 de chaque mois. C’étaient de longues périodes où les enfants étaient abandonnés. Il y a eu beaucoup d’enfants morts à cause de ça aussi dans notre communauté. Comment faire pour arrêter ça ? Moi, j’étais conscient que si on n’informait pas la DPJ, j’allais commettre un crime. C’était mon discours dans ces années-là. « Si vous ne dénoncez rien, si vous ne faites rien, vous commettez un crime. Vous êtes complices. » Cette période a été épouvantable. Ces interventions étaient nécessaires parce qu’il fallait créer une onde de choc, envoyer un message, mais c’était aussi souvent mal fait. On enlevait les enfants finalement de leur milieu avec ça. Ç’a été épouvantable pour moi de vivre cette période-là durant laquelle il fallait sortir les enfants de leur milieu pour qu’ils puissent être en sécurité, pour qu’ils puissent avoir un minimum de conditions adéquates de vie, qu’ils mangent un peu, qu’ils soient logés, qu’ils soient lavés ; des choses de base qu’ils n’avaient pas. J’ai trouvé ça très, très pénible durant ces années-là. J’ai eu beaucoup de rencontres qui ont été très virulentes, vigoureuses et très physiques parfois aussi, pour aider ces enfants-là parce que les adultes ne pouvaient pas concevoir qu’on puisse se mêler de leurs histoires, de leur situation. Cela a été un mal pour établir un bien, c’était nécessaire de le faire de cette manière-là, on n’avait pas le choix. Mais c’était pénible.

Processus de guérison et démocratie

NPS Est-ce que vous considérez que le processus de guérison tel que vous nous l’expliquez est une approche démocratique ?

J’ai beaucoup de difficulté avec le mot « démocratique »… Cela n’a pas sa place en tout cas dans certaines situations. Je vais vous expliquer le conflit qui surgit quand on utilise ce mot-là. Dans notre société, il y a des rituels qui existent au tout début lorsque tu viens au monde. Les sages de la place regardent le passé, ils regardent le présent, ils regardent le futur. Pour s’assurer que tout ça va rester en harmonie, que ce soit paisible, que ce soit une joie de vivre à tous les jours. Ces personnes-là ont la capacité de mesurer quel va être le rôle de chacun et de chacune dans la société pour qu’on puisse atteindre cet état d’âme, cet état d’esprit de joie de vivre. Alors, quand un enfant vient au monde, il est évident que lorsqu’ils font l’analyse de ce qui existe dans la société avec leur entourage, ils vont dire, par exemple : « Ah, notre chasseur qui est là, il est tellement vieux qu’il va falloir le remplacer éventuellement. Et pour le faire, nous allons prendre cet enfant-là et cet enfant-là, on va lui montrer comment devenir chasseur au fur et à mesure qu’il va grandir. » Puis l’enfant fait cela, il le fait comme il le faut. Et lorsqu’il arrive à une période de sa vie où ses capacités et ses habiletés sont demandées, il va aller le faire avec le plus grand des plaisirs, parce qu’il a été élevé à faire ça. Moi, quand je suis venu au monde, on était encore dans le bois, moi on m’avait dit que j’allais devenir un conteur d’histoires.

Alors on m’a donné un nom, comme on a donné un nom à chacun des autres. Mon nom à moi veut dire : « il est comme ça ». Mais le gars qui a porté ce nom-là avant moi, il y a 150 ans de ça, donc il y a 210 ans maintenant, lui il était un conteur d’histoires. Aujourd’hui, les personnes âgées que moi j’ai fréquentées quand j’avais 30-40 ans me le disaient. La manière que j’ai été éduqué, élevé dans ma langue. Il y avait une signature sur mon éducation. C’est comme mon diplôme. J’allais dans n’importe quelle communauté, ils pouvaient voir la signature de la manière que j’étais élevé. C’était révélateur pour moi de savoir ça, la manière que je m’exprime, la manière que je fais les choses. Ils m’ont dit : « Toi, tu as été élevé par une grand-mère pour devenir un conteur d’histoires, pour parler. » Mais il y avait aussi d’autres activités qui se passaient par rapport à ça comme les occupations territoriales, l’occupation d’un territoire. Il y avait des frontières qui existaient. Mais ce n’étaient pas des frontières avec une ligne géographique, c’étaient des frontières indiquées par la langue qu’on parlait. Ici, en Abitibi, on a des Cris en haut et on a des Algonquins au sud. Il y a une zone entre Cris et Algonquins et cette zone-là elle est occupée par les deux. Mais il fallait trouver une manière d’éviter des guerres. Alors les Cris donnaient un enfant et les Algonquins aussi donnaient un enfant. Que ce soit une fille ou un gars, les deux finissent par se rejoindre et former une famille. Et les enfants de ces familles-là sont éduqués pour avoir une langue diplomatique, pour éviter justement des guerres. Pour être arbitre dans des chicanes. Et j’en suis un de ces enfants-là. Lorsqu’il y a des rencontres entre Cris et Algonquins, je suis la personne qui va agir comme une espèce de médiateur. C’est supposé avoir évité des conflits. Cette façon de vivre, cette façon de faire de cette société-là était conforme à ce qu’on appelle un consensus de vie, un consensus de la manière de faire les choses. C’est comme ça que ça va se faire. Toutes les naissances sont mesurées de cette manière, pour maintenir cette harmonie, cette zone de tranquillité et de paix. Une fois que c’est fait, qu’on est éduqué comme ça, ce n’est plus nécessaire d’aller voir si on est contre ou pour, parce que c’est déjà bien. Alors la démocratie qui arrive à un moment donné par-dessus ça, c’est pour faire quoi ? Pour « faire la chicane », le conflit ? Je pense que c’est comme ça qu’il faut le dire. La démocratie, c’est ça. Parce qu’il faut être contre ou il faut être pour. Mais pourquoi être pour et pourquoi être contre ? Pour faire des chicanes, non ? J’imagine.

Retour d’une certaine spiritualité, de certains rites

C’est comme ça que je peux répondre… Mais si on va plus loin dans le processus de guérison, j’ai été témoin d’une chose absolument spectaculaire il y a deux semaines. Ça va vous donner une autre dimension sur la démocratie. La communauté dans laquelle j’étais avait une cérémonie. Il y avait une activité communautaire pour remercier le Créateur, remercier tout le monde… C’est comme s’ils faisaient nos rencontres dans une nouvelle ère d’harmonisation. Pour ça, il faut rendre hommage au Créateur. Alors il y a une soirée où il y a eu juste des cérémonies. Dans cette pratique-là, ils ont fait venir des gens de l’Ouest. Ils avaient fait venir un chaman de l’Alberta et un autre, un « pipe carrier », je ne sais pas comment on appelle ça en français, il transporte la pipe sacrée. Il y avait aussi des « medicine men » qui sont venus, des guérisseurs, qui ont des dons d’écoute phénoménale. Ils ont des cérémonies eux aussi, les cérémonies de boucane, de fumée, et de tambours. Il y avait à peu près cinq ou six de ces personnalités-là qui étaient au centre de la pièce. Or, parmi ces personnes-là, il y avait la cheffe de la communauté, une communauté innue à côté de Blanc-Sablon. Or, il y a à peu près cinq ou six ans, cette communauté-là avait déjà entrepris un processus pour rétablir la spiritualité dans sa communauté. C’est une nouvelle réserve qui a été créée en 1982, je pense, ou en 1983. C’est la dernière réserve créée pour les Innus. Il y a un groupe de personnes qui sont allées dans l’Ouest, au Montana, aux Montagnes sacrées. Ils ont passé du temps là-bas et ils sont revenus avec les cérémonies de l’Ouest. Puis ils performent ces cérémonies-là dans leur communauté. Le tambour de l’Ouest, les pipes de l’Ouest, tout ce qui était de l’Ouest était là. Ils vivaient très bien avec ça parce que ça leur donnait un sentiment de retour. Un sentiment dans lequel ils pouvaient être en communion avec le Créateur. La femme-chef de cette communauté-là s’est mise à chanter aussi avec le tambour de l’Ouest et c’était très émouvant. En tous cas, j’ai trouvé ça tellement beau. Or, le lendemain il y a eu l’offrande. Ils font des plats. Avez-vous déjà mangé du porc-épic ? Délicieux. Comme la moelle des os de caribous. Le cerveau du caribou. Le cerveau des petits animaux aussi qui sont là. Ils ont fait un beau buffet, c’était beau à voir. Chaque personne qui avait été invitée avait reçu un petit morceau de chacun de ces plats-là et on mangeait ça. Et ensuite, tout le monde de la communauté était invité à aller en prendre aussi et le mangeait. Une fois le festin terminé, il fallait rendre hommage au Créateur encore une fois. Ils appellent ça le rituel. C’était la danse. Or, il y avait le leader spirituel de la communauté qui était là, c’est lui qui a ouvert la danse avec le tambour traditionnel des Innus qui est un peu plus gros. Il y a une petite corde qui passe à travers et c’est attaché avec des petits os. Mais ça ne fait pas « boum boum boum » comme les tambours habituels, mais ça donne un son différent. Ce son-là, chez les Innus, c’est le son qui fait que les gens se réveillent, se lèvent et s’en vont danser. C’était spectaculaire… Il est spectaculaire le visage de cet homme-là, c’est le vrai sorcier, c’est le vrai chaman de la place. Quand il se met à jouer le tambour, c’est irrésistible, il faut que tu ailles danser. Et c’est super de danser parce que c’est comme le temps d’aller flirter… Tu choisis. Ils m’ont dit : « Tiens, Richard, c’est à ton tour et tu vas choisir la plus belle femme. » Et tu vas te mettre devant elle. Tu danses. Les femmes, elles, vont se mettre derrière l’homme. C’était super. Et le bonhomme va chanter pendant de longues minutes, une demi-heure, à refaire le même chant, mais on dirait que ce n’est pas le même, ce n’est pas une répétition, c’est un chant, c’est un chant grégorien, si on veut comparer ça. Après avoir terminé son chant, le chaman est parti, il est sorti de la salle. C’est à ce moment-là qu’à ma grande surprise, le mari de la femme-chef est arrivé. Il est allé prendre le tambour traditionnel des Innus et il est allé chanter. Pendant que sa femme chantait les chants de l’Ouest, lui il chantait les chants de la place. C’était comme une rencontre, il y avait quelque chose qui se passait là, quelque chose de phénoménal, d’extraordinaire. Il y avait comme une espèce de bataille, si tu veux, pour le retour de la spiritualité. « Mais utilisons nos propres affaires », disait l’homme. La femme lui répondait : « Oui, on va les utiliser, mais en attendant, on va jouer ce tambour-là. » Puis l’autre : « Non, non, non. On va chanter. » C’était quelque chose à voir. C’est ce qui est en train de se produire dans cette communauté-là. Et les intervenants professionnels dont je vous parlais tout à l’heure étaient dans la salle eux aussi. Ils se sont vraiment intégrés au processus. Ils les accompagnent au lieu de les diriger. C’est ce qui est le plus extraordinaire. Cette visite-là m’a marqué parce qu’il y a un retour qui s’effectue. J’étais là il y a vingt-cinq ans, dans cette même communauté, et c’était épouvantable. Aujourd’hui, il y a un retour, il y a comme une résurrection et c’est magnifique de voir ça. Quelqu’un qui vient de l’extérieur va peut-être trouver ça anodin, cette question des deux tambours, mais les deux tambours ont une grande signification dans la démarche de ces gens-là. C’est sûr qu’à un moment donné, la femme va laisser tomber son tambour de l’Ouest pour reprendre le tambour de son mari pour amener les gens à danser. C’est magnifique ce que j’ai vu là. Ça me donne l’espoir. C’est sûr que ce n’est pas encore parfait, dans la majorité des familles, mais c’est magnifique ce qui s’en vient. C’est encourageant en tout cas. C’est une belle place où aller, aller prendre des notes, aller observer comment ça se passe. C’est une belle place. C’est inspirant en tout cas.

Enrichissement réciproque possible ?

NPS On a abordé l’aspect démocratique. Comme vous dites, ce qui vous préoccupe, c’est davantage les questions de cohésion sociale, d’harmonie que de démocratie. Notre revue veut aussi réfléchir au renouvellement des pratiques sociales. Le renouvellement des pratiques traditionnelles des Premières Nations, selon vous, est-ce qu’il pourrait être enrichi par certains aspects de l’intervention professionnelle telle qu’on l’enseigne dans les universités québécoises ? Et est-ce que, à votre avis, nous à l’université, on aurait intérêt à s’inspirer de vos pratiques pour renouveler nos propres pratiques en travail social ?

Dans le cas de la situation dont on parle ici, on se réfère surtout à ce qui nous est arrivé avec les processus de dépossession. Il est évident qu’il va falloir modifier les techniques probablement, ou les approches des professionnels pour qu’on puisse s’adapter à ça, pour qu’on puisse mieux intervenir une fois que l’identification des problèmes a été faite. Ce n’est pas tous les jours qu’on fait face à quelqu’un qui dit qu’il n’a plus sa place, à quelqu’un qui n’a plus sa langue, son identité. Le « pas d’identité », comment tu le corriges ? Est-ce qu’il suffirait d’utiliser uniquement les activités traditionnelles ? Je doute fort qu’on puisse y arriver juste avec ça. Je pense qu’il va falloir trouver une solution entre les deux pratiques, entre les deux approches. Il va falloir qu’on se parle. Il va falloir s’ouvrir des deux côtés, mais surtout, se laisser tenter, se laisser avoir, se laisser aller dans les deux cas. Dans quelques communautés de l’Ouest aussi j’ai vu une rigidité intellectuelle trop forte. Ils refusent totalement la venue de professionnels.

Comment créer de nouveaux liens

Mais je pense que des deux côtés, il va falloir assouplir cette rigidité-là pour essayer de combiner les bonnes choses, mais aussi de corriger les mauvaises choses dans lesquelles on sent que ça ne peut pas marcher. Il va falloir faire des rencontres dans lesquelles on devra laisser toutes nos idéologies, nos pratiques à la porte et arriver quelque part « flambant nu » et se mettre à parler, à se dire nos quatre vérités. Sans que ça vire nécessairement à la chicane, mais à ouvrir non seulement le coeur, mais aussi notre esprit.

Et ça ce n’est pas évident non plus. Ça, j’en conviens. J’ai essayé d’aller à certaines places moi aussi, et parfois, j’ai des réticences à aller à certains endroits dans lesquels on partage ce genre de connaissances là. Parfois, je suis peut-être un peu trop rigide moi-même. Mais quand je passe par les moments qu’on a vécus, que j’ai vécus, surtout avec ma famille, je suis encore très troublé par les choses que j’ai vécues. Mais j’ai appris à vivre avec cela. Et c’est une des choses que le monde, que ma « gang » à moi, mes soeurs, mes frères, doivent arriver à comprendre : ils ne peuvent pas être guéris de ça. Parce qu’on a tendance à croire qu’on peut être guéri de ces affaires-là qu’on a vécues. Je pense qu’il faut surtout s’attarder à apprendre à vivre avec ce qu’on a vécu, à lutter contre ses démons, à apprivoiser ses démons. Alors, tu pourras être un petit peu plus coopératif ou à tout le moins tu seras plus facilement accessible. Mais c’est une activité qui n’est pas évidente pour la majorité de mes frères et soeurs, d’accepter cette situation-là. La plupart des gens veulent se débarrasser de ces démons-là pour ne plus jamais les revoir. Mais à mon avis à moi, ce n’est pas possible parce que c’est trop, c’est trop immense, c’est trop grand… On ne mesure pas correctement la question de la dépossession. Je reviens toujours sur cette réalité-là parce que c’est ce qui fait qu’on se sent perdus. Quand on est perdus quelque part, on met parfois ses énergies à des choses complètement inutiles. Il faut savoir arrêter ça, il faut savoir connaître. Il faut savoir que c’est comme ça que ça s’est passé. Tu poses la question à un gars de 24 ans au Lac-Simon, ici, pas loin : « D’où viens-tu ? » Cette personne-là te dira : « Je viens de la réserve. » Mais il n’a aucune espèce de connaissance du fait qu’il y a un territoire qui lui appartenait, que ses parents pouvaient chasser dans le bois et qu’ils pouvaient le faire. Lui, il ne l’a plus. Au Lac-Simon, l’année passée, il y a eu sept suicides dans une courte période de temps, des jeunes qui avaient 17, 18, 19 ans. Qui se tuent. C’est malheureux, mais c’est aussi la situation dans laquelle ils vivent. Ils sont sur une réserve dans laquelle ils ont de la misère à bouger ; ils n’ont aucune espèce de sens de liberté dans leurs activités. Ils se font envahir. Alors quand ils ne savent même pas d’où ils viennent, il y a un sérieux problème. Il va falloir que l’éducation se fasse autrement. Mais Dieu sait que le ministère de l’Éducation, c’est le ministère qui a le plus de rigidité dans l’application des connaissances. Ça n’a aucun bon sens parfois. Je suis retourné à l’école il y a trois ans, je pense, à l’université. J’ai trouvé ça le fun, mais j’ai trouvé ça aussi très « carré »… Pas rond du tout…

NPS Il y a eu des grands contentieux historiques, des moments de rupture importants, des moments de dépossession. La création des réserves, la question des pensionnats, c’est clair. Il y a aussi eu une espèce de troisième niveau (pour les gens qui viennent de certaines régions comme l’Abitibi-Témiscamingue, le Saguenay…). Nos ancêtres y avaient des amis qui étaient des Premières Nations. Parfois, ils étaient guides ensemble, ils allaient dans le bois, ils allaient à la pêche, à la chasse. Mais on dirait qu’à un moment donné, il y a eu une espèce de rupture entre les Premières Nations et la population québécoise qui pourtant en est souvent issue elle-même. Et on se demande de quoi peut bien dépendre cette espèce de troisième moment de rupture. Et aussi, ce qu’on pourrait faire pour changer ça, pour qu’il y ait à nouveau un rapprochement, des rapports qui aient de l’allure…

Durables, oui.

NPS Durables oui, effectivement. Il est difficile de bien expliquer cela. C’est une grande question.

Oui, c’est une grande question, parce que moi aussi j’ai vécu cela, parce que mon père, lui, il avait des amis à Guyenne, à Saint-Dominique, à Saint-Félix. Il était ami avec tout le monde, puis un moment donné, pour une raison quelconque, cela a disparu. J’aimerais ça qu’on expérimente des choses par rapport à tout ça. Comme ici, à Val-d’Or, je l’ai souligné déjà, mais ça ne s’est pas encore fait et j’espère qu’ils vont le faire un moment donné. Un événement comme le 75e anniversaire de Val-d’Or, cette année. Il y a des activités, toutes sortes d’événements qui arrivent. Je trouvais que c’était une belle occasion de signifier à la population en général que Val-d’Or a été construit sur une terre ancestrale des Algonquins. De même, à chaque événement, essayer de mentionner ça. Mais il y a aussi des choses comme, par exemple, monsieur le maire dirait : « nous sommes ici sur des terres ancestrales ». C’est juste des petits messages subliminaux dans un discours de 30 pages. Juste deux lignes qui disent ça. À un moment donné, semer une graine. Il y a aussi des choses qui arrivent ici à Val-d’Or, que je trouve absolument épouvantables… Je faisais mon épicerie un jour, il y a à peu près deux ans, et un monsieur est arrivé à côté de moi et m’a dit : « Hé, c’est vrai qu’il va y avoir dix mille Indiens qui vont venir ici ? » À Val-d’Or, à cause de l’université, on construisait le pavillon autochtone.

« Ah, il va y avoir vingt mille Indiens qui vont arriver. Puis on pourrait se retrouver avec un maire indien peut-être aussi. » Un maire indien ! Le bonhomme, il paniquait à cause de ça. Ça n’a pas de bon sens ! Tu t’en vas sur la 3e avenue, à Val-d’Or, en 2010, il y a plein d’Indiens. Une fois, j’avais demandé à un cameraman : « Regarde comment ça se passe, comment les gens réagissent vis-à-vis des Indiens qui se tiennent devant le McDonald’s, devant l’Hôtel Continental, à ces places-là. » On voit les blancs traverser à la lumière, puis à un moment donné, ils voient encore une autre bande d’Indiens et ils retraversent la rue. À Val-d’Or ! En 2010 !

Alors ? Ce sont des choses qui continuent de s’aggraver, je trouve, parce qu’on ne fait absolument rien pour corriger ça.

Les gens sont conscients, puis… il ne se passe rien. Ils ne font rien. On ne fait rien. Qu’est-ce qu’on peut faire ? Moi, je l’avais dit à l’organisateur principal du 75e : « Pourquoi tu ne ferais pas, à toutes les fois, une déclaration rappelant que c’est une terre des Algonquins ici. On était ici avant vous, puis on est encore là, puis on va être encore là demain. » C’est peut-être le temps aussi de sortir des vieux films sur les Indiens. Et de présenter des documentaires sur les Indiens… Mais on n’a rien de ce côté-là. Ça ne coûterait presque rien de faire venir un documentaire et de le projeter dans des petites salles ou dans les petits bars, au lieu de regarder le match de hockey… Regarder un documentaire sur les Indiens, ici, en ville. Au restaurant St-Hubert, par exemple, il y a 15 écrans géants. Qu’est-ce que ça ferait de prendre un petit cinq minutes pour regarder l’histoire ?

Mais on semble être figé par rapport à tout ça. On dirait qu’on a encore plus peur des Indiens que dans le temps de Jacques Cartier. Il y a quelque chose qui ne marche pas… On est restés sauvages probablement…, mais moins sauvages qu’on était.

NPS C’est peut-être nous qui le sommes devenus davantage.

Probablement. Mais j’ai un bon réseau d’amis, ici à Val-d’Or, avec qui j’entretiens beaucoup de bonnes relations. Je m’implique dans la société, ici, en général, les hommes d’affaires surtout. Je joue au curling deux fois par semaine. Je vais jouer au golf durant l’été quand je suis là. J’essaie d’amener les gens à avoir une autre perspective, une autre opinion de nous… Ce n’est pas évident ça.

NPS Édith Cloutier, directrice du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or, est venue à l’un de nos colloques et elle nous a parlé du Centre et des activités qu’on tentait de faire pour essayer d’ouvrir des portes à tout le monde, pour que les gens se parlent. Ce n’est pas toujours facile. Mais, au fond, ce que vous nous dites, c’est que par la culture, par des sports qu’on vit ensemble, par des rappels historiques… il y aurait moyen de créer des petits ponts qui sont disparus avec l’histoire.

Moi, je crois fermement à ça. Je pense que c’est plus intéressant de faire des petites choses qui sont belles plutôt que de faire des gros projets et que ça tourne mal.

NPS Une dernière question… On a démarré l’entrevue en vous demandant ce que vous aimeriez dire dans cette entrevue avant d’y aller avec nos questions à nous. Posons maintenant une question un peu similaire. Dans mon cours, j’enseigne l’intervention interculturelle et on a tout un bloc sur la question autochtone. On regarde des documentaires d’Alanis Obomsawin, ce genre de choses là. Et je me dis, qu’est-ce qu’on pourrait dire à des étudiants, futurs intervenants ?

Grosse question encore. Je n’ai vraiment pas de choses fondamentales à répondre. Nos relations entre autochtones et non-autochtones depuis le début ont toujours été marquées par des signes d’ignorance, des manques d’écoute. C’est une des choses qui ont manqué dès le début. Par la suite, il y a eu des petits accrochages à cause de ça, mais il y a aussi eu des unions qui sont arrivées malgré tout, à travers l’histoire. Mais l’histoire est toujours écrite pour les choses qui sont mauvaises dans le fond. L’histoire n’est pas écrite pour raconter de belles choses qui sont arrivées entre nous. On est marqués par ça. Quand je te dis qu’encore aujourd’hui on a peur des Indiens en ville, c’est le syndrome de l’histoire telle qu’elle a été écrite.

Moi, j’ai encore le livre d’histoire de 1954 chez nous, dans ma bibliothèque, l’histoire que j’ai apprise sur ma race à moi, qu’on était des barbares, qu’on était des méchants. Alors que j’ai connu seulement de l’amour… Je n’en reviens pas qu’on nous ait décrits comme cela, des barbares. On était des sanguinaires, ce qu’il y a de plus méchant chez un être humain.

Et ça se transmet ce syndrome-là, d’une manière tout à fait inconsciente, par les parents à leurs enfants. Ils ne s’aperçoivent pas qu’ils transmettent cette vision-là de l’histoire, qu’on est des méchants, qu’on va toujours rester des méchants. Un peu comme les loups c’est des méchants, des ours, ça attaque n’importe qui et ça les mange. On fait partie du folklore des méchants du Canada. C’est la société qui a très bien réussi à ancrer cela dans la tête des citoyens, sans aucune espèce d’effort. Ç’a été juste transmis comme ça, sournoisement, vicieusement. Puis c’est resté. Mais comment faire pour enlever ces mauvaises choses-là ? Il faut extraire ces démons-là qui ont été mis en nous. Comment faire pour les sortir de là ? Des petits et beaux gestes encore, des affaires de rien. Je ne sais pas, mais écoutez APTN[1] tiens, à la télévision, à la place d’écouter le sport. Regardez notre site Web sur la Fondation de l’Espoir. Ça s’appelle comme ça. Je suis le président de cette fondation-là. Nous avons créé un site Web qui enseigne ce qu’ont été les pensionnats. C’est un beau site. Il y a toutes sortes de choses là-dedans et c’est interactif aussi. Ce serait une belle chose que vous pourriez passer à l’école. D’ailleurs, je devais aller faire une présentation à une école, à Québec, le mois passé. On était d’accord au début. Tout le monde était d’accord au début pour que j’aille parler du pensionnat, mais ce matin, j’ai reçu un appel téléphonique, ils ont viré leur capot de bord. Ici, vous n’êtes plus le bienvenu, monsieur. Je ne peux plus y aller. Ils trouvent l’histoire trop récente. Trop dommageable probablement. Mais si vous avez l’occasion d’aller fouiller le site de la Fondation de l’Espoir : Que sont les enfants devenus ? Sur ce site-là, vous allez voir l’histoire des pensionnats, le travail que je fais depuis cinq ans. Ça, j’aimerais que ce soit diffusé dans toutes les classes.

NPS Soyez sûr que votre message va être transmis, en tout cas dans le cadre universitaire. Dans nos cours. On pourrait très bien aussi donner ces références dans le cadre du RUFUTS[2], un regroupement des unités de formation universitaire en travail social. On pourrait leur transmettre aussi ces références-là. En les invitant à les faire connaître, on ferait déjà des petits pas de plus.