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NPS – Dans un premier temps, pourriez-vous nous parler du mandat du Centre de santé des femmes de Montréal (CSFM) ? Dans quel contexte l’organisme a été créé et comment il a évolué depuis sa création ?

Le Centre de santé des femmes est un organisme communautaire autonome féministe créé en 1976 dans la foulée des mouvements féministes français et québécois. Au départ, c’était un organisme d’information sur la santé avec des activités d’autosanté, c’est à dire des femmes qui mettent ensemble leurs connaissances. Dans les années 1970, Internet n’existait pas et donc c’était vraiment un centre de documentation qui très vite a donné de l’information précise, au téléphone ou sur place, aux femmes concernant la contraception, l’avortement, la santé gynécologique, le test Pap... Très rapidement, le besoin d’offrir des services s’est ajouté au fait d’avoir un centre d’information. C’est une mission qui est restée, pas exactement sous la même forme, mais on répond encore à des milliers d’appels tous les ans, sur toutes sortes de sujets en santé des femmes.

À ça s’est ajouté le besoin de faire les ateliers, en co-construction, mais très rapidement le besoin d’avoir un autre lieu que les hôpitaux pour l’avortement a pointé. Au début des années 1980, il y avait cinq CLSC qui n’avaient pas le droit de pratiquer des avortements dans leur milieu — c’était avant la dépénalisation de l’avortement — qui ont contacté le centre : « est-ce qu’on pourrait le faire dans votre milieu si on vous prête les médecins et les infirmières ? » Parce qu’à cette époque, le gouvernement québécois était obligé de respecter la loi qui interdisait l’avortement, mais il payait les médecins qui le faisaient.

NPS – Combien de temps a duré cette période-là ?

Pendant six ou sept ans, puisque l’avortement est sorti du Code criminel en janvier 1988, donc toutes ces années-là, on a continué à faire ça. Et très rapidement, ce n’était plus les CLSC, c’est le centre qui s’est équipé, et le ministère de la Santé a trouvé des façons de subventionner le centre, en utilisant d’autres ressources, pas directement. Les médecins étaient payés directement par la RAMQ et le centre recevait des montants, qui étaient petits à l’époque, on s’entend. Mais le Centre n’était pas le seul à Montréal, à cette époque-là cinq centres de santé des femmes au Québec se sont implantés : Outaouais, Mauricie, Québec, Sherbrooke et Montréal. Québec et Sherbrooke ont fermé quelques années plus tard, mais les trois autres sont toujours en activité. Nous avons tous commencé à faire des avortements au même moment.

Avec ça, se sont greffés au CSFM d’autres services en santé sexuelle et reproductive. Pendant un bout de temps, il y a eu des suivis de grossesse qui se faisaient au centre, il y a eu des cliniques gynécologiques, des ateliers, toutes sortes de choses. Les équipes qui étaient là avaient un côté aussi d’expérimentation interne, et sur le long terme, la gestion collective a mené à un rétrécissement de la mission : au début des années 2000, c’était vraiment devenu un centre d’avortement. Un service d’information téléphonique, des ateliers sur la cape cervicale et c’est tout. Moi quand je suis arrivée là, en 2007, j’étais étonnée du fait qu’il ne rest[ait] plus que ça. Je trouvais qu’on ne répondait pas parfaitement à la mission avec seulement une clinique d’avortement. Donc on a fait une espèce de grand forum ouvert, avec les membres. Il restait une vingtaine de membres à peu près, il y avait une équipe de 8-10 personnes, et donc on a fait un grand forum ouvert en 2007 pour réfléchir : si on veut faire autre chose, on fait quoi ?

Organiser ce forum ouvert a été très, très positif parce que la formule convenait bien, beaucoup de personnes ont participé et il y a vraiment eu de belles idées qui sont sorties de ça : on devrait avoir une clinique gynécologique, il y a trop de femmes qui cherchent des endroits pour se faire poser un stérilet, par exemple. On devrait recommencer les ateliers d’éducation populaire qu’on faisait il y a 25 ans, il faudrait reprendre ça, il faudrait offrir plus de services, etc. Alors on a ouvert la clinique gynécologique à ce moment-là, en 2008, une clinique gynécologique d’installation du stérilet, de gynécologie de première ligne, d’ITSS, de contraception. On a recommencé l’éducation populaire progressivement, et évidemment on a continué à faire des avortements. Il y avait beaucoup d’inquiétude par rapport à ça, parce que c’était l’époque où il y a eu une menace au moment de la loi 33, qui était la loi des cliniques médicales spécialisées. Je vous rappelle le contexte : Micheline Charest, une productrice de cinéma, a perdu la vie d’une façon vraiment bête et méchante, dans une clinique privée où elle se faisait refaire les seins et le ventre. Et là le gouvernement avait décidé — c’était Philippe Couillard qui était le ministre de la Santé à ce moment-là : il faut mettre des normes. Au départ ça devait être pour les cliniques esthétiques, vraiment le privé-privé là, et à la dernière seconde, il y a eu l’avortement là-dedans, et là il y avait une vision extrêmement étroite du type de lieu possible pour faire des avortements en dehors de l’hôpital. Et dans cette vision, les trois centres, on n’était pas là. Et là s’est engagée une guerre avec le gouvernement, mais littéralement une guerre. Le gouvernement nous disait : « C’est pas compliqué : donnez votre clinique aux médecins qui pratiquent chez vous », c’était ça la réponse, parce que les seuls endroits où ce sera possible de faire des avortements, c’est les lieux où le propriétaire est un médecin. Parce qu’il ne faut pas oublier que les médecins au Centre de santé, ils sont absents du conseil d’administration, ce sont des collaborateurs, mais ils n’ont aucun pouvoir autre que sur leur pratique, ils n’ont pas de pouvoir sur l’organisation, ils n’ont pas de pouvoir sur les employées. Donc, ça a été une guerre, mais une guerre que nous avons gagnée. On a réussi, on est allées en commission parlementaire, on a fait beaucoup de lobby, et on a fait changer la loi, pour inscrire dans la loi de la santé que les avortements peuvent se faire dans les centres de santé communautaire autonomes.

Alors maintenant, aujourd’hui, le Centre mène cinq actions pour réaliser sa mission. La première, c’est la ligne téléphonique : on donne de l’information. Sur notre site Web, toute l’information est là, pour avoir un avortement, et c’est ouvert à toutes alors il y a beaucoup de gens qui viennent le lire même si ce n’est pas chez nous qu’elles viendront après. Parce que notre position, c’est : on dit tout, prenez vos décisions. La seconde, c’est l’avortement. On est un lieu connu d’avortement, parce qu’on y applique l’approche féministe, c’est très important. On enseigne cette approche-là aux professionnelles, on enseigne aux infirmières à faire des examens gynécologiques avec une approche féministe en santé. Par exemple, ça veut dire toujours demander la permission avant de toucher quelqu’un. Ça, on le sait que dans le milieu de la santé, ce n’est pas ce que les infirmières apprennent : elles se permettent de toucher les gens sans demander la permission. On reçoit beaucoup de stagiaires, médecins, qui viennent apprendre à faire des avortements chez nous, des infirmières, des sexologues. On fait aussi beaucoup de sensibilisation à la réalité de l’avortement en faisant des ateliers pour les futures professionnelles, donc on reçoit régulièrement des groupes d’étudiants en sexologie, en travail social, en psychologie, pour les sensibiliser.

Donc, il y a notre clinique gynécologique qui a été développée principalement pour des clientèles vulnérables, alors on a créé des ententes avec de très nombreux organismes qui s’occupent des femmes. Que ce soient des maisons d’hébergement, toutes sortes de groupes qui s’occupent de femmes vulnérables, de femmes immigrantes, pour les femmes qui ont des problèmes de toxicomanie, avec les organismes qui s’occupent des travailleuses du sexe, avec plein de groupes comme ça où c’est très simple de nous envoyer quelqu’un. Beaucoup d’organismes en déficience intellectuelle aussi. On a créé des ententes avec tous ces groupes, et c’est aussi toutes les femmes qui sont déjà venues pour un avortement qui peuvent revenir pour leur suivi en contraception et en ITSS.

Dans la réforme de la santé, malheureusement, les personnes vulnérables, ce sont elles qui écopent le plus, et c’est extrêmement difficile pour une femme qui a un problème de santé mentale d’être bien accueillie, qu’elle ait besoin de services en ITSS ou en contraception, c’est pas simple. Pour les femmes immigrantes, c’est pas simple, c’est pas simple pour grand monde, mais pour les clientèles vulnérables, c’est pire. Et en plus, comme les médecins ont une obligation d’en faire plus, de voir plus de gens, ça marche comme dans une usine, alors quand on vient d’un pays où la contraception n’est peut-être pas accessible et qu’il faut se faire raconter tout ce qui existe... c’est pas ça qui se passe. Pour nous, c’est extrêmement important de prendre le temps. Les infirmières ont un peu plus de temps, elles peuvent passer à travers la gamme de la contraception possible, pour que la femme soit outillée pour prendre les décisions. Nous pensons qu’une contraception imposée risque de tomber, pour toutes sortes de raisons, alors qu’une contraception choisie est une contraception qui va être bien tolérée. Pour nous, c’est très important de prendre le temps, de se considérer égale à la femme qui est en face de nous. On cherche à transmettre des connaissances dans un langage qu’elle peut comprendre, selon les limites de la langue, les limites de la compréhension, et c’est elle qui prend la décision sur ce qui va lui convenir. Ce qui peut vouloir dire : pas de contraception dans son cas.

Finalement les ateliers. On a commencé tout doucement à offrir des ateliers, ça nous a pris du temps, mais les ateliers d’éducation populaire, maintenant on en fait beaucoup : on est rendues à une cinquantaine par année, peut-être un peu plus même, où on va dans les milieux. Il y a quelques années, on s’est rendu compte qu’il y avait des besoins pour les personnes qui vivent une déficience intellectuelle, parce que ces personnes n’entendent jamais parler de sexualité. Et il y a une étude qui est sortie, au Québec, disant que les femmes avec une déficience intellectuelle vivent des situations d’abus dans 80 % des cas. 80 % ! Ça n’a aucun bon sens ! Alors on s’est dit : il faut qu’on fasse quelque chose. Avec l’aide d’une stagiaire en sexologie, on a monté une série d’ateliers, et là actuellement, il y a un projet pour qu’on aille former des formatrices à l’extérieur de Montréal, aux quatre coins du Québec, parce qu’on est les seules à avoir monté un atelier spécifiquement pour les personnes vivant avec une déficience intellectuelle. C’est beaucoup axé sur le consentement, sur comment on fait quand on a envie d’avoir une vie sexuelle mais que c’est compliqué parce que tous les adultes autour de nous, même si on est une adulte, nous considèrent comme des enfants. Alors on aide à mesurer ce qui est acceptable, dans quel contexte, faire la différence entre le consentement, la différence aussi avec vouloir de l’attention, de l’affection, d’aller plus loin, tout ça. Mais on fait aussi des ateliers auprès des femmes immigrantes, en collaboration avec le Centre des femmes de Montréal, sur le système de santé au Québec : comment le comprendre quand on est une nouvelle arrivante, comment se débrouiller dans ça ? On fait aussi des ateliers dans des prisons, pour rencontrer les femmes qui vont sortir dans les mois qui viennent, pour faire un petit rafraîchissement sur la contraception, les ITSS, les moyens de se protéger, etc. On fait des ateliers aussi sur les sexualités positives, je dirais, autant pour les personnes qui ont des déficiences intellectuelles, mais dans d’autres milieux aussi. On va parler de ménopause et sexualité dans certains groupes. On a des fois des choses étonnantes, on a eu des résidences de personnes âgées qui voulaient parler d’avortement, l’objectif étant de pouvoir parler d’avortement avec les filles et petites filles. Alors on est très ouvertes et on va dans beaucoup de milieux, pour développer les ateliers d’éducation populaire, c’est un beau développement du Centre.

Finalement, il y a la défense de droits. On est toujours attentives à s’assurer que les droits des femmes en santé sexuelle sont respectés donc voilà, je vous dirais que c’est ça le Centre. Aujourd’hui, le Centre, c’est 15 employées et 6 médecins. On travaille beaucoup avec la Fédération du Québec pour le planning des naissances, on travaille avec nos collègues des autres centres, avec qui on a créé un site Internet commun.

NPS – Merci pour cette présentation du Centre. Maintenant, nous aimerions aborder les défis que les femmes peuvent rencontrer par rapport à l’avortement, à partir du point de vue privilégié du Centre de santé des femmes. Pour commencer, pourriez-vous nous dire comment ça se passe, au Québec, quand un couple n’arrive pas à s’entendre sur un avortement ?

La loi est très claire, il n’y a qu’une seule personne qui décide en tout temps et dans n’importe quelle situation : c’est la femme. Le conjoint n’a rien à dire. Nous, on voit souvent des femmes qui viennent se faire avorter sans en avoir parlé à personne. Et il n’y a pas de bonne ou de mauvaise raison. Si la femme décide que, pour elle, c’est la meilleure chose à faire, c’est la meilleure chose à faire. Donc, sa parole est toujours prise en compte, c’est la sienne, c’est son corps, c’est sa décision. Aussi simple que ça. Des fois, ça en choque quelques-uns, mais pour nous, c’est très, très, très clair. Donc c’est vraiment elle qui décide. Dans tous les ateliers, on le répète : la contraception c’est la décision de la femme, l’avortement, c’est la décision de la femme, c’est elle qui décide pour elle-même. Et c’est un message qu’il faut qu’on répète, parce que ce ne sont pas toutes les femmes qui le savent. Je pense même que c’est une minorité qui le sait. On a l’impression que c’est une histoire qui se joue à deux. Ce n’est pas une histoire qui se joue à deux. Et si une femme décide de poursuivre la grossesse, c’est sa décision à elle.

Au Québec, si on parle d’avortement, c’est un des endroits privilégiés dans le monde. Même dans la majorité des pays occidentaux, il y a des limites de temps qui ont été mises, c’est encadré par une loi quelconque. Au Canada, ce n’est pas encadré par une loi, et nous, on dit : c’est très bien. Certains parlent de vide juridique. Il n’y a pas de vide juridique, l’avortement n’a pas à être dans le Code criminel, tout simplement. C’est une décision médicale qui regarde la femme, avec le personnel du système de santé dont elle a besoin pour accomplir sa décision. Je fais tout le temps la blague : la vasectomie n’est pas encadrée par une loi fédérale, alors il n’y a aucune raison que l’avortement le soit ! Au Québec, cette guerre-là a été faite par les médecins, avec le Dr Henry Morgentaler. L’arrêt Morgentaler en 1988 a été fondamental : l’avortement a été décriminalisé, et tout le monde a cessé de faire des poursuites contre les médecins. Il y a eu ensuite, un an plus tard, l’affaire Chantal Daigle qui a été fondamentale et qui a eu un impact très fort, surtout sur les Québécoises. Dans cette affaire, un homme a voulu interdire à sa conjointe de se faire avorter. Dès que cette femme est tombée enceinte, il est devenu violent envers elle et elle a réalisé qu’elle ne voulait pas d’enfant de cet homme-là. Elle a cherché à avoir un avortement, et il a demandé une injonction et, au départ, il l’a eue, pour l’empêcher d’avorter. C’est le CSFM qui a aidé Chantal Daigle à défier la cour et à se faire avorter quand même. Quand ça s’est… parce que ça s’est rendu jusqu’à la Cour suprême, cette histoire, et au moment de passer devant les juges, l’avocat de Chantal Daigle n’avait pas été informé que nous l’avions amenée aux États-Unis. Parce que tout ça a pris des semaines, ça avançait la grossesse, alors nous, on l’a aidée à obtenir un avortement aux États-Unis, on est allées avec elle, on l’a déguisée, c’était dangereux, c’était… tout le monde qui était dans la voiture pouvait se retrouver en prison.

Les juges de la Cour suprême ont été mis au courant que l’avortement avait eu lieu, mais ils ont décidé de procéder quand même, parce que la décision était trop importante à prendre. En 1989, ils ont jugé que c’était qu’à la femme de décider. Je dis souvent, la bataille de Henry Morgentaler a été une bataille de médecins, pour ne pas qu’ils se fassent poursuivre. La bataille de Chantal Daigle, ça a été une bataille des femmes pour elles-mêmes. Alors, à ce moment-là, les groupes féministes ont vraiment poussé pour l’accès. Pas juste sur la question de la décriminalisation. Ça ne s’est pas passé comme ça dans le reste du Canada, les services se sont développés, mais pas de la même manière qu’au Québec. Ce qui fait qu’au Canada, il y a en tout environ 100 points de service pour l’avortement. Au Québec, il y en a 50, alors la moitié des points de services sont au Québec.

Chantal Daigle a eu autant d’importance que Henry Morgentaler. Souvent, les journalistes, les autres groupes ont tendance à juste parler de Morgentaler, mais non, l’histoire Chantal Daigle a eu autant d’importance. L’autre bataille, après ça, ça a été la bataille pour la gratuité, dans n’importe quel lieu. C’est une bataille qui a été gagnée en 2007, pour que les femmes puissent choisir le lieu. Là, il y avait plus rien qui empêchait l’avortement, c’était considéré comme un service de santé à donner. C’était gratuit si on allait dans un CLSC, mais il fallait payer quelque chose si on venait au CSFM, à la clinique Morgentaler ou une autre clinique. Ce qui n’était pas logique. Et il y a eu un regroupement et un recours collectif, gagné en 2006, la juge a dit : c’est un service de santé, les femmes n’ont pas à payer, et c’est aux femmes de choisir le milieu dans lequel elles veulent obtenir ça. Si on va dans une clinique qui est la propriété d’un médecin pour notre rhume, on n’a rien à payer, qu’on aille au CLSC, à l’hôpital, au cabinet de médecin. Pour l’avortement, c’est la même chose. Alors, ça a été gagné, cette bataille-là. Le gouvernement a essayé de s’en sortir (du recours collectif), mais finalement, il a été respecté, et à partir de janvier 2008, c’est devenu gratuit dans n’importe quel milieu. Pour nous, c’était important aussi cette question de la gratuité.

C’est important de défaire un peu certains mythes liés à l’avortement. Chez nous et dans beaucoup de milieux, 60 % des femmes qui viennent se faire avorter ont déjà des enfants. Donc, ce n’est pas une histoire de jeunes filles. Quand on regarde les groupes d’âge, c’est les femmes dans la vingtaine les premières, puis les femmes dans la trentaine, et après seulement, les adolescentes. Parmi les femmes qui viennent avorter, beaucoup ont des enfants, c’est des accidents de contraception. C’est difficile la contraception. Il n’y a aucune contraception qui est fiable à 100 %, même la ligature des trompes, même la vasectomie, alors c’est courant qu’il y ait des accidents de contraception. Il y a beaucoup de méthodes de contraception, dont les plus courantes sont extrêmement difficiles à bien suivre. La pilule, c’est compliqué à suivre : il faut la prendre à la même heure tous les jours, il faut se rappeler si on a vomi parce qu’on avait la grippe, il faut tout le temps se rappeler d’un tas de choses, c’est lourd. Et puis il y a des femmes qui sont d’une fertilité incroyable. On a vu des femmes, elles sont tombées enceintes alors qu’elles avaient utilisé le condom, elles sont tombées enceintes alors qu’elles prenaient la pilule, elles sont tombées enceintes alors qu’elles avaient un stérilet… elles tombent enceintes ! Alors il y a des femmes, il y a des couples qui sont extrêmement fertiles. Il y a des femmes de tous les milieux, de toutes les religions, de toutes les classes sociales, de partout. On a un kaléidoscope de la société. Au Canada, on estime qu’une femme sur 3 va se faire avorter. Donc, il y a beaucoup de femmes qui se font avorter, pour toutes sortes de raisons. Pour la majorité, ça se fait au tout, tout, tout début de la grossesse. On parle de 98 % des avortements qui se font dans les premières semaines de la grossesse.

NPS – Vous dites que la majorité des IVG vont se faire en début de grossesse, mais qu’est-ce qui arrive si une femme se présente au 2e trimestre de sa grossesse ?

Dans le deuxième trimestre, au Québec, il n’y a pas de problème pour avoir un avortement jusqu’à 23 semaines, 24 semaines. Il n’y en a pas beaucoup en passant, le nombre n’est pas très grand. Alors, il y a un centre à Montréal, qui est lié au CLSC des Faubourgs, et un centre à Sherbrooke qui en fait, et il y a un projet actuellement pour développer ça autour du nouvel hôpital communautaire de l’ancien hôpital Notre-Dame. Après le deuxième trimestre, le gouvernement prend en charge l’organisation d’un avortement aux États-Unis. Il y a très peu de cas, on s’entend. Et c’est souvent des cas où les femmes ne se sont pas rendu compte qu’elles étaient enceintes.

NPS – Qu’est-ce que vous entendez par organiser ?

Le CLSC va prendre contact avec la clinique américaine, et le gouvernement va payer pour l’avortement aux États-Unis. Il y a bien sûr des frais, par contre, et ce ne sont pas toutes les femmes qui peuvent aller aux États-Unis. Si une femme n’a pas le visa nécessaire, parce qu’elle est originaire d’un certain pays... là, ça devient compliqué. Le groupe de médecins au CLSC des Faubourgs est très dynamique, très dévoué pour essayer de trouver des solutions. Je l’ai vécu encore cette semaine, on a appelé le médecin en charge, on dit : « on a un problème, cette femme ne peut pas aller aux États-Unis », alors il a remué ciel et terre, et elle a obtenu un avortement. Il a fallu qu’elle change de ville, elle est allée à Sherbrooke, mais ce groupe-là a fait ce qu’il fallait. Ce qui est un petit peu dommage, c’est que, pour le troisième trimestre, les gynécologues dans les hôpitaux sont en mesure de le faire…

NPS – Pouvez-vous nous expliquer pourquoi les femmes vont aux États-Unis ?

C’est un des derniers bastions qu’il faut casser, l’avortement de troisième trimestre. Les médecins, dans les hôpitaux comme Sainte-Justine, par exemple, s’arrogent un droit de regard. Ils disent oui à une et non à l’autre. Alors il y a une espèce de comité d’éthique qui prend la décision. Ce qui nous ramène aux sombres années où il y avait des comités, les comités Lazure, qui décidaient si une femme pouvait se faire avorter ou pas. Ça, c’est ce qu’il reste à défaire et c’est ça le projet actuellement autour de Notre-Dame, où il y aurait des médecins et où ces questions-là ne se poseraient pas. On s’entend, hein, c’est rarissime, mais il faut faire la bataille pour ces femmes-là aussi. Donc oui, c’est un problème, mais on sent qu’on commence à faire bouger la machine, parce que les compétences sont là, et c’est juste qu’il y a ces comités éthiques dans les hôpitaux qui viennent s’interposer, et ça, c’est quelque chose qu’il faut défaire, vraiment.

NPS – Et en ce qui concerne les femmes qui viennent d’arriver au Québec, qu’en est-il de leur accès à l’avortement ?

Pour les femmes qui n’ont pas de carte d’assurance maladie, là, les problèmes peuvent être nombreux. Premièrement, il y a le programme qu’on appelle le PFSI, le Programme fédéral de santé intérimaire, pour les personnes qui demandent l’asile ou qui ont obtenu récemment le statut de réfugiées. Ces personnes-là reçoivent du fédéral une couverture médicale complète, où qu’elles soient dans le pays. Une femme qui a un numéro de PFSI va obtenir un avortement et des soins en santé sexuelle. Sous Harper, ça a changé. C’est là qu’ils ont introduit toutes sortes de catégories à l’intérieur de ce programme. Certaines y avaient droit, certaines n’avaient plus droit, et c’était la consigne du gouvernement Harper. Tout ça a été changé à nouveau sous le gouvernement Trudeau, et maintenant toutes les femmes sous PFSI peuvent avoir accès aux soins de santé sexuelle et reproductive, incluant l’avortement. Au Québec, quand il y a eu ces restrictions d’accès, le gouvernement du Québec a compensé. Une femme qui était sous PFSI et qui se faisait refuser d’avoir un avortement gratuitement, on pouvait aller, nous, comme clinique, demander au gouvernement québécois de nous rembourser entièrement. Alors ça, c’est pour le PFSI.

Pour les femmes sans carte d’assurance maladie, il y en a quand même beaucoup plus qu’on pense. Il y a par exemple le cas des étudiantes. Les étudiantes sont couvertes par des assurances privées qui sont liées aux universités, et elles n’ont pas le choix de cette assurance privée. Chaque université choisit quelle assurance va couvrir ses étudiantes. Il y a eu une bataille qui a été menée par la Fédération du Québec pour le planning des naissances, il y a quelques années, pour faire campagne auprès de toutes les compagnies d’assurance et les universités, parce que ce n’était pas couvert, l’avortement pour les étudiantes. Alors cette bataille-là a été gagnée. Maintenant, toutes les universités et cégeps, c’est couvert. Une seule université n’a pas voulu embarquer et c’est l’université Bishop, parce qu’ils n’ont pas voulu faire les démarches : c’est l’université qui devait demander à leur assureur de changer ça.

Mais souvent, une étudiante étrangère va arriver par exemple au printemps pour la session qui commence à l’automne. Or, elles ne sont pas couvertes pendant l’été. Leur assurance dit qu’elles ne sont pas encore étudiantes, elles le seront à partir de la fin août. Mais il arrive qu’elles tombent enceintes pendant l’été : là, il faut qu’elles payent.

NPS – À combien s’élèvent les coûts ?

C’est extrêmement variable. Pour le secteur public, quand il s’agit de faire payer, ils n’aiment pas ça. Ils trouvent que c’est du trouble, il faut s’arranger avec la comptabilité. Et on a vu le cas d’une femme, où, dans un hôpital, elle était un peu plus avancée, elle était au début du deuxième trimestre et ils lui ont demandé de faire une avance de 5 000 $ sur sa carte de crédit. Ça, c’est extrêmement pénible. Nous, comme organisme communautaire, on a décidé d’être les moins chers. Donc, si par exemple, vous allez dans un hôpital, ça peut coûter 2 000 $, un avortement. Dans une clinique à gestion privée, ici, à Montréal, ça va coûter 700 $ ou 750 $, quelque chose comme ça, pour un avortement de 1er trimestre, un peu plus cher pour un 2e trimestre. Au CSFM, on est à 650 $. En plus, nous avons créé un fonds d’aide pour les femmes sans carte. On aide environ 80 à 100 femmes par année, en diminuant le coût d’un avortement. Mais ça coûte quand même quelque chose. Au minimum, ça va leur coûter 250 $, 300 $. Et là, notre fonds est épuisé, on recommence à faire de la levée de fonds pour avoir des sous pour ça. Il y a des femmes qui sont ici de façon illégale, il y a des femmes qui sont de passage. Et dans les femmes qui n’ont pas de carte, il y en a qui payent. On s’entend qu’il y a des femmes qui voyagent avec une assurance privée, qui sont ici pour un certain temps, qui sont venues travailler ici pendant quelques mois et qui ont une assurance privée qui couvre. Alors, ces femmes payent et se font rembourser dans leur pays par leur assurance. Mais il y a aussi des femmes qui n’ont pas ces ressources-là, et c’est ces femmes-là que le fonds va aider. Le secteur public nous en envoie, on en voit donc beaucoup. En région, j’en parlais avec un collègue dans le Bas-Saint-Laurent, qui fait pas mal tous les avortements de la région, et qui dit : on en a peut-être un ou deux cas par an, et pis à ce moment-là, il dit : nous, on s’arrange, c’est un ou deux cas, on ne dit pas un mot pis on le fait, on ne leur demande pas d’argent. Mais nous, on arrive dans des chiffres plus importants, ça coûte cher, on ne peut pas se le permettre. Les médecins, eux, n’acceptent jamais de faire ça gratuitement. Donc, nous, il faut qu’on paye le médecin pour qu’il le fasse. Donc, ça, c’est un petit peu plus délicat. Alors, c’est sûr qu’une solution plus globale serait intéressante. Mais je ne sais pas si ça va arriver un jour, parce qu’on voit bien que pour les gouvernements, c’est compliqué à gérer, ce genre de situation là.

NPS – Puisque nous parlons des femmes immigrantes, qu’elles aient une carte d’assurance maladie ou pas, pouvez-vous nous dire quel genre d’obstacle elles peuvent rencontrer dans l’accès aux services de santé reproductive ?

Je pense que c’est la méconnaissance des droits, je dirais que ça, c’est en premier. Elles pensent qu’elles n’y ont pas droit, ou alors que le conjoint est au courant, ou parfois, l’obstacle est aussi très personnel. Elles ont souvent l’impression qu’elles sont les seules de leur communauté. Pendant longtemps, au Centre de santé des femmes, on a fait des prérencontres collectives, où on mettait plusieurs femmes ensemble, qui allaient avoir un avortement dans l’après-midi ou le lendemain, et elles pouvaient partager, et souvent c’était ça, l’apport le plus important de ces rencontres-là. Des fois, elles voyaient des femmes de leur communauté, elles se disaient : « Mon Dieu, je ne suis pas la seule ». Par contre, aujourd’hui, les femmes ne veulent plus de ces rencontres collectives, parce que pour la majorité des femmes, elles sont à l’aise avec leur décision, et donc à partir du moment où on est à l’aise avec sa décision, ce qu’on veut, c’est que ça aille le plus rapidement possible. Donc, là, ça prenait du temps, quand on faisait ça collectivement, ça prenait tout un après-midi, alors que maintenant on a changé notre méthode. La femme arrive, deux heures et demie après, elle est partie, et c’est terminé. Donc, je te dirais que les obstacles sont vraiment plus personnels, un manque de connaissance des droits, savoir que ça existe. Bien qu’avec Internet, évidemment, c’est plus facile, et le 811 donne des informations très correctes sur l’accès à l’avortement. Donc, ça, c’est une bonne nouvelle, de penser que le secteur public donne la bonne information.

Ensuite, la prochaine bataille de notre milieu, ça va être la contraception gratuite. Le ministre Barrette a commencé, sans même s’en rendre compte. Il a décrété qu’une femme qui avait un avortement par instruments pouvait obtenir un stérilet de cuivre gratuitement. Il a commencé ça. Va falloir qu’on le replace, là, parce qu’on ne voit pas pourquoi ces femmes-là ont un stérilet gratuit, pourquoi pas un stérilet — il y a deux types de stérilets — pourquoi pas un stérilet avec hormones si elle préfère ce stérilet-là, pourquoi seulement le stérilet de cuivre, et pourquoi une femme qui n’a pas besoin d’un avortement et qui veut un stérilet gratuitement ne l’aurait pas. C’est la prochaine bataille. Il y a une incongruité incroyable dans cette décision, qui a pris tout le monde par surprise, y compris son propre ministère. Mais, il a ouvert une porte. À partir du moment où il y a possibilité d’avoir, dans ce contexte, une contraception gratuite, on ne voit pas pourquoi on n’étendrait pas la chose à la contraception gratuite pour toutes.

NPS – Pouvez-vous nous parler des enjeux autour des délais pour accéder à un avortement ?

Honnêtement, les délais, il n’y en a pas tellement, quand on est dans la grande région montréalaise. Toute femme va réussir à obtenir un avortement dans la semaine, la semaine suivante ou l’autre qui suit. Des fois, l’attente, c’est que tout le monde n’a pas exactement la même pratique. Il y a des médecins qui préfèrent attendre un petit peu, en termes de nombre de semaines, qui vont commencer par exemple à six ou sept semaines. Nous, maintenant, on n’a plus ça, on commence dès la fin de la quatrième semaine, cinquième semaine. Alors, des fois, donc, les délais sont liés au fait que la femme doit attendre un tout petit peu, parce que, maintenant, les femmes apprennent très tôt qu’elles sont enceintes. Les moyens techniques se sont améliorés avec le temps. Avant, ça prenait quand même quelques semaines avant qu’une femme s’en rende compte. Maintenant, les tests de grossesse sont sensibles beaucoup plus tôt, donc elles le savent très vite. Et je vous dirais qu’au Québec, globalement, il est rarissime que les femmes doivent attendre très longtemps. Il est évident qu’en région, ça peut être un peu plus compliqué, mais il y a des régions qui ont mis sur pied de l’aide financière pour que les femmes se déplacent. On veut que même dans le secteur public, et nous on milite pour ça, on arrive à faire un avortement en une seule visite, comme nous le faisons dans la région montréalaise On souhaite que tous les milieux offrent ça en une seule visite plutôt que deux, pour faciliter la vie des femmes. Une femme qui veut un avortement peut en avoir un cette semaine si elle est assez avancée pour en avoir un. Là-dessus, c’est exemplaire, honnêtement.

Il y en a qui pensent qu’avec la pilule abortive, ça va améliorer l’accès pour les femmes en région. Personnellement, je me méfie beaucoup de ça. Quand je regarde les femmes de la grande région montréalaise, elles choisissent peu cette méthode, qui est complètement différente. Elle a l’avantage de pouvoir faire ça à la maison, mais elle exige de deux à trois visites, elle exige d’avoir de 24 à 48 heures de libres devant soi, elle exige d’être capable de tolérer un certain niveau de douleur qui peut être important chez certaines femmes, et enfin d’avoir à gérer avec le produit de grossesse seule. Et nous on le voit là, c’est en place depuis déjà plusieurs mois, et je parle avec plusieurs collègues, nous, il y a une à deux femmes par semaine seulement qui choisissent cette méthode. Elles le vivent bien parce qu’elles l’ont choisi, c’est très bien. La plupart des femmes, elles répondent : « je préfère rester avec vous. Vous allez être avec moi pendant tout le processus », ou bien elles disent : « je n’ai pas ce temps-là », ou alors, « je veux que ma douleur soit totalement contrôlée ». Parce que quand on reste avec une équipe qui est là en soutien, si ce qu’on donne n’est pas suffisant, on en rajoute. On va donner ce qu’il faut pour la soulager. À la maison, ça se passe autrement. Donc, moi, je ne suis pas certaine que dans un milieu comme le Québec, où c’est facilement accessible, que ça va être très populaire. Ça, c’est mon opinion personnelle, ça commence tout juste, sachant que ce n’est même pas encore disponible dans la majorité des points de service. Moi, ça m’attriste que, par exemple, dans certains pays scandinaves, où c’est la majorité des avortements qui se fait avec la pilule abortive, l’accès à l’autre méthode est quasi inexistant. Quand l’accès est égal entre les deux méthodes, la pilule abortive ce n’est pas nécessairement ce que les femmes choisissent. Et au Québec, on veut s’assurer que l’accès reste égal. On veut que ce soit un choix pour les femmes. Moi, je trouverais ça absolument scandaleux, si jamais, parce que c’est en région, c’est la seule méthode accessible. Parce qu’il n’y a pas de méthode plus naturelle que l’autre. La pilule abortive prend des médicaments puissants pour, un, faire cesser la grossesse et, deux, l’expulser, et la période de l’expulsion peut être assez douloureuse. Il y a des études qui ont montré que 25 % des femmes qui prennent la pilule abortive ont trouvé l’expérience intolérable. Ce n’est pas rien, 25 %, en termes de douleur. Alors, dans une société comme la nôtre, où l’avortement est mieux accepté, on sait que la majorité des Québécois.e.s sont en accord avec l’avortement, ça s’est normalisé. Des pratiques ont été développées pour que les femmes souffrent le moins possible, que ça prenne le moins de temps possible, que ça se fasse le plus simplement possible par des équipes dédiées qui vont respecter les femmes. Donc, le côté traumatique, qui pourrait être, n’est pas vécu comme ça. On est un lieu un peu spécial dans le monde, parce qu’il y a très peu de sociétés qui étaient rendues où on était rendu, et où la pilule abortive arrive si tard, et nous, on est curieuses de voir. Nous, dans nos milieux, on a travaillé très fort pour tout préparer pour l’arrivée de cette pilule-là, on a refait tous nos protocoles, nos documents, mais… Ces temps-ci, on se dit, tout ça pour ça ! Il y a très, très, très peu de femmes qui choisissent cette option. Même des femmes qui s’en venaient en disant, c’est ce que je veux, rendues sur place, changent d’idée. On va voir, peut-être que ça va changer, mais on va voir. C’est assez intéressant de voir, parce que je pense que c’est la seule société où ça se passe comme ça.

En dix ans, on constate deux choses. Un, les femmes qui viennent ont moins de temps, leur décision est claire, elles veulent qu’on contrôle leur douleur, et que ça se passe rapidement. Elles sont très pragmatiques par rapport à ça. Les décisions, la réflexion, elles l’ont fait avant, et quand elles arrivent, ce bout-là est clair. Maintenant, il faut que ça arrive, de façon très, très pragmatique. Je ne suis pas certaine que, dans d’autres pays, ce soit développé de façon si simple qu’ici en termes de méthode, de milieu, d’organisation. Une femme qui apprend qu’elle est enceinte aujourd’hui, elle peut téléphoner, et dans quelques jours ce sera terminé. Donc, c’est très, très différent, et on est dans une société où c’est beaucoup moins stigmatisé qu’ailleurs. On en entend parler dans des téléromans, on a vu des personnalités publiques prendre la parole pour dire qu’elles avaient avorté, pour parler de leur expérience. On est dans une société où c’est beaucoup plus accepté. Donc, la pilule arrive, et elle est perçue par plusieurs comme un choix supplémentaire, mais qui n’est pas le choix numéro un des femmes. Aux États-Unis, dans les périodes où ça ressemblait quand même un peu à ici, ça n’a jamais dépassé 23-24 %, la pilule abortive. Ici, j’ai bien hâte de voir ce que ça va donner. Pour le moment, nous, alors que c’est en place depuis janvier, c’est rarissime. Ça va être intéressant de voir comment ça va évoluer, c’est l’expérience qui va nous le dire. Ce que les femmes vont choisir, l’important, c’est ça, ce mot-là, le choix, que les femmes puissent choisir.

NPS – Finalement, nous voulions évoquer avec vous ce qui est parallèle à l’accès à l’avortement : l’accès à la contraception. Qu’est-ce qui devrait être fait selon vous, au Québec, qu’est-ce qui pourrait être amélioré ?

Je vais rêver OK ? Moi, je pense que des Centres de santé des femmes, il devrait y en avoir dans toutes les régions, pour la contraception, pour les ITSS. Des lieux d’accueil, où les gens vont pouvoir avoir toutes les informations, où elles vont se sentir à l’aise. Je pense que ça serait merveilleux, qu’il y en ait partout. C’est pas toujours évident de parler de ça avec son médecin de famille, aussi simple que ça. Alors des lieux dédiés, de façon spécialisée, des lieux d’accueil sans jugement, un peu la même chose que la bataille de l’avortement, pour que les équipes soient sans jugement, il a fallu travailler pour ça. Je pense qu’il faut faire la même chose pour la contraception. De la même façon que pour les ITSS, c’est un peu normal qu’il y ait des cliniques, mêler les deux, contraception, ITSS, pour nous c’est logique, et je pense qu’il devrait y avoir des lieux comme ça, où ce sont beaucoup des infirmières qui donnent de l’information et qui prescrivent. Ça, c’est clair. Que ce ne soit pas si compliqué pour obtenir une pose de stérilet, parce que, pour beaucoup de femmes, c’est la croix et la bannière. Et ce n’est pas un travail de gynécologue, c’est un travail de médecin et d’infirmière, donc il devrait y avoir des points de service un peu partout, à mon avis. Et où la contraception serait gratuite, quel que soit le choix des femmes. Alors ça, c’est une des batailles qu’il faut faire.

Je pense aussi qu’il va falloir travailler pour s’assurer de l’évolution des moeurs par rapport aux femmes qui veulent avoir une ligature des trompes alors qu’elles n’ont pas eu d’enfant. Il faut faire évoluer les mentalités, clairement, parce que ce n’est pas encore tout à fait évident pour une femme ou un homme d’obtenir une stérilisation alors qu’il n’a pas eu d’enfant. C’est possible, mais c’est un parcours de combattant. Alors, ça, je pense qu’il faut respecter ça. C’est une des batailles qu’il faut avoir. Mais la contraception gratuite… Il n’y a pas de raison, il me semble que c’est facile à comprendre, que ça devrait être totalement gratuit. Pour le moment, c’est totalement gratuit uniquement pour les personnes qui reçoivent l’aide sociale. Il faut continuer cette bataille-là.

NPS – En conclusion, est-ce qu’il y a d’autres services de santé reproductive qui devraient être plus accessibles ou mieux adaptés aux besoins des femmes ?

Oui, certainement. Toutes les questions liées à l’accouchement, ça, c’est une autre bataille, au Centre on ne le fait pas vraiment. Il y a des groupes comme le mouvement Naissance-Renaissance, qui le fait beaucoup. Je pense que les femmes n’ont pas accès à toute la qualité de services qu’elles devraient, les suivis de grossesse sont souvent difficiles. C’est la croix et la bannière pour obtenir un vrai suivi de grossesse, d’avoir un choix, d’avoir du respect. Il y a toutes les violences obstétricales qui sont là. Se faire respecter, c’était déjà une bataille dans les années 1970 et ça l’est encore aujourd’hui. Je pense, par exemple, au nombre de césariennes, le nombre d’épisiotomies… Au Québec, c’est un peu mieux que dans d’autres pays, mais n’empêche qu’il y a vraiment une bataille, par exemple pour les femmes qui veulent accoucher à la maison. Dans un grand centre urbain, ça se peut, mais en région c’est extrêmement difficile d’avoir l’accompagnement nécessaire. Il y a beaucoup de batailles liées à la libéralisation de l’accouchement.

NPS – Est-ce que vous voyez d’autres choses à ajouter, concernant la santé reproductive ?

Je dirais qu’il y a toute la question de l’éducation sexuelle. Je veux donner la chance au coureur, mais le fait qu’on demande aux enseignants d’intégrer l’éducation sexuelle... Écoutez, nous on voit des personnes de tous les milieux, il y a pas grand-monde encore qui est vraiment à l’aise de parler de sexualité. Je vois mal comment des enseignant.e.s deviendraient tout à coup à l’aise de le faire. J’ai un peu de doutes que ça va rester dans le biologique, qu’il n’y aura pas aisément tous les aspects liés au droit au plaisir. Je ne pense pas que tous vont parler de ça, du consentement, ils vont sûrement en parler, là, mais en tout cas, j’ai un petit peu de doutes, ça ne va pas être facile. Je trouve qu’on demande beaucoup aux enseignant.e.s. On leur demande de tout faire, vraiment, tous les aspects de la vie des jeunes, pis des fois je ne suis pas certaine. Les ressources externes, les sexologues, les infirmières en milieu scolaire, beaucoup font un super bon boulot de ce côté. Alors je ne suis pas sûre que la réponse de l’éducation sexuelle, en classe, je ne suis pas certaine… Je pense que ce sera un enjeu éventuellement.

NPS – Merci beaucoup !