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Introduction

Le genre constitue une dimension clé qui influence le rapport matériel et symbolique au domicile (Mallett, 2004). Évidemment, ce rapport n’est pas uniforme, il diffère notamment selon la position sociale, qui est déterminée entre autres par la classe, l’ethnicité, les capacités et la situation familiale. Malgré ces différences, les femmes tendent à entretenir un sentiment ambivalent par rapport à leur logement. Pour certaines, le domicile est associé notamment au réconfort, à l’affection, à la confiance et à la sécurité. Pour d’autres, il est synonyme de ressentiment en raison des rapports de genre qui engendrent des oppressions liées notamment à une division inégale du travail, mais aussi des violences sexuelles vécues dans le domicile (Darke, 1994). En temps normal, le logement devrait être un lieu paisible, de confort, de refuge, de repos, mais aussi de répit face à différentes formes de violences qui prennent place dans la sphère publique. Comme en témoignent certaines études, « plus des deux tiers des actes de violence (69 %) commis à l’endroit des femmes ont été perpétrés dans des résidences privées, par exemple chez la victime ou chez l’agresseur » (Statistique Canada, 2013, p. 15). De plus, une large part des violences basées sur le genre sont perpétrées par des personnes connues comme les partenaires intimes, les membres de la famille, les amis, etc. Ces violences ont d’importants impacts sur le rapport des femmes à leur logement. En ce sens, certaines études soulignent que les violences basées sur le genre constituent d’importants facteurs explicatifs de l’instabilité en matière de logement et même de l’itinérance des femmes (Jategaonkar et Ponic, 2011).

Au-delà des écrits universitaires, des mouvements sociaux participent à la documentation et à l’analyse de ce rapport au logement. Plusieurs militantes du Centre d’éducation et d’action des femmes (CEAF) de Montréal se rassemblent afin de comprendre et de faire reconnaître publiquement les enjeux genrés du logement. En 2014, elles ont décidé de former le Comité femmes et logement pour documenter, informer, conscientiser et agir pour mettre fin aux violences sexuelles vécues par les femmes locataires et chambreuses. Elles sont allées à la rencontre de femmes ayant vécu du harcèlement et des violences sexuelles de la part de leurs propriétaires, concierges, gestionnaires d’immeuble, voisins ou cochambreurs. Au fil de ces rencontres, les militantes ont constaté que ces histoires n’étaient pas anecdotiques ou encore des cas isolés : plus de 120 femmes ont témoigné. Comment définir et conceptualiser ces violences ? Pour le moment, le Comité appuie ses interventions sur une définition large d’agression sexuelle qui s’applique au contexte du logement :

L’agression à caractère sexuel est un acte de domination, d’humiliation, d’abus de pouvoir, de violence, principalement commis envers les femmes et les enfants. Cet acte s’inscrit comme une forme de contrôle social en tentant de maintenir les femmes dans la peur et dans des rapports de force inégaux. Agresser sexuellement, c’est imposer des attitudes, des paroles, des gestes à connotation sexuelle contre la volonté de la personne, et ce, en utilisant l’intimidation, la menace, le chantage, la violence verbale, physique et psychologique.

Regroupement québécois des Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel [RQCALACS], 2015, p. 2

D’après les témoignages récoltés par le Comité, ces violences sont le résultat de rapports de pouvoirs patriarcaux et capitalistes qui emmurent et enchaînent des femmes et des enfants à leurs agresseurs. Ces violences sont-elles présentées de la même façon dans les écrits scientifiques ? Dans le cadre de cet article, nous présentons une recension des écrits portant sur ces violences. Il s’avère que les écrits appréhendent généralement ces actes comme une forme de harcèlement ou de discrimination basée sur le genre qui sont le résultat de rapports de pouvoir multiples prenant place dans le système d’habitation. Après la présentation de la méthodologie, cette recension des écrits aborde de façon successive les définitions employées, les significations et conséquences, les rapports de pouvoirs impliqués, le profil des femmes et, enfin, les pistes d’action en cette matière.

MÉthodologie

Cette recension des écrits a été réalisée à partir d’une recherche par mots clés dans des bases de données multidisciplinaires. Des équations de recherche en anglais et en français ont été élaborées avec un champ lexical lié à trois thèmes soit les violences (harcèlement sexuel, violences sexuelles, agressions sexuelles, violences basées sur le genre, etc.), les femmes (résidentes, femmes locataires, chambreuses, etc.) et le logement (habitation, appartement, maison, domicile, maison de chambre, etc.). Ces équations ont, par la suite, été utilisées dans des bases de données anglophones (Web of science, Scopus et Wiley Online Library) et francophones (Érudit, Cairn et Persée). Lors de ces recherches, 1139 références ont été ciblées qui sont principalement des articles et chapitres de livres. Nous avons ensuite procédé à la lecture des résumés afin de conserver les références qui traitaient directement de violences sexuelles vécues par les locataires et chambreuses. La plupart des références rejetées portaient sur les violences conjugales ou intrafamiliales qui prennent également place dans le domicile, cependant ces dernières diffèrent puisqu’elles n’impliquent pas des rapports de pouvoirs liés au système d’habitation. Afin de cibler d’autres écrits pertinents, qui ne sont pas répertoriés par les bases de données, nous avons procédé à la lecture des bibliographies des références retenues. Au total, 35 articles, chapitres, rapports et documents datés entre 1987 et 2016 ont été retenus pour cette recension des écrits. La majorité de ces écrits sont canadiens et états-uniens. Comme il est souligné dans les sections subséquentes, les réalités dépeintes et analyses de ces divers écrits sont relativement les mêmes.

DÉfinitions employÉes

Parmi les écrits recensés, la vaste majorité ne traite pas directement de violences. Il est question de harcèlement sexuel qui peut mener à des actes de violences envers les femmes. Certains emploient une définition qui s’attarde aux significations et aux répercussions pour les personnes à savoir un ensemble de remarques, de gestes ou de comportement non sollicités, indésirables et non réciproques qui sont considérés de nature sexuelle par celles qui en sont victimes (Cahan, 1987 ; De Keseredy et al., 1999).

D’autres écrits définissent ce harcèlement sexuel pour son effet sur le rapport au domicile. Ces actes sont généralement répétés, portent atteinte à la sécurité et à la stabilité dans le logement, briment la vie privée et créent un environnement de vie hostile (Garon et Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse [CDPDJ], 1997 ; Lindemyer, 2000 ; Litt et al., 1992 ; Maxwell, 2006 ; Novac, 1993 ; Rosenthal, 1992 ; Tester, 2007). Certains écrits vont plus loin en soulignant que lorsque les menaces sont significatives, ce harcèlement sexuel peut constituer une forme de prostitution (Balos, 2004) ou encore de servitude forcée (Short, 2007).

Un autre ensemble d’écrits, qui provient notamment du champ des sciences juridiques, voit ces violences comme étant une forme de harcèlement discriminatoire. Concrètement, il est question d’une discrimination basée sur le sexe ou le genre qui viole les lois qui encadrent le droit du logement (Aalberts et Clauretie, 1992 ; Bernard, 2008 ; Butler, 1989 ; Dubroff, 1997 ; Front d’action populaire en réaménagement urbain [FRAPRU], 2013 ; Keeley, 2007 ; Novac et al., 2002 ; Ontario Human Rights Commission [OHRC], 2016a ; Reed et al., 2005 ; Zalesne, 1996). Dans cet ordre d’idées, certains tracent des parallèles avec le harcèlement sexuel au travail, notamment au niveau des modalités et de certains rapports de pouvoir impliqués (Butler, 1989 ; Reed et al., 2005 ; Short, 2007 ; Tester, 2007 ; 2008). D’autres font des liens avec la violence conjugale (Balos, 2004 ; George, 2016). Par ailleurs, certains soulignent que l’attention accrue pour ces deux formes de violence a engendré une marginalisation du harcèlement sexuel dans le logement (Balos, 2004 ; Lindemyer, 2000 ; Schwemm et Oliveri, 2002). Comme il sera souligné dans les prochains paragraphes, le harcèlement sexuel dans le contexte du logement se distingue sur plusieurs plans, notamment puisqu’il implique d’autres lieux et significations, mais également davantage de types de rapports de pouvoirs et de vulnérabilité.

ModalitÉs, significations et consÉquences

Qu’il prenne place au travail ou dans le contexte du logement, le harcèlement sexuel revêt des modalités multiples. Il est, entre autres, question d’actes de voyeurisme et d’exhibitionnisme, de commentaires déplacés, de propos injurieux, d’avances sexuelles, d’attouchements et de viols (Adams, 1998 ; Cahan, 1987 ; Howell, 2008 ; Novac et al., 2002 ; Pilote, 1989 ; Rosenthal, 1992 ; Short, 2007 ; Tester, 2007 ; 2008). En plus de ces actes qui peuvent prendre place dans différents contextes, certaines formes de harcèlement sont propres au logement. Les locataires peuvent, par exemple, vivre des entrées par effraction (ex. entrer sans autorisation en utilisant le passe-partout), des actes d’extorsion ou de chantage pour obtenir des rapports sexuels (ex. échange de rapports sexuels contre le paiement de loyer ou des rénovations, ou s’attaquer aux autres membres de la famille) ou des menaces liées au logement (ex. expulsion ou ne pas réaliser les réparations).

Les différences avec le milieu de travail concernent également les significations associées aux actes de harcèlement sexuel. Au travail, ces gestes visent notamment à exclure les femmes de la sphère publique et à affecter leur sentiment d’appartenance (Adams, 1998 ; Reed et al., 2005). Dans le contexte du logement, les locataires sont vues comme des possessions auxquelles les propriétaires, gestionnaires d’immeubles ou concierges peuvent accéder jour et nuit, particulièrement en raison de leurs privilèges et rapports d’autorité (Elengold, 2015 ; Reed et al., 2005 ; Short, 2007). De plus, plusieurs soulignent que les actes de harcèlement violent le caractère sacré et sécuritaire du domicile (Adams, 1998 ; Novac, 1993 ; Reed et al., 2005 ; Roos, 1997 ; Tester, 2008). Il est question d’un viol de leur espace personnel, leur intimité, leur vie privée, mais surtout, de leur sécurité dans leur logement (Adams, 1998 ; Lindemyer, 2000 ; Litt et al., 1992 ; Novac, 1993 ; Zalesne, 1996). Enfin, certains soulignent que le domicile, puisqu’il participe de la sphère privée, a longtemps été présenté comme ayant un statut particulier qui l’exclut de différents contrôles au nom du droit à la vie privée (Balos, 2004 ; Lindemyer, 2000). Alors que des ressources et des recours ont été développés pour enrayer le harcèlement sexuel en milieu de travail, le monde de l’habitation n’a pas de tels outils (Roos, 1997). Contrairement aux autres formes de discrimination qui briment particulièrement l’accès au logement, ce harcèlement réside généralement en des traitements discriminatoires lors de la période de location (Tester, 2007). Cette discrimination transforme rapidement le rapport entretenu avec le domicile.

Adams (1998) souligne que le contexte du logement rend le harcèlement sexuel particulièrement envahissant, complexe et lourd de conséquences. Pour celles qui y demeurent malgré le harcèlement, elles voient leurs conditions et leur qualité de vie se détériorer. Il est question d’un sentiment d’humiliation, d’isolement et d’insécurité généralisé puisque ces actes de harcèlement tendent à briser le lien de confiance envers leur milieu de vie au sens large (Garon et CDPDJ, 1997 ; Pilote, 1989 ; Short, 2007). De plus, plusieurs voient leurs conditions de logement se détériorer parce qu’elles n’osent plus demander d’aide pour des réparations ou encore pour l’entretien de leur domicile (Pilote, 1989). En raison de la vulnérabilité accrue de certaines femmes, les conséquences pour celles qui déménagent pour mettre fin aux violences peuvent être particulièrement désastreuses : plusieurs se retrouvent en situation d’itinérance ou d’instabilité en matière de logement par incapacité de trouver un autre milieu de vie abordable, adapté et sécuritaire (Balos, 2004 ; Howell, 2008 ; Keeley, 2007 ; Lindemyer, 2000).

InÉGALITÉs de pouvoir dans un contexte de location

Certains écrits soulignent que les harceleurs tendent à s’attaquer à plusieurs locataires (Short, 2007 ; Tester, 2007), que les femmes vivent plusieurs de ces formes de harcèlement en même temps (Pilote, 1989) et que ces actes se multiplient et s’intensifient dans le temps (Keeley, 2007 ; Novac, 1993 ; Short, 2007). L’intensification des agissements du harceleur concerne notamment la fréquence, la durée et la force des actes. Cette intensification semble facilitée par des rapports de pouvoirs propres au système d’habitation.

Comme dans la plupart des situations de harcèlement sexuel, il est question d’inégalités basées sur le genre, mais également de l’exploitation de rapports de pouvoir qui permettent de demander, d’exiger ou de forcer des comportements sexuels (Balos, 2004 ; Butler, 1989 ; Schwemm et Oliveri, 2002 ; Short, 2007). Dans le contexte du logement, d’autres rapports de pouvoirs s’ajoutent soit entre les locataires ainsi que les locateurs (propriétaires, gestionnaires, agents de location ou concierges, etc.) (Adams, 1998 ; OHRC, 2016b ; Zalesne, 1996). Comme les écrits articulent la question autour de la discrimination et du harcèlement, ceux-ci se penchent sur les actes perpétrés par les personnes qui possèdent une forme de contrôle sur le logement (Tester, 2007). Les rapports de pouvoirs dans le contexte du logement sont multiples et complexes. Dans un premier temps, il est question d’un important pouvoir symbolique associé au fait de posséder les logements ou encore de détenir une autorité institutionnelle sur ces derniers (Tester, 2008). Ils peuvent, par exemple, sélectionner les locataires, fixer le prix du loyer et réaliser (ou non) les réparations et rénovations requises. Dans un deuxième temps, les locateurs possèdent souvent des informations personnelles et privées sur les locataires (Butler, 1989 ; OHRC, 2016b ; Rosenthal, 1992 ; Tester, 2007 ; 2008). Ils peuvent connaître, par exemple, leur situation financière (notamment par les enquêtes de crédit), leurs habitudes de vie (comme le fait d’habiter seule, leurs allées et venues, etc.) et leur situation conjugale et familiale (par exemple, leur situation de monoparentalité, une rupture récente, etc.). Certains locateurs utilisent ces informations pour les harceler, leur faire des propositions ou encore les contraindre sexuellement. Enfin, les locateurs détiennent généralement un passe-partout qui leur donne accès aux logements à toute heure du jour ou de la nuit, ce qui met constamment les locataires en situation de vulnérabilité (Lindemyer, 2000 ; Maxwell, 2006 ; Short, 2007 ; Tester, 2007, 2008).

En plus de ce pouvoir des locateurs, les locataires sont en situation de dépendance puisqu’elles dépendent d’eux pour obtenir et conserver leur domicile, mais également pour accéder à des biens et services comme le chauffage et l’eau chaude (Adams, 1998 ; Cahan, 1987 ; Elengold, 2015 ; Tester, 2008). Cette relation de dépendance peut poser des obstacles à leur possibilité de rejeter ou de dénoncer les avances ou comportements déplacés. Elles peuvent s’exposer à d’importantes conséquences, par exemple ne pas recevoir certains services, subir des menaces d’expulsion, voir le harcèlement s’accentuer ou encore voir leurs proches être également visés (Butler, 1989). Comme il est question de rapports de pouvoirs inégaux, ce harcèlement ne touche pas l’ensemble des femmes dans la même mesure.

Profil des femmes

Comme le souligne Adams (1998), que le harcèlement sexuel prenne place au travail ou dans le domicile, il s’inscrit dans des relations de marché. Il y a donc certaines ressemblances, notamment au niveau du profil des victimes. Parmi les écrits recensés, certains associent les restructurations économiques et politiques néolibérales à une accentuation de ce harcèlement. Ces restructurations sont vues sous deux principaux angles qui affectent les rapports de pouvoirs. Il y a premièrement une réduction du pouvoir des locataires par l’appauvrissement et la vulnérabilisation de certains groupes touchés par les politiques néolibérales et, deuxièmement, un renforcement du pouvoir des propriétaires et gestionnaires par l’émergence de crises du logement.

Différents écrits soulignent que les restructurations économiques et étatiques néolibérales ont affaibli le filet social et donc accentuent des inégalités, dont celles vécues par les femmes qui étaient auparavant atténuées par des formes d’aides mises en place au cours du 20e siècle (Paperman, 2013 ; Parker, 2011 ; Wekerle, 2000). En plus de vivre de la discrimination basée sur le genre, la féminisation de la pauvreté réduit leur pouvoir d’achat et leur mobilité résidentielle (Short, 2007 ; Tester, 2007). Ainsi, plusieurs écrits soulignent que les femmes en situation de pauvreté risquent davantage d’être affectées par des traitements discriminatoires comme les différentes formes de harcèlement sexuel (Balos, 2004 ; Bernard, 2008 ; Keeley, 2007 ; Reed et al., 2005 ; Roos, 1997). Dans le contexte du logement, ce risque est associé à la pauvreté qui restreint leur possibilité de choisir où et dans quelles conditions elles habitent (Schwemm et Oliveri, 2002 ; Tester, 2007). En ce sens, Butler (1989) souligne que la discrimination peut contraindre les locataires à vivre dans des conditions insécuritaires.

Ainsi, certains groupes sont surreprésentés au sein des victimes de harcèlement telles que les mères monoparentales ou encore les femmes racisées, immigrantes, célibataires et divorcées (Aalberts et Clauretie, 1992 ; Balos, 2004 ; Elengold, 2015 ; Keeley, 2007 ; OHRC, 2016b ; Reed et al., 2005 ; Wasoff, 1998). Ces locataires sont considérées comme des proies faciles parce qu’elles habitent seules, sont en situation de pauvreté, sont âgées, ont des limitations physiques, sont l’unique soutien financier pour leur ménage ou ont vécu de la discrimination à la location (Adams, 1998 ; Bernard, 2008 ; Butler, 1989 ; Keeley, 2007 ; Rosenthal, 1992 ; Short, 2007). Certains harceleurs utilisent ces informations pour les menacer ou les contraindre sexuellement et d’autres emploient des stéréotypes basés sur la race pour exploiter la vulnérabilité des locataires (Butler, 1989 ; Elengold, 2015 ; Tester, 2007, 2008). De plus, plusieurs femmes sentent que leur pauvreté et leur précarité affectent leur crédibilité puisque si elles décident de porter plainte, elles ne disposent pas de ressources suffisantes pour se défendre, notamment sur le plan juridique (Tester, 2008). Devant ces dynamiques, plusieurs soulignent que l’intersectionnalité des oppressions, notamment du genre, de la race et de la classe, peut expliquer ce harcèlement qui touche davantage certaines femmes (Elengold, 2015 ; Lindemyer, 2000 ; Tester, 2007 ; 2008).

Dans le même ordre d’idées, Maxwell (2006) et Balos (2004) soulignent que le manque de logements abordables est un autre facteur qui s’imbrique avec la vulnérabilité des locataires. Dans un contexte de pénurie de logements abordables et adaptés, le risque d’être exposé à des conditions insécuritaires s’accentue (Reed et al., 2005 ; Wasoff, 1998 ; Zalesne, 1996). Les écrits soulignent que ce risque n’est pas réparti de façon égale. La crise du logement tend à affecter plus durement certains lieux, comme les régions rurales où le marché locatif est limité, et certaines populations, comme celles ayant des besoins particuliers en raison, par exemple, de handicaps (Keeley, 2007 ; OHRC, 2016b ; Rosenthal, 1992 ; Tester, 2008). Comme le souligne Novac (1993), lorsqu’il y a marchandisation du logement, la capacité de payer le loyer devient un facteur déterminant pour assurer sa sécurité. Ce contexte restreint le pouvoir de négociation des femmes face à leur harceleur puisqu’elles peuvent difficilement menacer de déménager (Adams, 1998 ; Balos, 2004). Comme elles ont eu de la difficulté à trouver et à louer un appartement abordable, plusieurs tolèrent ce harcèlement par peur de se retrouver à la rue où les conditions de vie devraient être pires (Maxwell, 2006). Tester (2007) et Short (2007) soulignent, par exemple, que certaines femmes considèrent que ce harcèlement constitue le « prix à payer » pour accéder à une habitation qui correspond à leurs besoins et pour la conserver. En d’autres termes, la pauvreté et la pénurie de logements creusent les inégalités de pouvoir entre locateur et locataire (Butler, 1989 ; Rosenthal, 1992 ; Tester, 2008 ; Zalesne, 1996). Certains soutiennent que ce harcèlement s’inscrit dans une dynamique d’exploitation de populations pauvres qui se voient en situation d’impuissance lorsqu’elles reçoivent des avances (Butler, 1989 ; Litt et al., 1992).

Pistes d’action

Depuis plusieurs années, le harcèlement sexuel est socialement et politiquement reconnu comme une forme de discrimination et est encadré par différents dispositifs légaux. Dans la plupart des juridictions, les cas rapportés sont généralement liés au travail (Litt et al., 1992 ; Novac et al., 2002). Plusieurs des écrits recensés documentent l’existence et l’utilisation de droits et de recours légaux pour mettre fin à ce harcèlement sexuel (voir entre autres Aalberts et Clauretie, 1992 ; Adams, 1998 ; Butler, 1989 ; Cahan, 1987 ; Dubroff, 1997 ; Rosenthal, 1992). En Ontario, par exemple, les locateurs ont une responsabilité légale en matière de harcèlement sexuel : pour assurer un logement qui respecte les droits de la personne, ils doivent prévenir et réagir (OHRC, 2016b).

Toutefois, il y a des écarts entre les recours et leur utilisation. La plupart de ces écrits recensés soulignent les nombreux obstacles à la formulation de plaintes ou même à la demande d’aide. Il est à noter que plusieurs de ces difficultés sont similaires à celles pour harcèlement au travail (Litt et al., 1992 ; Novac et al., 2002). Il y a premièrement un manque de connaissance sur la définition du harcèlement sexuel ainsi que des ressources et des droits associés (Butler, 1989 ; Keeley, 2007 ; Novac et al., 2002). Ensuite, plusieurs femmes harcelées n’ont pas suffisamment de temps, d’énergie et de moyens pour se lancer dans un processus de plainte (Butler, 1989 ; Keeley, 2007). D’autres ont honte ou encore se sentent responsables d’avoir laissé ces situations dégénérer (Butler, 1989 ; Litt et al., 1992). Il est également question d’un sentiment d’isolement qui accentue la peur de ne pas être crue ou d’être ridiculisée (Cahan, 1987 ; Pilote, 1989). Par-dessus tout, la plupart craignent les représailles telles que de perdre leur domicile, être mises sur une liste noire des locataires et vivre une intensification des violences notamment à l’égard de leur famille (Butler, 1989 ; Cahan, 1987 ; Litt et al., 1992 ; OHRC, 2016b ; Roos, 1997 ; Short, 2007 ; Zalesne, 1996). Devant ces obstacles, il n’est pas surprenant que la situation ait très peu changé depuis les dernières décennies. Malgré que certains écrits datent de plus de 20 ans et s’inscrivent dans des contextes juridiques bien distincts, les réalités dépeintes sont les mêmes. Cette constance semble donc souligner la puissance des rapports de pouvoir qui sous-tendent ces violences.

En guise de conclusion

Contrairement au Comité du CEAF qui parle de violences faites aux femmes à partir de la définition d’agressions sexuelles, les écrits recensés définissent généralement l’enjeu en termes de harcèlement sexuel qui est une discrimination basée sur le genre pouvant mener à des violences sexuelles. Ces autres façons de définir l’enjeu, comme la discrimination basée sur le genre, la prostitution forcée ou la servitude volontaire, pourront certainement nourrir le portrait, les réflexions et les mobilisations du Comité. Comme il a été souligné précédemment, les écrits recensés s’inscrivent dans des périodes et contextes distincts. Cependant, les dynamiques et enjeux soulevés demeurent sensiblement les mêmes, ce qui souligne la force et la stabilité des rapports de pouvoirs impliqués, et ce, malgré les cadres législatifs qui encadrent et condamnent les différentes formes de harcèlement et de violences.

De plus, plusieurs des écrits ont souligné que le harcèlement sexuel lié au contexte locatif est peu documenté par rapport à d’autres formes de harcèlement et de violences sexuelles (Adams, 1998 ; Balos, 2004 ; Elengold, 2015 ; Lindemyer, 2000 ; Short, 2007 ; Tester, 2007 ; 2008). Cette lacune documentaire peut être associée au faible nombre de cas rapportés aux autorités : plusieurs soulignent que les chiffres noirs sont particulièrement importants dans le contexte locatif (Cahan, 1987 ; Elengold, 2015 ; Keeley, 2007 ; Short, 2007). Cette lacune documentaire semble renforcer les obstacles à la reconnaissance du harcèlement sexuel envers les locataires comme un problème public (Balos, 2004 ; Rosenthal, 1992), et donc à la formulation et mise en oeuvre d’interventions et de ressources pour y remédier (Adams, 1998). En ce sens, Tester (2007 ; 2008) souligne qu’il est crucial de continuer à documenter ces enjeux, notamment pour comprendre comment le genre, la classe et la race façonnent le rapport que les femmes entretiennent avec leur domicile. En comprenant les structures et dynamiques qui soutiennent ces violences basées sur le genre, il devrait être plus facile de formuler et de mettre en oeuvre des solutions durables (Rosenthal, 1992). Puis, en documentant les stratégies et ressources employées par les femmes pour résister à ce harcèlement sexuel, il sera possible de reconnaître l’agentivité de ces dernières et de développer des interventions en cette matière pour les appuyer.

Les écrits recensés se concentrent sur les réalités vécues par les femmes locataires et, de ce fait, ne traitent pas de la réalité des chambreuses. Les nombreux témoignages récoltés par le Comité soulèvent que les chambreuses vivent des réalités particulières qui diffèrent de la location conventionnelle. Ces particularités s’expliquent notamment par le fait que la location de chambre est un moment de transition pour ces dernières, que les femmes sont minoritaires dans les maisons de chambre, que les maisons comportent plusieurs aires partagées qui peuvent devenir des lieux de harcèlement et d’agression, mais également que les modalités et les règles d’habitation ne sont pas toujours clairement établies. Il y a donc d’autres rapports de pouvoir qui prennent place et transforment le rapport des chambreuses à leur milieu de vie. Ainsi, il s’agit d’un autre enjeu à explorer dans des recherches ultérieures, notamment afin de mieux comprendre les dynamiques et rapports de pouvoirs impliqués. D’autres formes de violences sexuelles commises dans le contexte du logement mériteraient également d’être approfondies. Il est question, par exemple, des femmes en logement social qui vivent du harcèlement sexuel des voisins, notamment dans les espaces publics (De Keseredy et al., 1999 ; Novac et al., 2002) et du harcèlement, des violences sexuelles qui sont commises dans les résidences étudiantes (Hill et Silva, 2005).