Avant-propos[Notice]

  • Audrey Gonin

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  • Audrey Gonin
    École de travail social, Université du Québec à Montréal
    Co-directrice de Nouvelles pratiques sociales

Dans ce numéro, la revue Nouvelles pratiques sociales aborde un thème faisant écho à des débats actuellement vifs, dans l’espace public. Les inégalités sociales, les préjugés et les violences qui touchent les populations racisées ne sont pas des phénomènes nouveaux, mais des revendications de respect et d’égalité – de justice sociale, en somme (Fraser, 2011) – se font davantage entendre depuis quelques années, au sein de la société québécoise comme au niveau international. Comme tout mouvement visant à transformer des structures et dynamiques sociétales qui façonnent et reproduisent les inégalités sociales, ces mouvements sociaux font régulièrement face à des discours qui nient des phénomènes discriminatoires pourtant fort bien documentés sur le plan scientifique (voir, par exemple, Chan et Chunn, 2014 ; Maynard, 2017 ; Tanovich, 2006). Ainsi, il est malheureusement fréquent que des débats terminologiques, autour de notions telles que celles de racisme systémique ou de culture du viol, à titre d’exemple, conduisent parfois à éclipser des problèmes sociaux dont l’existence est incontestable, quel que soit l’angle d’analyse adopté. En effet, les résultats de recherche convergent pour mettre en évidence les inégalités de revenus, de santé, d’accès à l’emploi et au logement, ou encore la surreprésentation des populations racisées dans des dispositifs de type pénal ou disciplinaire tels que le système de justice ou la protection de l’enfance au Québec (Agence de la santé du Canada, 2020 ; Armony et al., 2019 ; Bernard, 2014 ; Conference Board of Canada, 2021 ; Eid et al., 2011 ; Roche et Tudland, 2019). Or, si les choix conceptuels utilisés pour décrire et analyser les phénomènes sociaux peuvent toujours être discutés et perfectibles, il est important de ne pas perdre de vue les réalités qu’ils veulent inventorier, caractériser et comprendre. Ce numéro veut ainsi apporter une contribution à la description et à l’analyse de réalités sociales qui sont régulièrement, volontairement ou involontairement, invisibilisées. Considérant que l’occultation de phénomènes discriminatoires est, en partie, ce qui rend possible leur développement au sein du corps social (Mbembe, 2010 ; Mullaly, 2010 ; Simon, 2010 ; Sullivan et Tuana, 2007), la recherche en sciences humaines et sociales a la responsabilité de se dégager, autant que faire se peut, de ces logiques. C’est à cet endroit (entre autres) que les démarches scientifiques sont inévitablement interpelées par des questions d’ordre moral et politique. Faire l’économie de cette réflexion, loin de correspondre à une posture de « neutralité », est un obstacle à la prise en compte des biais qui se logent dans nos perceptions et qui mènent à des attitudes défavorables, parfois même violentes, vis-à-vis des personnes racisées (Johnson, 2005 ; Stanley et al., 2011 ; Legal et Delouvée, 2015 ; Robinson, 2019), si ces biais ne sont pas reconnus et contrés par leur prise en compte. La tâche de décrire et de comprendre les phénomènes discriminatoires est donc d’une grande importance pour en saisir les mécanismes sous-jacents, mais aussi leurs impacts individuels et collectifs. C’est sur cette base que peuvent ensuite se mener des discussions autour des questions politiques et morales qu’ils soulèvent. En vue de les nourrir, il est utile d’explorer des réalités se situant tant sur le plan du vécu subjectif – qui a des incidences concrètes pour la vie des personnes qui l’éprouvent –, que sur le plan plus objectivable de tendances sociologiques démontrant des inégalités sociales flagrantes. Décrire ce qui est observable, sur ces deux plans, permet de rendre compte de la complexité de phénomènes où s’entrelacent des enjeux liés à la fois aux conditions de vie objectives et aux discours : chaque dimension est porteuse d’effets réels pour les populations …

Parties annexes