Résumés
Résumé
La prolifération des locations à court terme, ainsi que les entreprises qui les supportent, ont suscité de nombreux débats houleux dans un nombre croissant de villes concernant l’usage approprié des propriétés résidentielles. Sont-elles des actifs pouvant être convertis à un usage plus rentable en tant que logement touristique, ou s’agit-il de logements pour les résidents locaux ? Cet article analyse le cas de Montréal et constate que les bénéfices financiers des locations à court terme sont fortement concentrés, alors que la ville entière souffre de la conversion de près de 5000 logements locatifs. Nous explorons les tensions entre l’écosystème croissant des entreprises qui facilitent la professionnalisation des hôtes ainsi que les résidents et groupes communautaires de Montréal qui luttent pour leur droit au logement. Nous concluons en discutant des mesures réglementaires qui permettraient de détourner le marché des locations à court terme des opérations commerciales pour le diriger vers un réel partage de propriété résidentielle.
Mots-clés :
- location de court terme,
- Montréal,
- droit au logement,
- organismes communautaires,
- économie de plateforme
Abstract
The proliferation of short-term rentals and the businesses that support them has generated a heated debate in a growing number of cities over the proper use of residential properties. Are they assets which can be converted to a more profitable use as tourist accommodation, or are they housing for local residents? This article analyzes the case of Montreal and finds that that the financial benefits of STRs are narrowly concentrated, while the entire city is suffering from the conversion of nearly 5,000 rental housing units. We explore the tensions between the growing ecosystem of businesses that facilitate the professionalization of hosts and Montreal's residents and community groups fighting for their right-to-housing, and conclude by discussing regulatory pathways which would steer the STR market away from commercial operations and towards true home sharing.
Keywords:
- short-term rentals,
- Montreal,
- right-to-housing,
- community groups,
- platform economy
Corps de l’article
Introduction
D’un matelas gonflable sur le plancher de l’appartement du fondateur aux 6 millions d’annonces de locations à travers le monde, l’histoire d’Airbnb, la plus importante plateforme de location à court terme du monde, est celle d’une croissance fulgurante. Dans les villes du monde entier, cette croissance a propulsé la question de la location à court terme au coeur d’un débat public sur les liens entre le tourisme, le développement économique, la qualité de vie de quartier et l’accès au logement. Les logements devraient-ils être réservés aux résidents, même si cela implique une nette restriction du marché de la location à court terme ? Ou ceux-ci devraient-ils avoir le droit d’exploiter leur propriété à leur guise, que ce soit par un partage intermittent ou à temps partiel du logement, ou au moyen d’opérations commerciales de location à court terme ?
Dans cette étude, nous prenons le cas de Montréal pour examiner le marché de la location à court terme, ses interactions avec le marché du logement et, plus globalement, avec le droit au logement. Nous présentons d’abord deux perspectives opposées sur la location à court terme : l’une la considérant principalement comme un partage de logement à somme positive, l’autre comme une marchandisation du logement à somme nulle ou négative. Afin que l’on puisse se prononcer sur ce débat, en nous appuyant sur des faits, nous présentons un tableau empirique des activités Airbnb à Montréal qui répond à trois questions simples, mais révélatrices : 1) Combien d’annonces Airbnb sont-elles actives à Montréal, et de quelle façon cette pratique évolue-t-elle ? 2) Qui s’enrichit grâce à Airbnb à Montréal ? 3) Combien de logements locatifs de longue durée Airbnb a-t-il soustraits du marché montréalais ? Nous en déduisons que les avantages financiers des locations à court terme sont étroitement concentrés dans les mains d’un petit groupe d’individus à Montréal, alors que la ville entière souffre d’une perte de près de 5000 logements locatifs qui ont été convertis et consacrés à la location à court terme. Ensuite, nous mettons en perspective certaines des implications sociales plus vastes de la croissance de cette industrie locative : l’émergence, notamment, d’un nouvel écosystème d’affaires qui dépend de l’industrie de la location à court terme, et celle d’une opposition organique des militants du droit au logement à ce type de locations à Montréal. Nous concluons en envisageant comment une nouvelle réglementation pourrait orienter plus étroitement, et de façon plus productive, les locations à court terme vers une conception plus authentique du partage du logement et, ainsi, protéger le droit au logement des résidents des villes.
La location À court terme : un partage ou une marchandisation du logement ?
Les données sont probantes, le partage du logement ‑ et de façon plus large, l’économie collaborative ‑ change le portrait social et économique de la vie urbaine (McNeil, 2016 ; Salice et Pais, 2017). Toutefois, la nature précise de ce changement est encore débattue. Les partisans de la location à court terme soutiennent de diverses manières que les plateformes facilitent le partage entre pairs, ce qui donne du pouvoir à la population en général (Schor, 2016), peut promouvoir une redistribution plus équitable de la richesse (Crommelin et coll., 2018) et offrir de l’hébergement dans des régions mal desservies par les structures d’hébergement traditionnelles (DiNatale et coll., 2018).
Parallèlement, les recherches démontrent de plus en plus qu’Airbnb est à l’origine d’un grand nombre d’impacts négatifs sur les villes et les quartiers, à commencer par des problèmes sur la qualité de vie ‑ incluant le bruit, la criminalité et le trafic ‑ et la vive opposition de la communauté qui en découle (Füller et Michel, 2014 ; García-Hernández et coll., 2017 ; Jordan et Moore, 2018 ; Lambea Llop, 2017). Des chercheurs ont également pu prouver que des propriétaires remplacent leurs locataires de longue date par des vacanciers de passage en louant à court terme, entraînant par le fait même une baisse de l’offre de logements et, donc, de l’accessibilité de ces derniers (Lee, 2016 ; Wachsmuth et coll., 2017 ; 2018). D’autres études ont directement lié la hausse du nombre d’annonces Airbnb à une hausse du coût des maisons et de la location des logements (Barron et coll., 2018 ; Horn et Merante, 2017) de même qu’à un embourgeoisement et à une délocalisation (Gant, 2016 ; Mermet, 2017 ; Wachsmuth et Weisler, 2018).
Le fait que le terme « partage du logement », de même que l’idée plus vaste d’« économie collaborative », sont porteurs d’associations normatives est sous-jacent à ces débats empiriques et politiques. Littéralement, et de manière on ne peut plus significative, le partage du logement suppose que les gens partagent leur propre domicile ‑ que cette activité est menée par des résidents qui ont quitté la ville pour une semaine de vacances, ou qui ont une chambre vacante qui serait autrement inutilisée. Et c’est manifestement un avantage pour les hôtes partageant leur domicile, qui peuvent utiliser leur revenu de location à court terme pour aider à payer leur hypothèque ou leur loyer, et qui ont même la possibilité de nouer de nouvelles amitiés avec leurs invités. Le partage du logement implique ainsi une utilisation à somme positive d’un surplus de ressources.
Les plateformes de location à court terme comprennent que le cadre normatif du partage du logement est d’une importance capitale en regard de leur légitimité publique et elles font pour cette raison de grands efforts pour présenter leurs activités commerciales comme des activités facilitant le partage du logement à petite échelle, par opposition aux opérations commerciales à grande échelle. Par exemple, des réseaux d’hôtes Airbnb enrôlés pour faire du lobbying et un travail de relations publiques en son nom sont appelés « Clubs d’hôtes ». Et, en réponse à notre recherche antérieure suggérant que la plateforme Airbnb était dominée par des opérateurs commerciaux (Wachsmuth et coll., 2017), un porte-parole de la société a répondu que « la grande majorité [des hôtes Airbnb] sont des familles canadiennes de la classe moyenne qui partagent leur logement afin de gagner un léger revenu supplémentaire pour payer les factures » (Powell, 2017).
Par opposition à ces représentations des plateformes de location à court terme en tant que facilitateurs du partage du logement, des groupes de locataires et des groupes communautaires dressent un tout autre tableau de la situation ‑ qui en est un de conflits entre voisins et visiteurs, d’« hôtellisation » des immeubles et d’éviction de locataires de longue durée dans le but de libérer leurs domiciles pour des visiteurs de courte durée. Ces groupes, provenant de villes telles que Los Angeles (Samaan, 2015), Montréal (Desmarais, 2016), La Nouvelle-Orléans (DeDecker et coll., 2018) et New York (New York Communities for Change and Real Affordability for All, 2015), accusent Airbnb de favoriser le retrait massif de logements par des opérateurs commerciaux qui exploitent à temps plein ce qui s’avère en réalité des hôtels dans ce qui était (ou aurait pu constituer) des logements locatifs de longue durée. Ainsi, alors que les touristes peuvent bénéficier d’une offre importante d’hébergements à prix modique dans les villes qu’ils visitent, de vastes opérations commerciales de locations à court terme supposent une réduction à somme négative de l’accessibilité au logement et de la disponibilité de ceux-ci pour les résidents. Cela implique, par le fait même, que les plateformes de location à court terme sont avant tout des vecteurs du phénomène actuel de marchandisation du logement (Madden et Marcuse, 2016), dans le sens où ils fournissent aux propriétaires de nouvelles occasions de tirer de leurs propriétés des revenus locatifs (Wachsmuth et Weisler, 2018).
Il est essentiel d’établir les faits pour bien saisir les enjeux politiques publics et sociaux de ce débat. Si les plateformes de location à court terme sont principalement des plateformes de partage du logement à somme nulle, voire à somme positive, il serait concevable de les considérer comme une expansion bénéfique du droit social au logement, qui confère aux propriétaires et aux locataires une plus grande souplesse dans la gestion de l’espace résidentiel inoccupé à l’intérieur de leurs demeures. Dans ce cas de figure, les politiques publiques devraient, en conséquence de cause, se montrer permissives envers les locations à court terme. Si, d’un autre côté, les plateformes de location à court terme sont dominées par des opérateurs commerciaux qui consacrent des logements locatifs de longue durée à la location à court terme, il faut voir en celle-ci une restriction du droit au logement à somme négative, et un essor commercial au lieu d’un simple exercice du droit des rentiers de marchandiser leurs logements, étant donné que les locations à court terme sont en réalité un moyen pour un petit nombre de propriétaires de profiter de la baisse de l’offre locative de la ville. Dans ce cas de figure, les politiques publiques devraient restreindre de manière énergique les locations à court terme, en ciblant les locations consacrées à temps plein à ce type de commerce en particulier.
Airbnb À MontrÉal : un portrait concret
Afin de nous prononcer dans ce débat muni de preuves à l’appui, nous présentons dans cette section un portrait concret des activités d’Airbnb dans la région métropolitaine de Montréal. Puisque Airbnb est de loin la plateforme dominante du marché de la location à court terme, une analyse d’Airbnb peut servir à titre d’indicateur représentatif du marché de la location à court terme en général. Montréal est une région métropolitaine de taille moyenne qui compte 1,7 million d’habitants dans sa communauté urbaine et 4 millions d’habitants dans la région métropolitaine. Elle accueille d’importants flux touristiques et est l’hôte de mouvements sociaux énergiques bien organisés qui luttent pour l’accessibilité au logement et les droits des locataires. Elle peut donc être l’objet d’une excellente étude de cas pour déterminer comment la location à court terme et le droit au logement interfèrent. Les résultats de cette section se basent sur une analyse des mégadonnées spatiales de toute l’activité d’Airbnb dans la Région métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal entre le 1er septembre 2016 et le 31 décembre 2018. Nous combinons l’information canonique de chaque annonce locative (indiquant notamment s’il s’agit d’un logement entier ou d’une chambre individuelle, sa localisation, son hôte) avec des estimations de l’activité et du revenu quotidiens pour chaque annonce fournie par la firme de moissonnage du Web Airdna et les données du recensement de 2016 de Statistique Canada. La méthodologie est expliquée plus en détail dans : Wachsmuth et Weisler (2018) et Wachsmuth et coll. (2018).
Combien d’annonces Airbnb sont-elles actives à Montréal et de quelle façon cette pratique évolue-t-elle ?
Au cours de l’année 2018, il y avait en moyenne 22 640 annonces Airbnb actives chaque jour dans la RMR de Montréal. (Nous définissons l’annonce active comme une annonce pouvant être vue sur le site Web d’Airbnb en un jour donné, indépendamment du fait de savoir si elle était réservée, sur le marché ou temporairement bloquée.) Comme l’indique le tableau 1, les annonces Airbnb sont concentrées de manière disproportionnée dans le centre de la ville ; 90,2 % de toutes les annonces de la région sont situées dans la ville de Montréal, tandis que 51,7 % des annonces se trouvent dans les arrondissements de Ville-Marie et du Plateau‑Mont-Royal. La figure 1 illustre la distribution spatiale de ces annonces, tandis que la figure 2 illustre leur croissance dans le temps. La figure 2 démontre à la fois la variation sensible de l’activité des annonces dans le cours de l’année, et un schéma de croissance sous-jacent. En 2018, le nombre d’annonces actives a culminé le 4 août, date où l’on en dénombrait 24 070, et il a chuté à son plus bas niveau le 4 février, alors qu’on en comptait 21 570. Pendant ce temps, le nombre quotidien moyen d’annonces actives dans la RMR de Montréal s’est accru de 12,9 % dans la dernière année, passant de 20 050 en 2017 à 22 640 en 2018.
Une majorité importante d’annonces Airbnb à Montréal sont des logements entiers (69,4 %) par opposition aux chambres individuelles (29,7 %) ou partagées (0,9 %). En général, les zones situées plus près du centre-ville ont une plus grande proportion d’annonces de logements entiers, et les zones plus éloignées du centre-ville ont une plus grande proportion de chambres individuelles. Le pourcentage des annonces actives de logements entiers n’a cessé d’augmenter ces dernières années, passant de 65,6 % en 2016, à 67,2 % en 2017, à 69,4 % en 2018. Autrement dit, le marché de la location à court terme est de plus en plus dominé par la location de logements entiers.
Qui s’enrichit grâce à Airbnb à Montréal ?
Les hôtes Airbnb s’enrichissent plus que jamais à Montréal, mais une quantité toujours plus réduite d’opérateurs se partage une part de plus en plus généreuse du gâteau. En 2018, les hôtes montréalais ont gagné 203,8 millions de dollars canadiens, ce qui représentait une augmentation de 13,9 % des revenus par rapport à l’année précédente, et dépassait la croissance annuelle des annonces actives (12,9 %). Cependant, ce revenu n’était pas équitablement réparti. Parmi les 17 010 hôtes de la région métropolitaine, l’hôte médian a gagné 3120 $, tandis que l’hôte moyen a gagné 11 990 $. Ce grand écart indique que les revenus sont concentrés parmi une petite part d’hôtes dont le revenu est élevé.
Une façon de mesurer la disparité des revenus chez les hôtes est d’examiner comment sont distribués les revenus entre les hôtes aux revenus les plus importants et ceux dont les revenus sont les moindres. Ce que nous constatons, c’est que Montréal a une très forte concentration de revenus chez les hôtes les mieux rémunérés, et qu’au cours de la dernière année, la part de revenus versée aux hôtes les plus rentables n’a cessé d’augmenter. Les 10 % d’hôtes les plus performants de la région ont bénéficié de 65,7 % du revenu total d’Airbnb en 2018, une hausse substantielle par rapport aux 62,5 % qu’ils avaient perçus en 2017, et un nombre qui s’élève jusqu’à 69,8 % dans l’arrondissement de Ville-Marie. Au même moment, 1 % des hôtes (seulement 170 d’entre eux) ont perçu 33,3 % des revenus totaux de la région métropolitaine de Montréal (une hausse par rapport aux 29,6 % en 2017). Ces chiffres sont considérablement plus élevés que dans toute autre ville au Canada et représentent un accroissement de la concentration des revenus par rapport aux années précédentes. La part du revenu des hôtes perçu par des annonceurs de logement entier est beaucoup plus élevée que la part représentée par ces mêmes annonceurs parmi la totalité des annonces. Tandis que 69,4 % des annonces offrent des logements entiers à louer, 91,0 % des revenus étaient perçus par leurs annonceurs. Cependant, à la différence d’autres indicateurs de l’inégalité des revenus, cette part est restée généralement constante durant les deux dernières années.
Les cinq hôtes les plus prospères de Montréal ont chacun perçu plus de 1,5 million de dollars en 2018. (Il y eut des centaines d’hôtes supplémentaires qui ont gagné plus de 100 000 $.) Trois d’entre eux sont des sociétés d’hébergement bien connues (Sonder, Nuage et GroupeDacoh), tandis que les deux autres sont des hôtes anonymes identifiés seulement par un prénom (« Mike » et « Alejandro »). Les cinq ont enregistré une forte croissance de leurs revenus au cours de l’année 2018 et ils ont perçu ensemble 7,2 % de la totalité des revenus d’Airbnb de la région métropolitaine de Montréal, bien qu’ils ne représentent que 0,03 % des hôtes ayant généré des revenus. Autrement dit, ces cinq hôtes ont en moyenne perçu plus de 244 fois le montant des revenus de l’hôte moyen à Montréal en 2018.
Alors qu’une concentration du chiffre d’affaires de la plateforme entre les mains d’une petite quantité d’hôtes sous-entend qu’Airbnb est dominée par des opérateurs commerciaux plutôt que par des locateurs à temps partiel, il est possible que certains des hôtes qui se sont le plus enrichis soient simplement des propriétaires résidentiels qui voyagent fréquemment et peuvent ainsi se livrer de façon régulière à un partage de logement lucratif. Par conséquent, une autre façon de quantifier les opérateurs commerciaux est d’examiner les hôtes qui passent plusieurs annonces à la fois. Il s’agit là d’une analyse dont la portée est limitée, car un propriétaire Airbnb pourrait n’administrer qu’un seul compte, mais à temps plein, et parce que les annonceurs sont libres d’ouvrir plusieurs comptes pour dissimuler le nombre réel de leurs propriétés. Nous désignons comme « inscriptions multiples » les situations où un hôte exploite plus d’une annonce de logement entier ou plus de deux annonces de chambre individuelle. Si un hôte exploite deux logements entiers ou plus sur Airbnb, il est par définition un opérateur commercial, puisqu’il ne loue pas alors seulement sa résidence principale. Et si un hôte annonce trois chambres individuelles ou plus sur Airbnb, il y a de fortes chances qu’il soit aussi un opérateur commercial, puisque peu de Montréalais sont susceptibles d’habiter dans un logement de quatre chambres ou plus et d’en louer toutes les pièces inoccupées. Les inscriptions multiples fournissent ainsi une estimation minimale quant à l’ampleur de l’activité commerciale montréalaise sur la plateforme Airbnb.
Les inscriptions multiples sont répandues dans la région de Montréal. Elles représentent 31,7 % de la totalité des annonces, mais perçoivent 65,2 % de la totalité des revenus générés. Les inscriptions multiples sont particulièrement concentrées dans l’arrondissement de Ville-Marie, où elles représentent 50,4 % de toutes les annonces et perçoivent 79,6 % de tous les revenus. Les logements entiers sont beaucoup plus susceptibles que les chambres individuelles d’être associés à des inscriptions multiples, ce qui indique qu’en l’absence de contrôle réglementaire, les hôtes Airbnb collectionnent les logements et les convertissent en unités de location à court terme. La proportion des annonces et du revenu des hôtes qui appartient aux inscriptions multiples est en constante croissance à Montréal : en date du 1er septembre 2016, moins de 40 % du chiffre d’affaires d’Airbnb dans la région de Montréal était perçu par les inscriptions multiples ; mais à la fin de 2018, ce chiffre s’élevait à 65,2 %.
Combien de logements ont-ils été soustraits du marché montréalais par Airbnb ?
Une dernière interrogation au sujet des locations à court terme à Montréal concerne leur incidence sur l’offre de logements à l’échelle locale. Compte tenu du fait que des milliers d’annonces Airbnb sont vraisemblablement placées à des fins commerciales dans la région, il est fort probable que les logements auxquels elles réfèrent étaient autrefois, ou seraient aujourd’hui, des logements locatifs de longue durée s’ils n’étaient pas répertoriés sur Airbnb. Même avec des estimations détaillées des activités quotidiennes liées aux annonces Airbnb, il est difficile de dénombrer le nombre exact de logements à location de longue durée qui ont été voués à la location à court terme. Il se peut qu’un logement loué 120 nuits par année soit la résidence d’une personne qui voyage fréquemment, tandis qu’un logement similaire loué à la même fréquence serait en revanche consacré à des activités commerciales. Pour obtenir quelque certitude sur ce point, il faudrait demander aux hôtes Airbnb, mais ceux-ci sont anonymes. Néanmoins, les annonces de logements entiers qui sont fréquemment loués sont un indicateur utile pour comprendre la perte de logements due à Airbnb, car il est improbable que les logements fréquemment ou très fréquemment loués à court terme soient des logements locatifs de longue durée pour les résidents. Nous définissons comme « locations fréquentes » des annonces qui étaient actives au moins la moitié de l’année (183 jours ou plus) et dont les logements étaient loués au moins 90 nuits.
Au cours de l’année 2018, il y a eu dans la région de Montréal 4450 annonces de locations de logements entiers fréquemment loués (LEFL), ce qui représente 21,8 % de la totalité des annonces Airbnb. Qui plus est, il y a eu 220 groupements d’annonces de chambres individuelles opérées par des hôtes individuels à l’intérieur d’un même immeuble à logements, des groupements qui sont donc, dans les faits, presque certainement des logements entiers convertis en auberges ‑ ce que nous appelons ailleurs des « hôtels fantômes » (Wachsmuth et Shillolo, 2019). Ces 220 groupements comportent 880 annonces de chambres individuelles et nous estimons qu’ils ont collectivement retiré 280 logements du marché à Montréal (puisque de nombreux groupements s’étendent sur plusieurs logements dans un seul immeuble). L’ajout des annonces de LEFL à celles des chambres individuelles d’hôtels fantômes permet de supposer qu’Airbnb a retiré approximativement 4730 logements du marché de la location de longue durée à Montréal et qu’il a facilité leur conversion en locations à court terme à temps plein.
Ces logements convertis en unités vouées à la location à court terme constituent un pourcentage plus élevé de la totalité des logements dans le centre de la ville ‑ particulièrement dans les arrondissements de Ville‑Marie et du Plateau‑Mont-Royal ‑ que dans les zones des régions environnantes (Figure 3). Tout en se maintenant au cours de l’année 2018, cette tendance s’est intensifiée ; il y a eu dans un nombre important de secteurs du centre de la ville une hausse du pourcentage du nombre total de logements relatif aux annonces de LEFL. Le nombre d’annonces de LEFL a augmenté beaucoup plus rapidement que celui des autres types d’annonces à Montréal. À l’échelle régionale, le nombre de ces annonces a augmenté de 21,1 % l’année 2018, comparativement à un taux de croissance de 12,9 % pour l’ensemble des annonces. Par conséquent, il y a d’importantes portions de Ville-Marie et du Plateau‑Mont-Royal en particulier qui ont 5 % ou plus de leurs logements disponibles sur Airbnb ou qui risquent d’être convertis en location à temps plein.
Les consÉquences de la commercialisation du partage de logement
La section précédente a fourni une analyse empirique d’Airbnb à Montréal. Celle-ci a démontré que le secteur de la location à court terme était dominé par des opérateurs commerciaux plutôt que par le partage du logement, et que cet état de fait a d’importantes répercussions négatives sur la disponibilité des logements, particulièrement dans les arrondissements du centre de la ville que sont Ville-Marie et Le Plateau‑Mont-Royal. Nous étudions dans les deux prochaines sections deux conséquences de ces faits : l’émergence d’un nouvel écosystème entrepreneurial centré sur Airbnb et l’opposition communautaire à la location à court terme. Bien que les innovations entrepreneuriales et les mouvements sociaux axés sur l’accès au logement puissent sembler avoir peu en commun, nous affirmons qu’ils sont des conséquences connexes de la structure particulière du marché locatif à court terme. Si ce marché était en effet essentiellement une plateforme utilisée pour le partage du logement épisodique et à échelle modeste, il y aurait peu d’occasions pour que des entreprises profitent du marché, et les mouvements sociaux trouveraient peu de motivation à s’y opposer. C’est précisément parce que le secteur de la location à court terme est en réalité dominé par des opérateurs commerciaux qu’il y a à la fois des occasions accrues de faire du profit et des raisons plus grandes de s’opposer à ce secteur au nom du droit au logement.
L’essor d’un secteur commercial de la location à court terme a généré quantité de nouvelles entreprises. Certaines d’entre elles reposent sur les opérations commerciales elles-mêmes ‑ des entreprises ou de simples particuliers pouvant administrer une seule ou plusieurs centaines d’annonces à temps plein, oeuvrant dans ce qui a été, ou pourrait être, des logements pour des résidents. Tout au bas de l’échelle des opérateurs commerciaux on trouve des particuliers qui investissent dans une seule propriété ‑ le plus souvent une copropriété qui aurait pu, avant l’émergence des plateformes de location à court terme, être transformée en propriété locative de longue durée. En effet, Montréal, tout comme d’autres villes canadiennes, a compté sur la construction de nouvelles copropriétés pour une grande part de ses nouveaux logements locatifs, puisque la construction de nouveaux ensembles résidentiels voués à la location s’est faite rare au cours des trente dernières années. Nos données suggèrent qu’un nombre significatif de ces copropriétés nouvellement bâties qui auraient autrement fait leur entrée sur le marché de la location de longue durée sont plutôt devenues des locations à court terme.
Un opérateur commercial établi à Montréal qui oeuvrait à une relative petite échelle, mais était entré dans le processus d’« intensifier massivement [ses] opérations », nous a décrit par le biais d’une correspondance personnelle quelques-unes des considérations liées à la gestion de nombreuses propriétés vouées à la location Airbnb à temps plein. « C’est une bonne idée d’isoler ses immeubles en des comptes Airbnb distincts. Ça te permet 1) d’amortir le risque – si tu as des punaises de lit dans un immeuble, toutes tes annonces ne sont pas entachées par les mauvais commentaires et 2) d’avoir une bonne stratégie de sortie, puisque tu es alors en mesure de revendre l’immeuble, en plus de la [société d’exploitation], en plus du compte Airbnb comme autant de capitaux générateurs de fonds. » Cette déclaration suppose, premièrement, que nos estimations de l’extension quantitative des opérateurs commerciaux sur Airbnb sont vraisemblablement des sous-estimations substantielles, puisque nous sommes forcés de croire que chaque opérateur Airbnb n’administre qu’un seul compte d’hôte. Mais plus important encore, l’auteur de cette déclaration explique dans quelle mesure un compte Airbnb rattaché à une propriété est devenu un actif financier à part entière, puisqu’il génère des liquidités (et possède un relevé de transactions pour le prouver) et qu’il peut être acheté et vendu avec la propriété.
Cet opérateur commercial perçoit maintenant des centaines de milliers de dollars chaque année grâce à ses annonces Airbnb à Montréal, mais il demeure loin du plus important opérateur de la région. Cet honneur revient à la société immobilière Sonder, qui avait 198 annonces Airbnb actives à Montréal à la fin de l’année 2018. Nous estimons son chiffre d’affaires, en 2018, à plus de 5 millions de dollars. Sonder est aujourd’hui une société internationale basée principalement à San Francisco, mais elle a vu le jour à Montréal en 2014 sous le nom de Flatbook, une société qui sous-louait des appartements d’étudiants sur des plateformes de location à court terme (Lindeman, 2015). À la suite de son déménagement à San Francisco, la société a récolté 85 millions de dollars en financement à l’été 2018 et elle a aujourd’hui plus de 350 employés et loue plus de 2200 appartements (Silcof, 2018). Alors que Sonder offre son propre moteur de réservations pour louer ses propriétés, 80 % de ses annonces sont réservées par le biais d’autres plateformes de location à court terme, dont Airbnb (Martineau, 2019). Sonder, qui autrefois gérait les propriétés d’autrui à leur place, s’adresse dorénavant directement aux propriétaires fonciers dans un jargon propre à l’économie du développement urbain ‑ « Louez à Sonder. Redéfinissez l’usage optimal » (« Lease to Sonder. Redefine highest and best use » [Sonder, 2019]) ‑ et a pour objectif d’ouvrir son propre hôtel-boutique dans le centre-ville de Vancouver (Pablo, 2019). Non seulement Airbnb est une grande entreprise, mais les entreprises qui en dépendent gagnent à leur tour en importance, et Sonder, qui est née à Montréal, s’est taillée une place parmi les plus grandes.
Aux côtés d’opérateurs commerciaux exclusivement dédiés à leurs activités comme Sonder, une multitude d’entreprises sont apparues, à Montréal et ailleurs, pour soutenir les opérations des locations à court terme. Les services offerts vont de la gestion complète d’annonces Airbnb à l’entretien ménager spécialisé en location à court terme, sans compter les dépanneurs et cafés de quartier qui installent des SmartBoxes pour faciliter l’échange de clés automatisé. Cette infrastructure demeure relativement invisible pour la plupart des voyageurs qui utilisent les plateformes ; le service d’entretien ménager professionnel se rend sur les lieux de la prochaine location avant même que le voyageur n’arrive et la société de gestion ne se présente pas nécessairement comme telle aux visiteurs qu’elle gère. À Montréal, des services de gestion tels que Monsieur Concierge et Airsorted (une entreprise financée par capital de risque) offrent de gérer les Airbnb d’autrui en échange d’un tarif prédéterminé ou d’un pourcentage du chiffre d’affaires. Les frais de commissions sont habituellement de l’ordre de 25 % du revenu total. Airsorted.ca affirme : « Le ménage, la lessive, les clés. On se charge de tout. »
La caractéristique principale de ces entreprises intermédiaires est qu’elles permettent à un éventail beaucoup plus large d’hôtes Airbnb de professionnaliser leurs opérations. Une famille à l’extérieur de la ville pour la fin de semaine n’a plus à se soucier de l’heure d’arrivée de son voyageur ni de la coordination complexe de l’échange des clés. Une personne en déplacement pour un mois n’a plus à se préoccuper de trouver un seul et même voyageur prêt à réserver son logement pour l’entièreté de cette période ; l’hôte peut embaucher une entreprise de services d’entretien ménager, un agent préposé à la remise et à la récupération des clés et permettre à trois, quatre ou dix groupes différents de séjourner dans son logement durant ce mois. Mais surtout, ces intermédiaires font en sorte qu’il est dorénavant possible d’exploiter à temps plein un logement Airbnb, sans avoir à travailler à temps plein pour en gérer les opérations ‑ bref, d’utiliser Airbnb pour devenir un rentier passif. Un fait révélateur tiré de notre analyse de données est que plus d’un tiers des hôtes actifs d’Airbnb à Montréal répondent en moyenne en moins de cinq minutes aux demandes des voyageurs, et que plus d’un quart répondent en moins d’une minute. Ces délais ne sont possibles que grâce à l’utilisation de services de réponse automatisés. Les services intermédiaires de location à court terme peuvent ainsi faciliter la vie des petits locateurs s’adonnant au partage du logement, mais, plus important encore, ils fournissent l’infrastructure économique essentielle à la commercialisation des locations à court terme.
Les militants pour le droit au logement contre la location À court terme
Tandis que les chercheurs universitaires se sont mis à documenter de plus en plus les preuves des impacts problématiques de la location à court terme sur la disponibilité de logements et la qualité de la vie de quartier, à Montréal et dans plusieurs autres villes, ce sont les organismes communautaires qui ont été les premiers à soulever des inquiétudes touchant la prolifération rapide des locations à court terme. Pour sensibiliser la population et contrer les récits triomphalistes d’innovation et de développement économique de l’économie collaborative parfois associés à la location à court terme, des groupes locaux ont eu recours à une variété de tactiques, notamment des forums publics, des campagnes de graffitis et d’autocollants et des rapports de politiques pour sensibiliser le public et faire pression sur les politiciens afin qu’ils régulent le secteur de la location à court terme. Ces groupes ont eu tendance à se montrer solidaires ou indifférents envers le partage du logement à petite échelle, et ont plutôt ciblé les opérateurs commerciaux qui ouvrent, de facto, des hôtels dans des quartiers résidentiels, ainsi que les plateformes de locations à court terme ‑ Airbnb en tout premier lieu ‑ qui facilitent cette pratique.
À Montréal, un des plus importants organismes qui résistent à Airbnb est le Comité Logement du Plateau‑Mont-Royal (CLPMR). Ce groupe, dont la vaste tâche est de défendre les droits des locataires et d’accroître le nombre de logements sociaux, est localisé dans le quartier central du Plateau‑Mont-Royal, un quartier densément peuplé de locataires où il coûte de plus en plus cher de se loger. À l’automne 2016, avant la hausse récente de l’intérêt des chercheurs envers les problèmes causés par Airbnb, le CLPMR a diffusé un rapport qui soulignait la hausse rapide du nombre d’opérations Airbnb dans le quartier et des problèmes corrélatifs de bruit et de sécurité (Desmarais, 2016). Dans le plaidoyer public auquel il se livre, le CLPMR soutient qu’Airbnb porte atteinte à la qualité de vie des résidents par l’entremise du bruit et des désagréments dans le quartier, d’une hausse du coût du logement et d’une baisse de l’offre, accompagnée de risques d’éviction ; l’organisme définit l’entreprise de service comme « un outil de l’embourgeoisement » (CLPMR, 2019).
En collaboration avec d’autres groupes de locataires montréalais qui militent pour le droit au logement, tels que le Comité Logement Ville-Marie et le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), le CLPMR a fait campagne pour conscientiser le public à l’ampleur des enjeux de la location à court terme à Montréal et pour faire pression sur les responsables politiques afin qu’ils réglementent la location à court terme dans l’intérêt du public. En s’appropriant le discours des mouvements sociaux urbains, ils font valoir que les plateformes de location à court terme menacent « le droit à la ville » des Montréalais (Renaud et Roberge, 2019). Le CLPMR plaide en faveur d’une interdiction de la location touristique à court terme, notamment d’Airbnb (CLPMR, 2019), et il a, à cette fin, été l’instigateur de plusieurs actions : l’organisation d’une consultation citoyenne qui faisait entendre la voix des résidents touchés par la situation, la publication de rapports sur le nombre de logements Airbnb et leurs impacts, la diffusion d’information sur les manières possibles qu’ont les gens affectés de lutter contre la location à court terme et un travail auprès du gouvernement pour encourager une règlementation plus stricte.
Conclusions : Comment les villes devraient-elles rÉpondre À la croissance de la location À court terme ?
Montréal présente un cas flagrant où les locations à court terme contribuent à l’accroissement de la marchandisation du logement. Contrairement aux visions optimistes véhiculées à propos de la location à court terme, nos données suggèrent que ce secteur ne peut être raisonnablement décrit comme un cas de « partage du logement », mais qu’il est au contraire de plus en plus dominé par des opérateurs commerciaux qui profitent de la conversion des logements locatifs en « hôtels » et de l’érosion du droit au logement des locataires locaux. Devant ces faits, comment les villes et les gouvernements provinciaux, à Montréal et dans les autres villes confrontées à des défis analogues, devraient-ils réagir ?
À Montréal, les règlements en vigueur qui encadrent les locations à court terme sont établis et appliqués par le gouvernement provincial du Québec. Ils sont principalement créés pour faciliter la collecte des recettes fiscales, traitant ainsi ces locations comme tout autre mode d’hébergement hôtelier ou touristique (CBC News, 2017). Mais l’application inadéquate de la réglementation relative au zonage et à la sécurité permet aux logements loués à court terme de fonctionner comme des hôtels sans être soumis aux règles en vigueur. Par ailleurs, les opérateurs de location à court terme peuvent braver les règlements de zonage et ainsi s’implanter dans des quartiers résidentiels où l’intensité de l’activité commerciale n’a jamais été envisagée par les autorités municipales. Des manquements aux codes de santé et de sécurité dont le respect incombe aux hôtels placent les touristes et les visiteurs dans des situations à risque, et amoindrissent le coût de conversion des anciens immeubles résidentiels pour les opérateurs.
Bien que deux arrondissements de Montréal (Le Plateau‑Mont-Royal et Ville-Marie) aient intégré des exigences réglementaires supplémentaires qui limitent les locations à court terme à certaines rues et (dans le cas de Ville-Marie) exigé une distance minimale de 150 mètres entre elles (Corriveau, 2018), ces règlements seront difficiles et coûteux à faire respecter en l’absence d’une coopération de bonne foi de la part d’Airbnb et des autres plateformes de location à court terme. Malheureusement, une telle coopération n’a été observée ni à Montréal ni dans les douzaines d’autres villes sur lesquelles portait notre étude.
Comment les villes peuvent-elles favoriser les bénéfices à somme positive potentiels du partage de logement tout en préservant la qualité de vie et l’accessibilité au logement pour les résidents ? À notre avis, voici trois principes utiles : un hôte pour un logement ; l’interdiction de louer un logement entier à temps plein ; et un partage obligatoire des données. En premier lieu, les législateurs devraient s’assurer que les locations à court terme soient des arrangements de partage du logement ‑ que les hôtes partagent réellement leurs propres résidences principales. Cela permettrait aux résidents de louer leur logement lorsqu’ils partent pour la fin de semaine ou de louer une chambre inoccupée à un visiteur de temps à autre. L’exigence « un hôte pour un logement » préviendrait la prolifération d’opérateurs commerciaux à grande échelle et l’« hôtellisation » d’immeubles entiers et des rues. De même, les hôtes ne devraient pas avoir le droit de louer leur logement à des visiteurs de courte durée pour la majeure partie de l’année. Les voisins et les quartiers ne devraient pas être assujettis à un flux constant de visiteurs souvent perturbateurs. Bien que diverses villes aient établi différentes limites quant au nombre de nuits de location, celles-ci étant situées souvent entre 60 et 120 nuits par année, il est important de fixer un seuil afin de limiter la location à court terme à un réel partage du logement.
Finalement, la coopération des plateformes collaboratives est une condition sine qua non de toute réglementation d’intérêt public efficace de la location à court terme. Cela signifie qu’à tout le moins, les plateformes doivent partager leurs données avec les législateurs pour permettre à ces derniers d’appliquer les règlements avec efficacité. Dans l’idéal, les plateformes devraient être tenues responsables de la mise en application proactive des règlements. Ainsi, si une ville interdit par exemple les locations à court terme dans une zone géographique donnée, Airbnb devrait refuser la création d’annonces dans cette zone. Les faits recueillis suggèrent que même les règlements les plus stricts pourront difficilement réduire l’incidence des locations à court terme sur la disponibilité du logement si les législateurs n’ont pas accès aux données et si les plateformes ne s’engagent pas de manière proactive à être en conformité avec les règles établies. Par exemple, la réglementation de la location à court terme de la Ville de New York est l’une des plus strictes au monde, elle interdit de fait toute location de logement entier à court terme, mais ces règles sont largement bafouées par les hôtes de location à court terme et les plateformes elles-mêmes.
La Ville de New York a adopté une nouvelle réglementation en 2018 exigeant des plateformes qu’elles lui transmettent les données sur leurs hôtes et leurs réservations, ce qui selon l’estimation de Wachsmuth et coll. (2019) pourrait conduire à une restitution par Airbnb de 8700 logements sur le marché locatif de longue durée. En l’absence de coopération de la part d’Airbnb (qui a en fait poursuivi la Ville de New York pour empêcher que la loi n’entre en vigueur), ces 8700 logements continuent d’être occupés par des touristes plutôt que par des résidents.
Il faut donc retenir que les villes du monde entier font face à des incitatifs et des contraintes analogues en ce qui concerne la location à court terme. Alors que le concept du partage de logement est en soi une bonne idée, la réalité est que les opérateurs commerciaux de location à court terme ont utilisé la plateforme Airbnb pour réduire l’accès des résidents à des logements abordables et qu’Airbnb a facilité cette pratique alors même qu’elle promeut une rhétorique trompeuse du partage de logement. Les mouvements sociaux urbains s’opposent à cette marchandisation du logement et attirent l’attention sur ses conséquences négatives. Ultimement, les responsables politiques devront eux aussi se montrer à la hauteur du défi, implanter une réglementation qui interdit la location commerciale à court terme et exiger la transparence des plateformes afin de restituer des milliers de logements perdus et consolider le droit au logement.
Parties annexes
Notes biographiques
Danielle Kerrigan est étudiante au doctorat à l’École d’urbanisme de l’Université McGill et membre du groupe de recherche sur la politique et la gouvernance urbaine (UPGo) de l’université. Ses recherches portent sur le logement, plus particulièrement sur les locations à court terme et l’évolution des relations entre propriétaires et locataires. Parmi ses autres travaux, on peut citer, Location, location, professionalization : a multilevel hedonic analysis of Airbnb listing prices and revenue, Regional Studies, Regional Science ainsi que, à paraître prochainement l’examen exhaustif des locations à court terme à travers le Canada : Short-term rentals in Canada : Uneven growth, uneven impacts, Canadian Journal of Urban Research.
David Wachsmuth est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en gouvernance urbaine à l’Université McGill, où il est également professeur associé à l’École d’urbanisme. Il dirige UPGo, le groupe de recherche sur la politique et la gouvernance urbaine à McGill, où il gère une équipe de chercheurs qui étudient les problèmes urgents de gouvernance urbaine liés au développement économique, à la durabilité environnementale et au marché du logement. Il est l’un des plus grands experts mondiaux sur les impacts des locations à court terme sur les villes. Il est rédacteur de la revue Territory, Politics, Governance et membre du comité de rédaction des revues Urban Geography et Urban Planning.
Note
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Texte traduit par Rebecca Lowson.
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