Comptes rendus

Michel Haar, La philosophie française entre phénoménologie et métaphysique, Paris, Presses Universitaires de France, « Perspectives Critiques », 1999, 143 pages. [Notice]

  • Mario Charland

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  • Mario Charland
    Université du Québec à Trois-Rivières

Ce qui frappe à prime abord à la lecture du livre de Haar, c’est l’absence d’introduction ou de présentation et... de conclusion ! Il y a bien une préface en début de volume mais qui prend les allures d’un chapitre au même titre qu’un autre ; le livre, ainsi divisé en cinq parties, ressemble plus à une collection d’articles divers rassemblés en un seul volume, sans unité apparente (à noter que deux des articles ont déjà parus antérieurement : il s’agit des chapitres 1, sur Merleau-Ponty et 5, sur Michel Henry). Ceci n’enlève rien à la qualité de chaque chapitre quoique la grille d’analyse heideggerienne transparaisse à chaque page, comme quoi on ne pourrait plus penser au delà de Heidegger, celui-ci ayant posé les bases d’une philosophie qui aurait transcendé les apories « classiques » de la métaphysique moderne et de la philosophie occidentale depuis ses origines. À lire les analyses de Haar, Merleau-Ponty est sûrement l’auteur français qui s’est le plus commis en tentant de rapprocher sa dernière philosophie de celle de Heidegger. L’interrogation de Haar, voire son scepticisme, à l’égard de l’auteur du Visible et l’invisible porte sur le primat de la perception (ou de la « chair ») chez Merleau-Ponty qui serait foncièrement incompatible avec une pensée de l’Être. Pour Heidegger, la perception est un phénomène dérivé du rapport originaire qui se noue entre le Dasein et l’Être, la question du « sens de l’Être » étant beaucoup plus primordiale que celle de notre insertion corporelle ou charnelle dans le monde perçu. Ainsi, lorsque Merleau-Ponty tente de se rapprocher des analyses « existentiales » de Heidegger sur l’histoire de l’Être, sa destinée et l’inclusion du Dasein humain dans cette historialité, il trahirait le projet heideggerien de rendre compte du destin de l’homme dans son rapport à l’Être. Que ce soit à propos des rapports entre sujet percevant et monde perçu, de la relation « chiasmatique » entre ego et monde, d’une « chair du monde », d’un « entrelacs » ou du Sensible comme espace mitoyen entre le percevant et le perçu, rien de tout cela ne pourrait trouver de résonance chez le dernier Heidegger dans la mesure où, aux dires de Haar, Merleau-Ponty serait revenu à une sorte de « naturalisme » naïf d’avant Husserl, plus en affinité avec le néo-romantisme ou encore avec la philosophie de Kant et de Bergson. Mais Haar ne fait-il pas lui-même pas preuve de classicisme en jugeant ainsi le dernier Merleau-Ponty, lui reprochant de dédramatiser Heidegger et son Dasein comme être-au-monde en proie à l’angoisse de par sa condition d’être jeté-là ? : « Le néant merleau-pontien a une figure bien pleine et bien rassurante » dit-il dans ce premier chapitre, un des plus intéressants de l’ensemble de l’ouvrage de par la réelle polémique à laquelle il donne lieu. Haar ne voit pas comment les considérations de Merleau-Ponty sur la perception et sur notre condition essentiellement charnelle d’être-au-monde pourraient être traduites en langage heideggerien, la philosophie de l’Être chez Heidegger ayant semble-t-il dépassé le niveau perceptif et physique pour atteindre une dimension irréductible à tout discours « naturalisant » (à notre sens, Merleau-Ponty use plutôt d’un discours « corporéisant », sensualisant de l’ordre d’une phénoménologie de la perception non directement « ontologique »...). C’est toujours le spectre de la métaphysique qui plane sur les tentatives de description de notre être perceptif et sensible avec sa résolution dans la « chair du monde », telle qu’entendue par Merleau-Ponty. Est « métaphysique », selon Haar, ce qui ne reconnaît pas ou ne prend pas son point d’appui sur la philosophie heideggerienne de …

Parties annexes