Études critiques

Réponse à Don Ross[Notice]

  • Denis Fisette et
  • Pierre Poirier

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  • Denis Fisette
    Université du Québec à Montréal

  • Pierre Poirier
    Université du Québec à Montréal

L’étude critique de Don Ross ne porte pas sur les paramètres généraux qui nous ont guidés dans cette étude, encore moins sur notre exposé des débats qui ont cours actuellement dans la philosophie de l’esprit et dans les sciences cognitives, mais elle porte principalement sur l’approche qui se profile dans les sept chapitres de l’ouvrage et que nous présentons schématiquement dans la conclusion. Son étude de cet aspect de l’ouvrage est particulièrement perspicace et nous croyons que Ross a très bien compris les enjeux, la portée mais aussi les limites de notre ouvrage. Puisqu’il manifeste une certaine sympathie à l’égard de notre évaluation critique de l’état des lieux dans la philosophie de l’esprit, la question qu’il pose n’est pas de savoir si un programme qui conjugue réalisme écologique et psychologie évolutionniste et qui met l’accent sur l’enchâssement corporel est viable, mais bien si ce programme entraîne un changement radical de régime ou une transformation en profondeur du cadre conceptuel de la philosophie de l’esprit. Car même en souscrivant à la critique du représentationnalisme comme le fait Ross, deux options peuvent être envisagées : le libéralisme, qui préconise un changement radical de régime, et le conservatisme à tendance oecuménique qui croit pouvoir s’accommoder aux modifications que nécessitent ces objections tout en restant sur ses positions. L’étude de Ross est en fait une mise en garde contre les dérapages ou « relâchements de l’esprit » auxquels pourrait conduire l’adhésion à l’option libérale. En réponse à Ross, nous ne chercherons pas à défendre l’une ou l’autre de ces options, mais nous voudrions évaluer les enjeux philosophiques qui sont associés à l’une et l’autre de ces options. Commençons d’abord par désamorcer un préjugé tenace dont sont victimes plusieurs lecteurs de l’ouvrage, dont Don Ross. Il porte sur la signification des termes « phénoménologie » et « phénoménologues » et sur l’usage que nous en faisons dans l’ouvrage. À la fin de son étude, Ross indique que ses réserves à l’endroit de la forme de libéralisme que nous préconisons concernent au premier chef la phénoménologie et plus précisément cette phénoménologie que nous associons à l’idée d’un esprit incarné, mais que Ross, lui, semble identifier à des « métaphores vaguement hégéliennes ». C’est ce que confirme une autre remarque, lancée au tout début de son étude, alors qu’il discute de notre point de départ historique et qu’il interprète notre distinction d’une double voie vers la philosophie de l’esprit contemporaine de la manière suivante : « l’une phénoménologique-idéaliste, l’autre représentationnelle-réaliste ». D’où, semble-t-il, l’association possible entre la position que nous défendons dans l’ouvrage (et que nous qualifions de phénoménologique) et l’idéalisme « vaguement » hégélien ! Nous croyons en effet que seul le préjugé qui identifie phénoménologie et idéalisme a pu nourrir de tels soupçons. Quelques remarques historiques suffiront peut-être à le désamorcer. Nous tenons pour acquis d’entrée de jeu que les arguments antipsychologistes de Frege et de Husserl contre les prétentions philosophiques de la psychologie scientifique ont eu pour conséquence, chez les empiristes logiques en particulier, de jeter un discrédit sur la valeur philosophique de la psychologie. D’où l’idée que philosophie et psychologie n’ont pas fait bon ménage durant toute la première moitié du vingtième siècle. Par psychologisme, que nous utilisons dans l’ouvrage dans un sens non péjoratif, nous entendons tout simplement la thèse suivant laquelle la psychologie occupe à elle seule tout le champ de la théorie de la connaissance. La deuxième hypothèse, beaucoup plus complexe que la première, vise à rendre compte des conditions (historiques et théoriques) qui ont rendu possible le développement de la philosophie de l’esprit depuis le début des années soixante …