Comptes rendus

Engin F. Isin, Being Political. Genealogies of Citizenship, Minneapolis, University of Minnesota Press, collection « Political Science/Sociology », 2002, 335 pages.[Notice]

  • Patrick Turmel

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  • Patrick Turmel
    Université de Montréal

Les généalogies de la citoyenneté d’Engin Isin ne sont pas simplement une histoire de la citoyenneté ; il ne s’agit pas d’expliquer la naissance de la démocratie et les grandes dates de son évolution. L’objectif est plutôt de rendre compte des rapports de force déterminant cette histoire. La prémisse de départ de l’ouvrage est que l’histoire communément admise de la citoyenneté, loin d’être objective ou politiquement neutre, est le récit que nous ont offert les dominants — il emprunte l’expression à Pierre Bourdieu. Partant d’une représentation héroïque de la citoyenneté grecque antique, les dominants des époques subséquentes se seraient inscrits au coeur d’une tradition citoyenne glorieuse, faisant ainsi de l’histoire de la citoyenneté un continuum harmonieux, et de leur propre groupe une unité ou un ensemble homogène. C’est trop vite oublier, selon l’auteur, la nécessité de l’autre dans la constitution de l’être politique (being political). Son objectif est donc de faire ressortir l’importance de la relation d’altérité sise au fondement de la citoyenneté. Depuis la Grèce antique, nous dit Isin, la citoyenneté n’est rien d’autre que le mode à partir duquel certains agents politiques se perçoivent comme vertueux, bons, supérieurs, et que l’on reconnaît comme tel. Pour reprendre une de ses formules : « la citoyenneté est ce point de vue particulier du dominant, qui se constitue lui-même comme un point de vue universel ». La condition de citoyen est donc une vérité tronquée ; le problème, c’est que la plupart des historiens y croient et tombent dans le piège narratif des dominants. Par conséquent, l’histoire de ces derniers nous est bien connue, mais celle de leurs autres l’est moins. Surtout, cette histoire nous empêche de comprendre la constitution de l’être politique, car elle cache les luttes et les conflits ayant lieu dans l’espace social où cet être se constitue, et qui lui sont nécessaires. Pour l’auteur, ces luttes internes sont des conditions de la politique en ce sens où ce sont elles qui déterminent à la fois le contenu — les droits et les obligations qui lui sont liés — et l’étendue — les critères d’inclusion — de la citoyenneté. On comprend que la citoyenneté n’est pas seulement, pour Isin, un statut légal abstrait, mais bien plutôt une pratique sociale qui n’est rendue possible qu’à travers cette relation d’altérité dans laquelle se trouve le citoyen. Comme il l’affirme dès les premières pages de son livre, être politique (being political), c’est avant tout « se constituer simultanément avec et contre les autres comme un agent capable de jugement sur ce qui est juste et sur ce qui est injuste ». Et il ajoute que « la citoyenneté et l’autreté (otherness) ne sont donc pas vraiment deux conditions différentes, mais deux aspects de la condition ontologique qui rend la politique possible ». Pour rendre compte de ce phénomène, Isin nous présente une série d’« investigations généalogiques » de la citoyenneté vue, non pas dans la perspective du dominant, mais dans la perspective du rapport que le citoyen a toujours entretenu envers l’autre. Il ne faut pas s’y tromper : son but n’est pas de donner la parole aux exclus, mais de démontrer que les différentes façons d’être politique « n’existent pas en elles-mêmes, mais seulement en relation les unes avec les autres ». Son travail se situe ainsi dans le cadre de ce qu’il appelle la logique d’altérité. Contrairement à ce qu’il nomme la logique d’exclusion, qui s’appuie généralement sur la prémisse selon laquelle les entités politiques sont homogènes, et qui ne s’intéressent donc qu’aux « autres transitifs ou distants » (transitive/distant others …

Parties annexes