Comptes rendus

Jérôme Dokic et Pascal Engel, Ramsey. Vérité et Succès, Paris, Presses Universitaires de France, collection Philosophies, 2001, 128 pages.[Notice]

  • Mathieu Marion

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  • Mathieu Marion
    Université du Québec à Montréal

Frank Ramsey est mort tragiquement, des suites d’une opération, en janvier 1930. Il n’était âgé que de 26 ans. Pourtant, son oeuvre, qui vient à peine de paraître en traduction française, en un volume (F. P. Ramsey, Logique, philosophie et probabilités, P. Engel & M. Marion (dir.), Paris, Vrin, 2003), est d’une importance remarquable. Il ne publia qu’un article de mathématiques, dans lequel il donna une solution partielle à l’Entscheidungsproblem de Hilbert à l’aide d’une paire de théorèmes de combinatoire qui sont à eux seuls à l’origine d’une branche des mathématiques contemporaines qui porte son nom, la « théorie de Ramsey ». Il ne publia que deux articles d’économie afin de répondre à des questions soulevées par des collègues économistes à Cambridge, mais ceux-ci furent aussi à l’origine des branches de la théorie économique contemporaine telles que la théorie des « prix de Ramsey ». Le texte posthume « Vérité et probabilité » contient une formulation de la théorie des probabilités subjectives et de la théorie de la décision, dont certains résultats furent redécouverts dans les années cinquante, et qui en fait un des grands classiques de l’histoire de ces deux théories. Bien qu’il n’ait point souffert des tortures existentielles que le commun des mortels associe à ce mot, il mérite le titre de « génie » avant nombre de ses contemporains. Malheureusement, en philosophie, sa réputation a été éclipsée par celle de son contemporain à Cambridge et son ami, Ludwig Wittgenstein, qui reconnaissait pourtant l’influence décisive de Ramsey sur son oeuvre. En France, à part quelques-uns — par exemple, G.-G. Granger et J. Bouveresse —, on ignorait tout de lui, jusqu’à son nom. Les jeunes générations, qui ont rejeté les ornières paroissiales de leurs aînés pour vivre au rythme d’une Europe ouverte et multiculturelle, le découvrent enfin grâce à ce court livre de Jérôme Dokic et Pascal Engel, dont une traduction anglaise vient par ailleurs de paraître : Frank Ramsey : Truth and Success (Londres, Routledge, 2003). L’influence des conceptions de la croyance et de la connaissance, de la causalité, des universaux, de Ramsey sur la philosophie s’est fait sentir au long du siècle. J’ai mentionné Wittgenstein, mais les anticipations et parallèles avec Davidson sont parfois saisissants. Par ailleurs, l’idée des « énoncés de Ramsey » (p. 56) fut utilisée de diverses façons par Carnap et David Lewis, le « test de Ramsey » (p. 54) a été repris par Robert Stalnaker et Peter Gärdenfors, etc. Le coeur du présent ouvrage est la « sémantique du succès » (p. 71 sq.), qui trouve son origine dans un texte de Jamie Whyte, « Success Semantics » (Analysis, vol. 50 (1990), p. 149-157). Il s’agit d’une tentative d’explication en termes naturalistes des notions de vérité et d’intentionnalité des attitudes propositionnelles à partir de ce qu’il est convenu d’appeler le « principe de Ramsey » (PR), que Dokic et Engel reformulent ainsi : « Les conditions de vérité d’une croyance sont les conditions réelles qui garantissent le succès de l’action que la croyance est susceptible de produire, quel que soit le désir en jeu » (p. 71). L’ouvrage n’est donc pas une introduction à l’ensemble de l’oeuvre de Ramsey mais, du point de vue particulier de cette sémantique du succès, une introduction à ses parties centrales (à l’exclusion surtout des questions de philosophie des mathématiques), c’est-à-dire la théorie pragmatiste de la vérité, de la croyance et de l’action (théorie qui sous-tend ses contributions fondamentales aux disciplines que sont la théorie des probabilités et la théorie de la décision, la théorie des jeux et la théorie du choix …