Comptes rendus

Daniel Tanguay, Léo Strauss. Une biographie intellectuelle, Paris, Grasset, coll. « Le collège de philosophie », 2003, 338 p.[Notice]

  • Stéphane Chauvier

…plus d’informations

  • Stéphane Chauvier
    Université de Caen

Léo Strauss est souvent perçu comme un penseur politique conservateur, voire réactionnaire, qui aurait tenté de mettre en lumière ce que les Modernes auraient perdu en plaçant la politique au service de l’Agréable plutôt que du Bien. Le thème central de la pensée de Strauss serait donc la critique du libéralisme et de l’égalitarisme modernes au nom de conceptions inspirées pour l’essentiel du perfectionnisme platonicien. Daniel Tanguay propose dans ce livre une présentation très différente de la pensée de Strauss. D’après lui, le thème central de cette pensée n’est pas l’opposition entre le droit naturel ancien et le droit naturel moderne, mais le « problème théologico-politique ». C’est ce problème qui aurait été tout au long de sa vie le thème directeur de la pensée de Strauss, et c’est seulement à l’occasion de l’examen de ce problème qu’il aurait formulé sa critique du libéralisme moderne. En quoi consiste tout d’abord ce « problème théologico-politique » ? Si l’expression désigne traditionnellement le problème du fondement de l’autorité politique et du rapport entre l’Église et l’État, D. Tanguay donne à cette expression un sens quelque peu différent. Le problème théologico-politique, tel qu’à ses yeux Strauss l’aborde, c’est en premier lieu le problème du rapport entre la philosophie et la religion traditionnelle ou entre « Athènes et Jérusalem », et c’est, en second lieu, le problème du rapport que la philosophie ou la religion doivent entretenir avec les lois et coutumes de la Cité. Pour comprendre comment Strauss s’est trouvé confronté à ce problème, l’auteur propose de suivre la formation intellectuelle de Strauss. Élevé dans une famille juive orthodoxe, Strauss, vers l’âge de 17 ans, s’est senti proche des idées et revendications sionistes. Tandis que la recherche de l’assimilation obligeait à sacrifier l’attachement au judaïsme orthodoxe, le sionisme lui semblait permettre de préserver la dimension communautaire traditionnelle du judaïsme. Toutefois, Strauss s’est peu à peu rendu compte que le sionisme, parce qu’il impliquait que les Juifs aient à assurer eux-mêmes la sauvegarde de leur vie terrestre, était en rupture avec l’idée orthodoxe selon laquelle le salut du peuple juif dépendait d’une intervention divine. D’après D. Tanguay, c’est cette découverte qui a conduit Strauss à s’interroger sur la valeur de l’orthodoxie religieuse, de la soumission à la Loi et à la tradition. Pour cela, Strauss s’est tourné vers Spinoza et s’est demandé si l’auteur du Traité théologico-politique était réellement parvenu à réfuter l’orthodoxie religieuse. La première découverte philosophique de Strauss fut que Spinoza n’y était pas parvenu (La critique de la religion chez Spinoza, 1930). Car pour réfuter la religion traditionnelle et son concept de révélation, il aurait fallu réfuter l’idée de toute-puissance divine, ce qui pour Strauss était impossible. Ce que Spinoza avait donc seulement montré, c’est que « l’esprit positif » moderne, un esprit dont Strauss découvrit qu’il découlait, en son fond, de l’hédonisme épicurien, était incompatible avec l’esprit religieux. D’après D. Tanguay, cette découverte de l’échec du spinozisme ne conduisit cependant pas Strauss à renouer avec l’orthodoxie religieuse. Elle le conduisit bien plutôt à rechercher si l’esprit des Lumières modernes épuisait à lui seul le rapport que la philosophie pouvait entretenir avec la religion. La deuxième grande étape de la pensée straussienne fut dès lors, selon D. Tanguay, sa découverte de Maïmonide et surtout de Fârâbî. En lisant Maïmonide (La philosophie et la Loi, 1935), Strauss découvrit qu’il existait une alternative philosophique aux Lumières modernes : tandis que celles-ci rejetaient tout simplement la religion, les « Lumières médiévales » comprenaient la révélation de telle façon que le Prophète devenait indiscernable d’un Législateur. Or, parce que le philosophe pouvait …