Comptes rendus

Mathieu Marion, Ludwig Wittgenstein : introduction au « Tractatus logico-philosophicus », Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Philosophies », 2004, 128 pages.[Notice]

  • Sébastien Gandon

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  • Sébastien Gandon
    Université Blaise Pascal

L’objectif affiché des ouvrages de la collection « Philosophies » est d’introduire à une oeuvre ou à une problématique. Le livre de M. Marion ne déroge pas à la règle et vise avant tout à présenter de façon claire et précise les principaux enjeux du Tractatus et le contenu des débats que cet ouvrage a suscités. Après avoir souligné, dans le premier chapitre que l’idée d’analyse logique comme mode d’élimination des problèmes métaphysiques (idée que le commentateur fait remonter à Frege et Russell, mais aussi de façon moins convenue, à Hertz) est le fil rouge du Tractatus, l’auteur passe en revue les principales questions discutées dans la littérature secondaire. La relation à Russell (plus précisément : à l’atomisme logique et à la théorie du jugement) est examinée dans le chapitre II. Le problème de savoir si Wittgenstein est « réaliste » ou « nominaliste » est l’objet du chapitre III. Le chapitre IV est, quant à lui, entièrement consacré au concept d’analyse développé dans le Tractatus. Les questions liées à la nature des objets simples sont étudiées dans le chapitre V. Le chapitre VI porte sur la conception tractatuséenne des mathématiques (M. Marion y reprend les conclusions de son précédent livre, Wittgenstein, Finitism, and the Foundations of Mathematics, Clarendon Press, 1998). Enfin, le chapitre VII analyse les fragments consacrés à l’éthique, et la très (trop ?) célèbre conclusion du Traité. Le cheminement de M. Marion est donc très classique : ce plan est adopté, à quelques variantes près, par les principaux commentateurs. Deux choses singularisent cependant le propos. M. Marion sait très bien allier précision dans les références et vitesse dans les analyses. Ce qui semble l’intéresser au premier chef, c’est ouvrir de nouvelles perspectives herméneutiques en établissant des connexions inattendues entre le Tractatus et d’autres pensées — ce n’est pas de développer une hypothèse interprétative dans toutes ses conséquences. Ce trait, déjà présent dans son ouvrage antérieur, est encore plus visible ici à cause de l’objectif pédagogique affiché. Il s’agit, pour l’auteur, de baliser le terrain et d’indiquer des pistes encore peu explorées que le lecteur pourrait suivre avec profit. On ne s’ennuie donc jamais, car l’inventivité de M. Marion ne se dément pas. Les analyses consacrées à l’éthique sont ainsi particulièrement « insightfull ». De même, la reprise de l’interprétation peu connue de H. Kannisto (Thoughts and their Subject. A Study of Wittgenstein’s Tractatus, 1984) éclaire les textes de Wittgenstein sous un nouveau jour. Et la tentative de synthèse (élaborée aux chapitres IV et V) entre la conception développée par J. Griffin de l’analyse et de l’approche à la Hintikka des objets simples, si elle n’est pas sans difficulté, est elle aussi originale et prometteuse. Le second point, assez surprenant pour un ouvrage d’introduction, est le caractère engagé des développements de M. Marion. Dans la plupart des chapitres, après avoir exposé le dernier état des débats, l’auteur prend parti. Ainsi M. Marion défend toujours (même s’il paraît plus nuancé que dans certains de ses textes antérieurs) l’interprétation phénoménaliste proposée par les Hintikkas des objets simples. Il développe et soutient également la thèse de F. Latraverse, selon laquelle la pensée est, dans le Tractatus, médiatrice entre le monde et le langage. Cet engagement, toujours précédé d’une revue de la littérature secondaire très conséquente, ne brouille pas l’intelligibilité du propos. Bien au contraire, en intéressant les débats, ces prises de parti facilitent l’exposé des différentes positions. On peut, bien entendu, éprouver quelque réserve concernant les options prises par l’auteur, qui, faute de place, ne peut pas, il est vrai, toujours défendre ses choix …