Comptes rendus

Joseph Yvon Thériault, Critique de l’américanité. Mémoire et démocratie au Québec, Montréal, Québec-Amérique, 2002, 376 pages.[Notice]

  • Alain Létourneau

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  • Alain Létourneau
    Université de Sherbrooke

C’est une recherche critique sur la culture québécoise que nous livre l’auteur au sujet du recours à l’américanité pour penser l’identité québécoise, lequel est devenu fréquent depuis quelques décennies, en particulier dans les discours savants produits dans les humanités. On a ici le travail d’un véritable historien de la culture, des pôles de référence qui fonctionnent dans les discours « littéraires », « historiques », « sociologiques », « politiques » sur le Québec. Ce recours, dont les limites sont bien soulignées par Thériault, permet à une communauté historico-politique diversifiée mais néanmoins focalisée de se réfléchir. Le recours à l’américanité s’oppose à des discours plus anciens sur « le peuple du Canada français » ou la « nation française » sur le continent, etc., bien que ces contre-discours ne soient examinés ici qu’en contrepoint du discours central. L’intérêt de ce travail est d’abord de montrer comment les recours à l’américanité sont plus riches et différenciés qu’on ne le croit généralement, même si les usages, qu’on aurait pu à notre avis comprendre et expliquer comme des recours argumentatifs, sont aussi, à bien des égards, contradictoires et peu conséquents dans la pratique. La position de l’auteur est que cette américanité est une impasse, comme il s’emploie à le démontrer ; la voie qu’il proposera consistera à refuser d’occulter l’histoire et les caractéristiques propres du peuple français du Nouveau Monde. Thériault nous montre que ces recours à l’américanité peuvent être ressaisis à partir de parcours bien définis. Quant à l’analyse de l’argumentation, on peut dire qu’il travaille sur les lieux (les topoi) du discours identitaire québécois, même si lui-même n’utilise pas ces catégories. Tout au long de l’ouvrage, et de manière constante, l’auteur viendra relativiser considérablement la piste de « l’américanité » pour comprendre l’identité québécoise. Admettons-le d’emblée avec lui : le recours à « notre américanité » est un recours souvent facile, peu critique et peu réfléchi. Toute la première partie montre que ce recours est en fait multiple, connoté diversement, et qu’il ne fait pas synthèse stable. On se demande toutefois si l’approche n’est pas un peu unilatérale, qui suggère assez explicitement de renouveler le discours du Canada français ou du moins d’en retrouver une tradition presque totalement disparue. Beaucoup de nos contemporains voient dans l’américanité la clé de l’identité québécoise contemporaine (p. 49), notamment Gérard Bouchard et Yvan Lamonde qui la considèrent comme un symbole de modernité. Cela s’oppose à la vision classique canadienne-française : fidélité à la terre et aux ancêtres, à la tradition, qui faisait dire à Tocqueville que la Nouvelle France était plutôt la vieille France, la nouvelle étant « chez [eux] », soit sur le continent (p. 51-2). C’est le catholicisme qui était le fond de cette culture, non l’individualisme libéral, même si l’individualisme existait aussi au Canada français. En tout cas, pour ce peuple historique ayant longtemps vécu avec l’idée de survivance, rien de cette thèse sur l’américanité comme être du Canadien français n’est démontré (p. 54). Mais qu’en est-il du Québécois contemporain, de son être culturel ? On ne peut en rendre compte par la catégorie exsangue de l’américanité, car celle-ci est une abstraction qui nie complètement les rapports, pourtant singuliers et bien attestés, à décoder finalement selon des catégories communautariennes et historiques plus que libérales (p. 58-61). Mais l’américanité est plus que l’être américain ; elle concerne aussi d’autres catégories : l’adaptation matérielle (1.2), quelque chose de différent de l’européanité (1.3), un parcours de sociétés neuves (1.4). Si on suit le fil de la modernisation, on aboutit vite à des confusions condamnables entre cette dernière et l’américanité, ou avec l’américanité et …