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Sur la portée des prérogatives personnelles[Notice]

  • Idil Boran

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Les prérogatives personnelles sont des libertés accordées aux individus afin qu’ils puissent poursuivre leurs propres intérêts, projets, et ambitions. La question morale que cela soulève est de savoir jusqu’à quel point ces permissions personnelles peuvent aller. Quelle est la portée des prérogatives personnelles et quelles en sont les limites ? Dans ses travaux, Samuel Scheffler soutient l’idée que la justification des prérogatives personnelles est fondée sur l’indépendance du point de vue personnel et que cette justification n’est pas soumise aux restrictions déontologiques. C’est cette thèse que l’auteur a appelée la thèse d’indépendance. Il en découle qu’il est possible d’accepter des prérogatives sans restrictions, ce qui est la thèse d’asymétrie. Même si la thèse d’indépendance a suscité des réactions critiques, celles-ci se limitent aux arguments négatifs qui mettent sa validité en cause. Mon objectif, dans cet article, est de poursuivre ce débat et d’offrir des arguments positifs qui montreront que la justification des prérogatives personnelles dépend en fait des restrictions déontologiques. Mon analyse montrera, contre Scheffler, que toute justification des prérogatives personnelles implique une justification des restrictions déontologiques. Mon analyse sera structurée de la façon suivante. Je commencerai par une mise en contexte de la problématique où il s’agira d’expliquer que la justification des prérogatives personnelles se situe dans un projet de rejet du conséquentialisme. La deuxième section étalera la thèse d’indépendance soutenue par Scheffler qui sera suivie, dans la troisième section, par un exposé de la thèse d’asymétrie. La quatrième section sera consacrée aux objections qui, par des arguments négatifs, mettent en cause la thèse d’indépendance. Dans la section suivante, j’offrirai deux arguments positifs en faveur de ce que je nomme « une thèse de dépendance ». Le premier argument en appelle aux droits fondamentaux. Il vise à démontrer que la protection des prérogatives requiert un système de restrictions déontologiques. Le second est un argument contractualiste qui montre que les prérogatives peuvent engendrer le dilemme du prisonnier dans des situations à plusieurs acteurs. Tous les deux convergeront vers la conclusion que toute justification de prérogatives personnelles dépend, pour qu’elle puisse tenir, des restrictions déontologiques. La sixième section anticipera une objection contre ma thèse et offrira une réponse. Les prérogatives personnelles ont une place importante dans les théories morales modernes. Elles sont souvent invoquées par opposition aux théories conséquentialistes. Le conséquentialisme requiert de l’agent moral de toujours choisir l’action qui contribuera le plus au bien général conçu d’un point de vue impartial. L’importance qu’elle attribue au point de vue impartial constitue l’attrait de cette théorie. Historiquement, les positions morales conséquentialistes (dont l’utilitarisme) ont été reconnues comme étant progressistes, égalitaires, et modernes. Cependant, l’exigence d’impartialité entraîne une exigence particulière propre aux théories conséquentialistes. La maximisation du bien général conçu d’un point de vue impartial implique que l’on attend des agents moraux de sacrifier leurs propres intérêts ou projets afin d’y contribuer. Même si l’importance qu’il donne au point de vue impartial est souvent louée, le conséquentialisme a suscité un certain nombre d’objections qui mettent en doute sa plausibilité en tant que théorie morale. Deux objections sont souvent soulevées. L’une consiste à dire que le conséquentialisme est trop exigeant, car il requiert des agents de sacrifier leurs propres intérêts ou projets afin de contribuer au bien général. L’autre consiste à dire que le conséquentialisme n’est pas suffisamment exigeant, car certaines actions inacceptables selon certains de nos jugements considérés justes seraient permises par le conséquentialiste s’il se trouvait qu’elles contribuent au bien général. Le conséquentialisme permettrait par exemple de nier les intérêts fondamentaux de certains pour apporter un plus grand bien à un plus grand nombre de personnes. Ces objections ont incité beaucoup de …

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