Comptes rendus

Mark Hunyadi, Je est un clone. L’éthique à l’épreuve des biotechnologies, Paris, Seuil, coll. « La couleur des idées », 2004, 198 pages.[Notice]

  • Jean-Yves Goffi

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  • Jean-Yves Goffi
    Université de Grenoble

Pour M. Hunyadi (M. H.), les avancées de la génomique et de la biologie moléculaire ont révélé une « plasticité intégrale de l’homme, n’ayant pour limites que celles de la physique et de la biologie elles-mêmes » (p. 24). Cela le conduit à récuser toute posture réaliste en morale : « ce n’est pas la nature humaine qui dicte ce que nous devrions être, c’est ce que nous sommes qui dit ce qu’est la nature humaine » (p. 26). Dans ces conditions, le monde et l’homme ne vont-ils pas devenir des objets « malléables au gré de notre libre arbitre » ? (p. 34). La réponse est négative. De façon très wittgensteinienne, M. H. proclame l’autonomie du langage et distingue radicalement les grammaires, mondes « de conventions instaurées par l’homme » et le « monde naturel » (p. 32). Si les grammaires sont des produits intentionnels comme n’importe quelle autre institution humaine, les produits de l’intentionnalité normative constituent les règles de l’univers moral et, à ce titre, « forment tous ensemble le contexte moral objectif de toute situation historique » (ibid.). L’antiréalisme de M. H. conserve donc une composante objectiviste nettement affirmée. Le contexte moral objectif (CMO) est comparé à un ensemble de ressources symboliques auxquelles l’homme ne peut se soustraire (p. 147) ; « tissé, façonné par nos prédécesseurs », il est « notre horizon nécessaire » (p. 70). Il est aussi le « symptôme de ce dont nous sommes capables » (p. 47). Au total, on peut parler d’une « inertie » (p. 43) de notre situation morale, corrélative à l’inertie propre du monde physique ; elles constituent, conjointement, des limites à la plasticité de l’une et de l’autre : ainsi, se révèle la naïveté de ceux qui défendent un « constructivisme de la table rase » (p. 45). De tels présupposés vont avoir d’importantes conséquences lorsque sera abordée la question du clonage (reproductif humain) qui constitue l’objet principal de l’ouvrage. Le clonage étant une des formes les plus radicales d’intervention sur la corporéité de notre être-au-monde (p. 67), M. H. pourrait se contenter de déterminer si elle est légitime au regard de notre CMO. Mais, attentif au caractère « lourdement transgressif » (p. 17) d’une telle pratique, il va aussi s’employer à faire apparaître la façon dont elle met à l’épreuve nos croyances et nos convictions. La simple éventualité du clonage nous force à clarifier notre pratique de la grammaire de l’autonomie individuelle, laquelle occupe une place privilégiée dans le CMO contemporain. En un sens, le clonage laisserait intacte l’autonomie humaine : un cloné, comme n’importe quel autre individu, disposerait de « la capacité d’exercer sa liberté sur le fond d’un patrimoine génétique » (p.73-74) conditionnant sans déterminer. Mais, en un autre sens, le statut ontologique du cloné serait radicalement inédit. Vu de l’extérieur, un cloné serait une sorte de jumeau (ou de jumelle), décalé dans le temps par rapport à son « modèle ». M. H. est le premier à admettre que le cloné aurait bien une individualité propre ; mais, en première personne, les choses seraient différentes : le cloné serait venu à l’existence parce que « désiré à l’identique de quelqu’un d’autre par quelqu’un d’autre » (p. 76). C’est là un fardeau ontologique insupportable, potentiellement destructeur de l’autonomie individuelle : l’intrusion entre soi et soi de la volonté d’un tiers va briser « à la racine la familiarité que chacun entretient naturellement avec soi-même » (p. 79). On aurait ici une véritable « constitution originaire hétéronome de soi » (ibid.), rendant fondamentalement factice l’exercice formel de l’autonomie, préservé en apparence …

Parties annexes