Comptes rendus

Peter Kemp (dir.), Le discours bioéthique, Paris, Cerf, coll. « Recherches morales », 2004, 113 pages.[Notice]

  • Dominic Desroches

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  • Dominic Desroches
    Université de Montréal

Les lecteurs intéressés par les questions difficiles se trouvant au carrefour de certaines disciplines des sciences sociales, notamment la bioéthique, l’éthique et le droit, seront heureux d’apprendre la publication en langue française de ce petit livre consacré aux rapports nouveaux qui unissent désormais la bioéthique et le biodroit. Sous le titre général Le discours bioéthique, les textes réunis ici ont tout d’abord été prononcés en anglais à titre de communications lors de deux colloques organisés par le Centre de recherche en éthique et droit dans la nature et la société (Center for Etik og Ret), à Copenhague, en 1996 et en 1998. Ce ne sont donc pas des textes neufs, mais des communications revues et augmentées en vue de leur publication pour le lectorat francophone. Ces recherches, qui n’ont de bioéthique que le thème, sont d’une très grande actualité et traduisent toute l’importance que les problèmes d’éthique, précisément ceux que l’on rencontre en santé, occuperont sous peu pour les sciences juridiques. Sans tarder, voyons ce que peuvent nous apprendre ces recherches qui portent sur le développement actuel du « discours bioéthique ». Le premier texte, qui donne le ton du livre, est de Peter Kemp. Le directeur du Centre de recherche en éthique et droit, bien connu pour ses nombreux travaux en philosophie française, en éthique et en bioéthique, propose une réflexion générale ayant pour but de situer l’ouvrage. Ainsi, il se penche sur les rapports complexes qu’entretiennent les domaines de la bioéthique et du biodroit. Après avoir rappelé de manière générale la problématique et les concepts-clés de ces nouveaux « savoirs », Kemp, qui s’intéresse surtout à l’introduction du biodroit dans l’éthique, situe le terme « biodroit » à l’intérieur de la tradition juridique française. Or ce premier constat vise à établir la possibilité de son dépassement. Car en prenant l’exemple du Danemark, un petit pays où la définition du biodroit jouit d’une assise philosophique, Kemp veut dépasser une bioéthique qui se conçoit, trop souvent, certes, sur le modèle désuet du Common law et le biodroit qui, lui, se conçoit de manière hiérarchique, en France notamment. Comme on le voit, cette première analyse de Kemp a donc pour mission de présenter les liens unissant la bioéthique et le droit, tout en tentant de comprendre en même temps la place récente qu’occupe le biodroit en éthique. Cette manière, disons circulaire, de concevoir ces nouvelles disciplines permet à Kemp de rappeler que les rapports entre la bioéthique et le biodroit ne relèvent pas simplement de sphères isolées, mais plutôt d’influences réciproques à la faveur desquelles ces domaines se limitent l’un l’autre (33). La présentation suivante est du philosophe Paul Ricoeur. Son étude met précisément l’accent sur le jugement dans l’orientation thérapeutique (ou clinique) de la bioéthique. Ricoeur s’intéresse ici de manière générale au jugement et à ses applications dans le large domaine de la santé. Ainsi propose-t-il de distinguer d’abord le jugement prudentiel du jugement déontologique et du jugement réflexif. S’inspirant de la tradition philosophique (on pense particulièrement à Aristote), Ricoeur précisera la nature du jugement dans l’éthique médicale en insistant sur le fait que ce qui est en jeu, c’est la sagesse, c’est-à-dire la qualité du jugement que l’on doit retrouver dans une situation qui exige l’application de règles universelles à l’intérieur d’une pratique toujours singulière. En partant du jugement prudentiel (phronésis), général en ce qu’il concerne toutes les situations de la vie, Ricoeur explicite le passage au niveau déontologique, précisément lorsque le jugement doit s’appliquer à une profession. L’auteur justifie ce passage au moyen de trois fonctions du jugement déontologique ; celui-ci doit : 1) …