Comptes rendus

Jean-Louis Fournel, Jean Claude Zancarini, La politique de l’expérience. Savonarole, Guicciardini et le républicanisme florentin, Turin, Edizioni dell’Orso, 2002, 386 pages.Marie Gaille-Nikodimov, Conflit civil et liberté. La politique machiavélienne entre histoire et médecine, Paris, Honoré Champion, 2004.Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live, nouvelle traduction d’Alessandro Fontana et Xavier Tabet, préface d’Alessandro Fontana, Paris, Gallimard, collection « Bibliothèque de Philosophie », 2004, 575 pages.[Notice]

  • Christian Nadeau

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  • Christian Nadeau
    Université de Montréal

Les études sur la pensée politique de la Renaissance italienne sont en pleine effervescence, que ce soit du côté des historiens ou de celui des philosophes. De très nombreux ouvrages ont été publiés, en anglais, en français ou en italien, au cours des cinq dernières années, et un inventaire exhaustif serait chose difficile. Il me semble toutefois que ce qu’il y a de particulièrement nouveau et fécond pour l’avenir est le mode d’approche de ces objets historiques. Dans l’ensemble de ces études, le travail spéculatif ne semble pas écarter les considérations empiriques, et vice versa. L’histoire nourrit la réflexion, ce qui est également vrai pour l’inverse. On pourrait objecter qu’il s’agit là d’une thèse triviale, étant donné qu’aucun historien n’a jamais voulu se limiter au seul domaine de l’établissement des faits et qu’aucun philosophe, ou du moins aucun historien des idées et de la philosophie, n’a voulu ignorer l’importance des contingences historiques pour la pensée. La nouveauté, c’est que l’histoire des idées et l’histoire de la philosophie sont des genres de moins en moins distincts l’un de l’autre, ce dont témoignent tout particulièrement les recherches récentes sur l’histoire de la pensée politique italienne à la Renaissance. Un obstacle majeur à ce type de démarche était la vieille accusation d’« historicisme ». Selon cette critique, un texte doit présenter des thèses qui sont indépendantes de leur contexte, sans quoi il est condamné à être une simple pièce de musée. Un tel type de critique semble toutefois manquer un élément essentiel de l’analyse historique des concepts et des idées : leur inscription dans un contexte marque leur altérité historique, mais du même coup nous révèle un savoir qui ne serait plus accessible autrement. Le souci du maintien de l’altérité historique des textes du passé n’est dès lors pas une fermeture du texte sur son passé, mais la condition de sa contribution aux débats qui nous intéressent maintenant. Si nous étudions le passé, même dans l’optique de problèmes importants pour le présent, ou encore, de questions transhistoriques, peut-être est-ce précisément en raison de ce que nous dit le passé en tant que passé, et non en tant que projection de nos préoccupations contemporaines sur lui. Un outil remarquable en ce sens est la nouvelle traduction d’Alessandro Fontana et Xavier Tabet, accompagnée d’un très important appareil critique, du Discours sur la première décade de Tite-Live, de Machiavel. Cette nouvelle traduction modifiera à coup sûr, dans le monde francophone, bon nombre de lectures trop faciles du corpus machiavélien. D’une part, elle corrige de nombreuses erreurs de traduction qu’il serait trop long d’énumérer ici. Mais il s’agit aussi d’une véritable édition critique, et l’appareil de notes mériterait une recension à lui seul tant il est riche et précis. À presque toutes les pages on retrouvera des indications précises sur les choix des traducteurs en se référant non seulement au texte italien mais, dans la littérature sollicitée par Machiavel, aux concepts pertinents d’Aristote, en passant par Salluste, jusqu’à Leonardo Bruni, ou encore aux contemporains de Machiavel — Guichardin, par exemple — dont le vocabulaire et son usage peut nous éclairer sur le sens à donner à une expression difficile à traduire. Ce travail est augmenté de nombreuses notes historiques qui permettent de bien comprendre les enjeux réels des thèses de Machiavel au regard des événements précis de son époque. La lecture de Tite-Live par Machiavel peut être pensée comme une paire de lunettes lui servant à mieux voir son propre siècle. Il n’est donc pas étonnant que les commentateurs de Machiavel se refusent souvent à vouloir faire de l’histoire d’antiquaire et préfèrent un dialogue du passé avec …