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In memoriam Raymond KlibanskyHommage à un grand maître[Notice]

  • Daniel Vanderveken

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La mort récente de Raymond Klibansky, 99 ans, président honoraire de notre Institut international de philosophie, prive ce monde d’un maître penseur et acteur philosophique majeur de notre temps. J’éprouvais à son égard de l’amitié et, comme bien d’autres ici, une profonde admiration tant pour son oeuvre philosophique et littéraire que pour ses actions et ses engagements exemplaires au cours de sa longue vie. Klibansky fut un véritable témoin du XXe siècle, dont il connut personnellement les grandes réussites culturelles et artistiques, ainsi que les terribles tourmentes et les désastres politiques et idéologiques. Il a fait face avec grand courage à la tyrannie et est devenu un véritable philosophe d’action. Toute sa vie, il s’est montré épris de vérité, de beauté et de justice. Soucieux de perfection, il croyait en la vertu du dialogue aussi bien pour le progrès philosophique que pour le rapprochement des hommes de bonne volonté. Les véritables dialogues mènent souvent à l’amitié. Sa vie le montre avec les amitiés qu’il a vécues aussi bien avec ses maîtres qu’avec ses collègues et étudiants. Quiconque a véritablement dialogué avec lui se rappellera toujours de son accueil, sa bienveillance, son intérêt pour des choses nouvelles, sa vivacité d’esprit, ses yeux bleus qui brillaient, son érudition et son génie ainsi que son don de mettre à l’aise tout en poussant plus loin la discussion. Raymond Klibansky était professeur émérite des Universités de Heidelberg, Oxford et McGill. Il a connu au cours de sa vie de terribles infortunes. Mais il a aussi eu des chances inouïes. Né à Paris de parents allemands, il lui faut quitter précipitamment la France lors du déclenchement de la première guerre mondiale. Jeune étudiant dans les années 1920, à l’Université de Heidelberg, soucieux de bien comprendre ce qu’est l’homme en commençant par le commencement, il se lance dans l’étude de la pensée philosophique et artistique grecque entouré d’incomparables savants et hommes de lettres allemands du temps comme Max Weber, Friedrich Gundolf et Ernst Curtius. Il est nommé Privatdozent à l’Université de Heidelberg et il est très vite reconnu internationalement pour ses travaux en histoire de la philosophie et des idées. Il fréquente alors les plus grands et se lie notamment avec Karl Jaspers et Ernst Cassirer. D’origine juive, il est privé de l’accès à son bureau lors de la prise de pouvoir des nazis en 1933. Il a ainsi perdu, m’a-t-il dit, les résultats de longues années de recherche. Il est aussitôt directement menacé de mort à cause de ses travaux philosophiques. En découvrant dans les écrits latins de Maître Eckart l’influence de penseurs arabes et juifs, surtout de Maïmonide, Klibansky avait en effet contredit l’idéologie officielle nazie selon laquelle Maître Eckart était le premier grand philosophe proprement germanique. En outre, il s’était aussi insurgé contre les mesures et les méthodes nazies d’exclusion. Faisant immédiatement fuir les siens, Klibansky est cependant resté en Allemagne pour célébrer le deuxième anniversaire de la mort de son maître, Gundolf. C’est alors qu’il a convaincu les Warburg de fuir l’Allemagne avec leur précieuse bibliothèque. Réfugié ensuite en Angleterre, il apprit rapidement l’anglais et devint peu après Fellow à l’Université d’Oxford. Pendant la guerre, Klibansky a poursuivi son combat contre le fascisme. Il fut officier dans l’Intelligence service et fit profiter les alliés de ses connaissances historiques sur le bassin méditerranéen. Il a toujours regretté que les Américains n’aient pas pris en considération ses conseils de ne pas débarquer en Sicile. Toute l’histoire allait à l’encontre de ce débarquement. Après la guerre, Klibansky est redevenu professeur à Oxford, puis est venu au Canada enseigner à l’Université McGill. Il a …

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