Disputatio

Précis de L’Intentionnalité, problèmes de philosophie de l’esprit[Notice]

  • Pierre Jacob

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  • Pierre Jacob
    Institut Jean Nicod
    CNRS/EHESS/ENS-DEC
    Paris, France
    Jacob@ehess.fr

Comme l’a maintes fois souligné Jerry Fodor, il existe une différence épistémologique patente entre les sciences cognitives et les autres sciences de la nature. Depuis la révolution scientifique, les sciences de la nature ont renoncé à expliquer et prédire le comportement des particules élémentaires, des atomes, des molécules, des cellules et des étoiles en leur attribuant des perceptions, des émotions, des intentions, des croyances et des désirs. Mais, depuis la « contre-révolution  » anti-béhavioriste qui leur a donné naissance au milieu des années 1950, contrairement à la physique, la chimie et la biologie moléculaire (mais comme les sciences humaines et sociales), les sciences cognitives expliquent et prédisent certains comportements humains en attribuant aux agents des représentations mentales possédant un contenu ou ce que Franz Brentano nommait l’« intentionnalité  ». Non seulement un agent humain est supposé former des représentations mentales, mais de surcroît certains de ses gestes sont supposés dépendre causalement du contenu de ses représentations mentales. Au début des années 1990, à la suite de Fodor et Dretske, cette asymétrie entre les sciences cognitives et les autres sciences de la nature m’est apparue comme une raison suffisante pour m’engager dans le programme métaphysique dit de « naturalisation de l’intentionnalité  ». Naturaliser l’intention­nalité, c’est chercher à concilier le réalisme intentionnel avec une ontologie moniste physicaliste. S’engager dans ce programme, c’est assumer deux tâches. En conformité avec le monisme physicaliste, la première tâche consiste à indiquer la voie d’une réduction de l’intentionnalité d’un agent à des propriétés physiques, biologiques ou computationnelles (elles-mêmes non intentionnelles) de son cerveau et de son corps. Conformément aux exigences du réalisme intentionnel, la seconde tâche consiste à montrer que l’intentionnalité des représentations mentales d’un agent n’est pas dépourvue d’efficacité causale dans la production de ses gestes corporels. Ce programme engendre une double tension. D’une part, le fait de souscrire au monisme physicaliste pousse à réduire l’intentionnalité à des pro­prié­tés non intentionnelles. Mais souscrire au réalisme intentionnel, c’est supposer que, dans le processus comportemental d’un agent, l’intentionnalité possède une efficacité causale dont sont dépourvues les propriétés non intentionnelles du cerveau et du corps de l’agent. D’autre part, les monistes physicalistes sont enclins à admettre conjointement que les relations causales sont des relations locales entre une cause et son effet et que les propriétés d’une cause ne sont pas toutes causalement efficaces dans le processus par lequel la cause engendre son effet. Or les programmes de réduction de l’intentionnalité les plus prometteurs — la sémantique informationnelle et les théories téléosémantiques — sont des programmes externalistes. Pour autant que la réduction soit réalisable, l’intentionnalité d’un agent ne s’avère pas réductible aux propriétés intrinsèques de son cerveau et de son corps: elle dépend des relations historiques extrinsèques entre le cerveau de l’agent et son environnement. Les programmes de réduction les plus prometteurs font donc peser une menace sur l’efficacité causale de l’intentionnalité. Ce livre n’est pas un ouvrage d’érudition. Il est né de la volonté de clari­fier cette double tension. Or, en lisant et relisant une page célèbre du chapitre 1 du Livre II de l’ouvrage de Brentano, la Psychologie d’un point de vue empirique (de 1871), j’ai cru voir se dessiner non seulement les racines de la tension, mais aussi les contours du paysage de la philosophie de l’esprit et du langage du vingtième siècle. J’ai voulu restituer le pattern cohérent des pro­blèmes et des controverses que me révélait la lecture de ce texte. Dans ces quelques lignes, Brentano fait deux choses. Il offre une définition complexe de l’intentionnalité et il soutient la fameuse thèse selon laquelle l’intentionnalité est la marque ou le critère des phénomènes mentaux ou psychologiques. …

Parties annexes