Comptes rendus

Jean Seidengart, Dieu, l’univers et la sphère infinie. Penser l’infinité cosmique à l’aube de la science classique, Paris, Albin Michel, 2006, 610 pages.[Notice]

  • Yvon Gauthier

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  • Yvon Gauthier
    Université de Montréal

Cet imposant ouvrage a son centre de gravité dans l’oeuvre de Giordano Bruno, le philosophe italien qui est le grand responsable de l’infinitisation de l’univers selon l’auteur et qui sera brûlé vif comme hérésiarque par l’Inquisition en 1600 après s’être vu refuser un compas (« circunnus ») pour la préparation de sa défense devant le tribunal ecclésiastique (p. 291). Jean Seidengart consacre plus du tiers de son livre à Giordano Bruno et à son influence (chapitres III et IV, pp. 147-397). Le Nolain — Bruno était né à Nola près de Naples — mérite bien ce traitement de faveur en vertu de son audace théorique et de son courage moral. Pourtant, toute son oeuvre ne vise qu’à montrer que le cosmos infini est la création d’un Dieu infini, ce qui s’accorde aussi bien à la théologie chrétienne qu’à l’héliocentrisme de Copernic dont il était un ardent défenseur. Le thème central de l’ouvrage, l’univers comme « sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part » remonte comme on sait à Nicolas de Cuse et plus loin encore à une source anonyme du Moyen Âge, peut-être hermétique. Dans son introduction « Le monde, l’univers et l’infini » qui fait allusion au titre classique d’Alexandre Koyré Du monde clos à l’univers infini, l’auteur, qui prend d’ailleurs ses distances avec Koyré, nous rappelle qu’en deçà de la via negativa de la théologie négative les langues indo-européennes, du sanskrit au français, ont prononcé l’infini sur le mode négatif; il aurait pu ajouter l’hébreu ici, puisque le Dieu hébraïque de la cabale « en sof », littéralement sans fin ou sans limite, se décline aussi avec une parti­cule de négation «  » comme l’«  » grec. Mais Seidengart nous prévient de l’excès d’érudition en ces matières (p. 482) et nous met en garde (p. 151) contre une Frances A. Yates qui a trop insisté sur l’influence de la tra­dition hermétique chez Bruno dans son livre Giordano Bruno and the Hermetic Tradition (London, Routledge and Kegan, 1964). On pourrait ajouter encore que la prudence épistémologique que l’auteur attribue aussi bien à Copernic qu’à Descartes au sujet de l’infinité cosmique est un trait de sa propre démarche, une prudence qu’ignorait totalement le spéculatif Nolain. Le chapitre I, « L’immensité cosmique au sens de Copernic », est une lecture attentive du De Revolutionibus orbium caelestium de 1543 qui a été peu lu dans son intégrité, nous apprend Seidengart; ce chapitre se termine sur le constat qu’un Copernic circonspect hésitait entre le fini et l’infini (pp. 104 et ss.), fidèle malgré tout à l’archétype de la sphère parfaite du De caelo d’Aristote qui a imprégné la cosmologie de Ptolémée. Le chapitre II est consa­cré aux coperniciens italiens et aux Anglais John Dee et Thomas Digges (1527-1608) à qui l’on doit A perfit description of the Celestial Orbes de 1576 avec un diagramme de sphères concentriques qui contient l’inscription « This orbe of starres fixed infinitely up extendeth itself... ». Vint Tycho Brahé, le plus grand astronome de la seconde moitié du XVIe siècle, qui a d’abord été coper­nicien, s’est rétracté par la suite et s’est opposé à toute visée infinitiste (p. 141) parce que, pour lui comme pour Descartes et Husserl, la Terre ne se meut pas! Bruno vint ensuite qui, pour se défendre en 1592, jugeait « chose indigne de la bonté et de la puissance divines » (cosa indigna della divina bontà e potentia) de ne produire qu’un monde fini. D’où, a contrario, l’argument que l’uni­vers infini est un « effet de la puissance divine infinie » (effetto …