Comptes rendus

Bruno Gnassounou et Max Kistler, Causes, pouvoirs, dispositions en philosophie. Le retour des vertus dormitives, Paris, Éditions de la rue d’Ulm et Presses Universitaires de France, 2005, 192 pp.[Notice]

  • Aurélien Robert

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  • Aurélien Robert
    École française de Rome

On dit de certains concepts qu’ils ont leur propre temporalité, ce qui permet à certains historiens de la philosophie de parler de l’avènement ou de la disparition d’un problème. S’il est une notion dont la mort semblait annoncée par la science moderne et même enterrée par l’analyse humienne de la causalité, c’est bien celle de pouvoir causal. Pourtant, quand la philosophie entend abandonner une idée, le langage ordinaire, lui, continue parfois de l’employer et, ce faisant, continue d’attribuer des pouvoirs aux choses: nous utilisons des somnifères, mangeons des pâtes à mâcher malléables, etc. Plus encore, les contributions recueillies dans cet ouvrage montrent que la question des pouvoirs causaux et des dispositions, celle de leur nature ou de leur rôle dans l’explication scientifique, n’ont jamais véritablement cessé d’intéresser la philosophie. Plus qu’une simple histoire de cette problématique, ce livre entend montrer la pertinence des notions de pouvoir et de disposition en philosophie des sciences et en philosophie de l’action, principalement au sein de ce que l’on nomme à tort « la philosophie analytique ». Comment, sans accepter les dispositions, expliquer qu’une propriété ne s’exerce pas nécessairement tout le temps? Ou encore qu’elle doit d’une certaine manière précéder son exercice? Qu’elle dépend d’un contexte d’exercice? Parmi les problèmes que posent ces notions, l’ontologie des propriétés dispositionnelles occupe la première place. On apprend donc dans ce livre comment la philosophie contemporaine a réinvesti avec force ce terrain, en tentant de comprendre les difficultés logiques liées à l’usage de ces concepts, ainsi que celles, ontologiques, que suscite la caractérisation de leur nature. Le livre commence (chap. 1) par un rappel historique fort utile sur les raisons de la critique moderne illustrée par le célèbre passage du Malade ima­ginaire de Molière à propos des vertus dormitives de l’opium. D’un point de vue historique, on a principalement reproché deux choses à l’idée de pouvoir causal: d’abord sa faiblesse explicative (attribuer un pouvoir reviendrait à fournir une explication causale tauto­logique, comme dans l’exemple de Molière); ensuite, à l’époque moderne, on reproche à cette théorie de faire du pouvoir une qualité occulte attachée à une substance (on ne sait plus comment formuler une ontologie des pouvoirs, après que John Locke et Robert Boyle ont eu tendance à assimiler les propriétés dispositionnelles aux accidents réels de scolastiques). On voit donc comment une tradition que l’on serait tenté de nommer « empiriste » a toujours résisté à l’idée de pouvoir, de Descartes à Carnap. Suivent ensuite quatre études qui entendent toutes défendre l’idée de pouvoir causal. Celle de Cyrille Michon (chap. 2) présente une défense générale de l’idée de vertu en faisant ressortir sa pertinence conceptuelle. Là où Molière pensait trouver des pouvoirs magiques dans l’explication aristotélicienne de la causalité, Michon nous montre que c’est plutôt le contraire qui se passerait si on abandonnait la notion de pouvoir. En effet, la causalité ne serait qu’occasion fortuite, suite contingente d’événements, dont la raison nous échapperait. Lorsqu’on s’interroge sur le pourquoi d’une action, on doit mentionner un pouvoir, alors que le comment de l’action peut être réduit à la description de la nature des agents et des patients, aux mécanismes qui les lient entre eux. La science a donc pour rôle d’expliquer les pouvoirs. C’est en cela qu’il faut opposer, selon Michon, l’idée de pouvoir causal au modèle déductif-nomologique encore en vigueur dans les sciences. Bruno Gnassounou (chap. 3), pour sa part, défend l’idée de pouvoir en montrant que l’on peut accepter sans contradiction ce qu’il appelle « la grammaire philosophique » des pouvoirs. Comprendre l’action requiert conceptuel­lement la notion de pouvoir. Partant du problème ontologique, Gnassounou interroge la nature relationnelle des …