Dans Reconstructing Reason and Representation, Murray Clarke se propose d’utiliser une version de la psychologie évolutionniste (celle défendue entre autres par Cosmides et Tooby, Pinker et Buss) pour jeter une lumière nouvelle sur certains problèmes de la philosophie de l’esprit, de l’épistémologie et de la philosophie des sciences. Bien que je sois sympathique à ce projet, j’aimerais cependant défendre l’idée que la position de Clarke est, par certains côtés, trop éloignée et, par d’autres, trop près de la psychologie évolutionniste. À de nombreuses reprises, et en réponse aux arguments de philosophes comme Stich, Clarke soutient que les théories évolutionnistes nous donnent des raisons de penser que les mécanismes psychologiques hérités de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs sont fiables, c’est-à-dire qu’ils produisent des croyances vraies (ou des représentations indexicales précises [accurate]). Il écrit par exemple : Je veux soutenir qu’une lecture attentive de ce que les psychologues évolutionnistes affirment montre deux choses qui vont à l’encontre de la position de Clarke : 1) les psychologues évolutionnistes sont des pragmatistes et proposent une version très affaiblie (sinon tout à fait différente de ce que Clarke défend) de ce qu’est une « croyance vraie »; 2) il n’est pas du tout clair que les processus fiables produits par l’évolution ont comme output des croyances vraies. Tout d’abord, pour les psychologues évolutionnistes, la « Vérité » n’est pas importante pour la survie; ce qui l’est, c’est l’action correcte (celle-ci pouvant être générée par des croyances fausses). En ce sens, les évolutionnistes sont des pragmatistes : Mais, comme ils le notent : Ils expliquent qu’il existe une kyrielle de raisons allant à l’encontre de l’idée selon laquelle le fait qu’un processus est l’objet de la sélection naturelle implique qu’il devrait produire des croyances vraies : Pour donner un autre exemple d’un mécanisme psychologique sélectionné qui ne produit pas nécessairement de croyances vraies, prenons le mécanisme responsable de l’évitement de l’inceste. Les travaux empiriques sur la question confirment une hypothèse, connue depuis déjà une trentaine d’années, selon laquelle un des indices utilisés dans l’évitement de l’inceste entre frères et soeurs est la co-socialisation dans les premières années de la vie. Lieberman (Lieberman, et al., 2003; voir Faucher, 2007, pour un résumé de ces travaux) suppose que la période de co-socialisation est utilisée pour déterminer qui sont les apparentés d’un sujet. Cette conclusion concernant les apparentés peut ensuite être acheminée à différents modules, comme celui en charge de la coopération parentale et celui en charge des préférences sexuelles. Comme le remarquent Cosmides, Tooby et Barrett, les deux systèmes peuvent avoir des seuils d’activation différents : Non seulement est-il possible que dans une situation une femme considère que quelqu’un est son apparenté alors que dans une autre non, mais les différences existent également entre sexes. Toujours selon Lieberman (mais voir également Fessler et Navarrette, 2004), les femmes concluent plus rapidement à l’apparentement que les hommes, c’est-à-dire que moins d’années de co-socialisation sont nécessaires pour conclure à l’apparentement pour les femmes que pour les hommes. Donc, par exemple, une femme pourrait considérer un homme X comme un apparenté alors que ce même X, lui, ne la considèrerait pas comme son apparenté (bien entendu, nous ne parlons pas ici de représentations conscientes et/ou culturelles). Qui plus est, cette femme pourrait considérer ce même X comme un apparenté dans le cadre de ses préférences sexuelles et comme un non-apparenté dans le cadre de ses préférences altruistes. Je crois que des cas comme ceux de l’inceste (mais on aurait pu en donner d’autres, voir entre autres Haselton et al., 2005) montrent deux choses : en supposant quelque chose comme le concept …
Parties annexes
Bibliographie
- Boyd, R. et P. J. Richerson. Not by Genes Alone : How Culture Transformed Human Evolution, Chicago, University of Chicago Press, 2004.
- Buller, D. J. Adapting Mind : Evolutionary Psychology and the Persistent Quest for Human Nature, Cambridge, MIT Press, 2005.
- Clark, A. « Reason, Robots and the Extended Mind », Mind and Language, vol. 16, no 2, 2001, p. 121-145.
- Cosmides, L., J. Tooby et C. Barrett. « Resolving the Debate on Innate Ideas ». In The Innate Mind : Structure and Content, sous la direction de P. Carruthers, S. Laurence et S. Stich, 2005, p. 305-337.
- Dehaene, S. La bosse des maths, Paris, Odile Jacob, 1997.
- Faucher, L. « Les émotions morales à la lumière de la psychologie évolutionniste : le cas de l’évitement de l’inceste ». In Morale et évolution biologique : entre déterminisme et liberté, sous la direction de C. Clavien, Lausanne, Presses polytechniques universitaires romandes, 2007.
- Fessler, D. et C. D. Navarrette. « Third-Party Attitudes Toward Sibling Incest Evidence for Westermarck’s Hypotheses », Evolution and Human Behavior, 25, 2004, pp. 277-294.
- Griffiths, P. E. et K. Stotz. « How the Mind Grows : A Developmental Perspective on the Biology of Cognition », Synthese 122, no 1-2, 2000, p. 29-51.
- Haselton, M. G., D. Nettle et P. W. Andrews. « The Evolution of Cognitive Biais ». In The Handbook of Evolutionary Psychology, sous la direction de D. Buss, Hoboken, N.J., John Wiley and Sons, 2005, p. 724-746.
- Hardin, C. L. « Color and Illusion ». In Mind and Cognition : A Reader, sous la direction de W. Lycan, Cambridge, Blackwell, 1990, p. 555-566.
- Heinrich, J. et N. Heinrich. « Culture, Evolution and the Puzzle of Human Cooperation », Cognitive Systems Research, 7, 2006, 220-245.
- Lieberman, D., J. Tooby et L. Cosmides. « Does Morality Have a Biological Basis? An Empirical Test of the Factors Governing Moral Sentiments Relating to Incest », Proceedings of the Royal Society of London, série B, 270, 2003, pp. 819-82.
- McCauley, Robert et Joseph Henrich. « Susceptibility to the Muller-Lyer Illusion, Theory-Neutral Observation, and the Diachronic Penetrability of the Visual Input System », Philosophical Psychology, vol. 19, no 1, 2006, 1-23.
- Moutier, S. et O. Houdé. « Judgment Under Uncertainty and Conjunction-Fallacy Inhibition Training », Thinking & Reasoning, 9, 2003, 185-201.
- Nichols, S., S. Stich et J. M. Weinberg. [En ligne ] [Meta-Skepticism : Meditations in Ethno-Epistemology]. In The Skeptics, sous la direction de S. Luper, U. K Aldershot, Ashgate Publishing, 2003, p. 227-247.
- Nisbett, R. E., K. Peng, I. Choi et A. Norenzayan. « Culture and Systems of Thought : Holistic vs. Analytic Cognition », Psychological Review, 108, 2001, 291-310.
- Odling-Smee F. J., K. N. Laland et M. W. Feldman. Niche Construction. The Neglected Process in Evolution, Monographs in Population Biology, Princeton University Press, 2003.
- Stich, S. « Philosophie et psychologie cognitive ». In La philosophie cognitive, sous la direction de E. Pacherie et J. Proust, Paris, Éditions Ophrys, 2004, p. 55-70.