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Mon but sera de replacer cette forme de platonisme que développe Lautman dans la tradition d’épistémologie qui, sinon commence, du moins se fixe avec Brunschvicg. Je parlerai volontiers d’une tradition d’épistémologie historique dans la mesure où la philosophie des sciences en France, à partir de Brunschvicg et — en prenant l’idée de philosophie des sciences en un sens large — jusqu’à Althusser ou Foucault, se lie à l’histoire des sciences. C’est sous cet angle que j’étudierai la position de Lautman. L’originalité du platonisme de Lautman, sur l’éventail des positions connues de la philosophie des mathématiques, est bien d’être un platonisme de l’histoire : les Idées qui font l’objectivité des mathématiques s’incarnent dans le « mouvement », c’est-à-dire l’histoire, des théories plutôt que dans leurs axiomes. Je voudrais donc étudier comment Lautman est amené à développer une forme de platonisme dans le cadre historique qu’a ouvert Brunschvicg et, en retour, comment ce cadre historique induit à l’intérieur de l’épistémologie de Lautman une série de difficultés.

Je commencerai par redessiner schématiquement le schéma que fixe Brunschvicg pour esquisser les positions qu’y prennent Bachelard, Cavaillès et Lautman. Je reviendrai ensuite plus longuement sur la position de Lautman et sa différence, dans le cadre brunschvicgien, avec celle de Cavaillès.

I. La tradition d’épistémologie historique

Je ne veux pas soutenir que ce cadre conceptuel dans lequel prendra place ensuite toute une tradition est entièrement l’oeuvre de Brunschvicg. Il en existe des éléments chez des auteurs contemporains, et des racines dans la philosophie française du xixe siècle. Cela ne fait pas de doute. Cependant, Brunschvicg explicite une structure de pensée, de telle façon que les auteurs de la génération suivante se référeront tous à lui. Ainsi se dessine une sorte d’arbre généalogique — un arbre dont les branches sont des références explicites — qui part de Brunschvicg pour passer par Bachelard, Cavaillès, Lautman et aboutir à des philosophes comme Deleuze, Foucault ou Althusser. Qu’il y ait aussi des raisons institutionnelles à ces références n’importe pas. Quelles qu’en soient les raisons, il est possible de parler en un sens précis, qui est justement déterminé par ces références explicites, d’une tradition philosophique, et d’une tradition qui part de Brunschvicg.

Le schéma que fixe Brunschvicg est déterminé par un postulat méthodologique qui est de chercher l’objectivité des sciences dans leur histoire :

Brunschvicg note encore que l’histoire a pour la réflexion philosophique, le rôle de « matière » et de « moyen »[4]. La méthode historique que développe Brunschvicg relève bien d’un postulat. Elle n’est pas véritablement justifiée par des arguments, sinon celui-ci, dans la citation (1), que le philosophe ne peut pas, du point de vue de Brunschvicg, « faire autrement » que se tourner vers l’histoire. Dans la conception brunschvicgienne, les sciences actuelles sont appuyées sur leurs étapes antérieures et ne prennent leur sens plein que liées à celles-ci dans le progrès de la raison. C’est en cela que les sciences coupées de leur histoire, c’est-à-dire les seules théories actuelles, sont des abstractions. Néanmoins, on le voit, c’est seulement au nom d’une idée des sciences qui les rapporte à leur histoire que Brunschvicg défend en effet l’histoire des sciences. Si l’on interprète la citation (2) — ou de nombreux passages similaires dans les écrits de Brunschvicg — comme un argument pour la méthode historique, l’argument est circulaire.

Je reviendrai à propos de Cavaillès sur la citation (3). Cette phrase, si on lui donne tout son poids, définit bien la perspective de Cavaillès, malgré l’écart qui sépare celui-ci de Brunschvicg. Elle a également l’intérêt de faire intervenir cette expression de « sens objectif ». Je le répète, le postulat méthodologique est bien de chercher l’objectivité des sciences dans leur histoire. Le terme « objectivité », les expressions de « sens objectif », de « portée objective » reviennent régulièrement sous la plume de Brunschvicg, Cavaillès et Lautman. Ces mots ont d’abord un sens vague et semblent être utilisés comme désignant une notion commune qu’il n’est pas nécessaire d’expliciter. On s’interroge sur l’origine et les raisons de l’objectivité des sciences sans tenter véritablement d’élucider la signification même de ce terme. Et, en cela, l’usage du terme d’objectivité dans cette tradition historique me semble assez proche de celui qui en est fait dans la philosophie contemporaine des mathématiques.

L’objectivité de la science ne signifie pas en tout cas la référence de la science à des objets visés par elle et indépendants d’elle, que ce soit le monde empirique ou une réalité idéale. La mise en évidence de l’objectivité des sciences ne signifie pas non plus véritablement la recherche d’un fondement pour les sciences, au sens où on l’entend dans un programme comme celui de Hilbert. Il ne s’agit pas d’établir quelque chose comme la consistance ou, disons plus largement, l’acceptabilité des théories en question. En effet, chercher l’objectivité dans l’histoire des sciences semble conduire inévitablement à reconnaître une objectivité à des théories antérieures que nous savons aujourd’hui insuffisantes ou même contradictoires. Je n’ai pas trouvé de citations explicites à ce sujet. Mais, dans la mesure où la théorie naïve, avec ses paradoxes, est une étape dans la formation de la théorie des ensembles que nous connaissons, je ne vois pas comment, dans la perspective de Cavaillès, qui considère que l’histoire des mathématiques est nécessaire, nous pourrions éviter de donner à cette théorie contradictoire la même objectivité qu’à la théorie axiomatisée. Ainsi, l’objectivité reconnue à des théories inacceptables me semble distinguer cette notion de l’idée de fondement. Il ne s’agit pas, pour Brunschvicg, Bachelard, Cavaillès ou Lautman, de fonder les théories mathématiques (au sens où l’on entend habituellement le terme) mais, en un sens vague, de donner les raisons de leur « solidité », de ce qu’elles résistent à l’arbitraire ou de leur caractère intersubjectif.

Bref, le terme d’objectivité est courant sous la plume de nos auteurs mais garde un sens implicite. Une part de son ambiguïté vient également de ce que Brunschvicg associe deux facteurs différents dans l’objectivité de la science. Cela tient au mécanisme qu’il prête aux différentes étapes du développement des sciences. Il s’agit en effet pour Brunschvicg de

L’histoire des sciences manifeste un dialogue, ou une lutte, de l’expérience et de la raison, le mot d’expérience étant pris en un sens large, désignant non pas un dispositif expérimental, comme on parle de l’expérience de Morlay-Michelson, mais, dans son intégralité, le plan des phénomènes opposé à la raison. La confrontation entre l’expérience et la raison a lieu à chacune des étapes de la science. Celles-ci ont toujours la même structure. La raison est d’abord confrontée à une expérience problématique : une expérience, par exemple, qui manque d’unité et que la raison ne peut alors maîtriser ; une expérience faisant place à des phénomènes qui n’ont pas de sens dans les catégories de l’esprit du temps. La raison, devant cette expérience problématique, invente, tire d’elle-même un concept qui lui permet de réunir ces phénomènes épars. Il lui faut ensuite établir l’utilité de ce concept dans des gestes, ou ce que Brunschvicg appelle une « pratique » : une vérification dans l’expérience de ce que, en effet, le divers des phénomènes se laisse appréhender sous l’unité du concept. Dans cette pratique, l’expérience est informée par le concept : le concept s’incarne, pour ainsi dire. Les phénomènes ne sont plus considérés pour eux-mêmes mais seulement en tant qu’ils représentent un concept de la raison. Il s’est formé en vérité un nouveau plan d’expérience qui n’est pas constitué par les phénomènes initiaux, mais par ces concepts que les phénomènes représentent maintenant. Et, dans ce plan d’expérience, apparaîtront de nouvelles difficultés qui obligeront la raison à inventer un nouveau concept, et ainsi de suite.

L’expérience initiale, à laquelle est confronté l’enfant, est un divers de sensations. Le premier concept qu’invente la raison est celui d’objet, comme unité de différentes sensations. La manipulation des choses permet à l’enfant de vérifier que, en effet, le divers des sensations s’organise autour de telles unités. L’enfant ne considère alors plus l’expérience que comme constituée de choses, c’est-à-dire non plus des seules sensations, mais des sensations regroupées dans l’unité d’un objet. C’est un second plan d’expérience sur lequel s’appuient l’arithmétique, d’un côté, et la géométrie, de l’autre. D’un côté, en effet, l’enfant s’aperçoit que différentes collections de choses sont équivalentes du point de vue de ce nouveau concept qu’est le nombre. Le concept de nombre est mis en place par la pratique de l’échange un contre un. L’enfant échange une pomme contre un sou. Le tas de pommes qu’il a achetées et le tas de sous qu’il a donnés sont liés par une certaine relation et peuvent être considérés comme représentant un même nombre. L’enfant aborde alors le plan de l’expérience arithmétique dont les éléments ne sont plus les choses mais des nombres, c’est-à-dire des classes de collections de choses susceptibles d’être échangées une à une. De la même façon, du côté de la géométrie, la pratique du dessin permet de fixer le concept de forme exacte comme un élément stable dans les différentes apparences d’une chose. Pour l’enfant qui dessine, il n’y a alors plus des choses mais des formes, et l’enfant accède à l’espace de la géométrie.

L’histoire de l’enfant reproduit, pour Brunschvicg, celle de l’humanité. Ces premières étapes représentent donc aussi bien celles de l’apprentissage des mathématiques que celles de la constitution des sciences. Le schéma est toujours le même : confrontation à une expérience problématique, invention d’un concept, mise en place de ce concept dans l’expérience par une pratique, constitution d’un nouveau plan d’expérience.

Brunschvicg arrête Les étapes de la philosophie mathématique aux mathématiques élémentaires. Il aborde seulement la théorie des groupes, la notion de groupe permettant à nouveau de réunir sous une même structure, et de considérer alors comme un seul plan d’expérience, des domaines d’objets différents. On ne voit sans doute pas comment le schéma brunschvicgien dans sa littérarité pourrait s’appliquer à l’histoire réelle des mathématiques des xixe et xxe siècles. Ce sera, précisément, le problème au départ des épistémologies de Cavaillès et de Lautman que d’adapter aux mathématiques de leur temps le schéma brunschvicgien. Mais Lautman en donne par exemple une version souple où l’on retrouve élargie à l’histoire entière des mathématiques — et non seulement à quelques étapes initiales — l’idée de ce dialogue entre une expérience toujours problématique et une raison qui invente toujours de nouvelles notions pour informer l’expérience.

Ce passage de 1938 porte de façon explicite sur la position de Brunschvicg. Le caractère problématique de l’expérience y est rendu par les paradoxes, en un sens sans doute large, de l’histoire des mathématiques, que la raison surmonte par l’introduction de nouveaux concepts.

L’expérience et la raison, dans ce dialogue qui, pour Brunschvicg, constitue l’histoire des sciences, induisent un double facteur d’objectivité. En effet, l’objectivité des sciences peut être rapportée à l’esprit en tant que, confronté à l’expérience, il invente des concepts qui la rendent intelligible, ou à l’expérience en tant qu’elle donne corps aux concepts de la raison et sans laquelle ceux-ci ne seraient que des chimères. Ainsi, dans les mots de Brunschvicg,

C’est bien, dans cette phrase, l’expérience qui apparaît produire l’objectivité de la science. En revanche, dans la lecture que fait Lautman,

Je ne crois pas que l’on puisse voir dans cette interprétation de Lautman l’indice d’un écart avec Brunschvicg. C’est plutôt le vague du terme d’objectivité et le schéma brunschvicgien d’un dialogue entre l’expérience et la raison qui permettent d’attribuer l’objectivité de la science tantôt à l’expérience, tantôt à la raison.Je voudrais ajouter une remarque sur l’unité de la science dans l’épistémologie de Brunschvicg. Chaque étape de l’histoire des sciences se marque pour Brunschvicg comme l’invention d’un concept qui constitue l’unité d’un divers : divers des sensations qui est pris dans l’unité de la chose, divers des collections de choses qui se répartissent ensuite selon leur nombre, divers de domaines d’objets que l’on peut concevoir dans une structure de groupe, etc. À partir du divers initial des pures sensations, la science représente, de façon générale, l’effort de la raison pour ramener l’expérience à l’unité de ses concepts. « L’histoire elle-même va s’ordonnant[9] », c’est-à-dire que, par l’histoire, l’expérience entre peu à peu dans l’ordre de la raison. Ou, écrit encore Brunschvicg : « La vérité se définit comme connexion[10] » : chaque étape de la science est la mise en rapport dans l’unité d’un concept d’un divers préalable. Brunschvicg entend s’opposer à une axiomatisation des sciences qui prétendrait cerner leurs progrès futurs dans un certain système de notions et de principes. Il s’oppose de même à un idéalisme trop sûr de lui, un idéalisme strictement kantien, qui prétendrait fonder la science sur une série de concepts immédiatement donnés à la conscience humaine. Ces deux perspectives ont le défaut d’enfermer la science dans un système immuable ou de lui donner une unité qu’elle n’a pas au départ. C’est que, pour Brunschvicg, cette unité de la science n’est pas au départ mais à la fin :

Cependant, au nom de cette unité à venir des sciences, Brunschvicg est amené à rejeter comme « artificielles », « paradoxales » un certain nombre de théories mathématiques (en géométrie en particulier) qui ne participent pas de cet effort d’unification, ou d’intériorisation, de l’expérience, mais semblent plutôt relever d’une variation logique, et gratuite, à partir des théories réelles : des excroissances curieuses sur le corps mathématique. Par exemple :

Ces théories — Brunschvicg évoque des passages de Fondements de la géométrie — ne s’intègrent pas réellement dans la science qui doit aller en droite ligne, pour ainsi dire, à l’unité.

J’évoque cette question de l’unité de la science chez Brunschvicg dans la mesure où Cavaillès et Lautman en héritent comme d’un problème. Il s’agira, pour eux, à la fois de laisser sa liberté à la science — ce qui exige d’accepter ces théories que Brunschvicg rejette — tout en conservant l’idée brunschvicgienne de l’importance de ces facteurs d’unité dans le développement de la science. Ainsi, Cavaillès peut écrire, comme écho à la formule de Brunschvicg, sur la vérité comme connexion :

Pour résumer, l’héritage de Brunschvicg me semble consister en trois points : un postulat méthodologique, qui est de chercher l’objectivité des sciences dans leur histoire ; la distinction entre deux facteurs d’objectivité, l’un qui est, disons, intellectuel, et l’autre empirique ; le problème de l’unité de la science.

Aucun des successeurs, Bachelard, Cavaillès et Lautman, ne reprendra exactement le schéma brunschvicgien. Je voudrais esquisser leurs positions par rapport à celle de Brunschvicg, avant de m’étendre plus longuement sur le platonisme de Lautman.

Bachelard, qui, en ce qui concerne le mécanisme des étapes de l’histoire des sciences est le plus proche de Brunschvicg, reprend l’idée d’un dialogue entre la raison et l’expérience. Seulement, il ajoute à ces deux termes un troisième facteur qui est l’imaginaire. L’expérience à laquelle est confrontée la science n’est jamais pure mais toujours déjà informée par l’imaginaire, c’est-à-dire une conception du monde implicite mais structurée et qui entrave le développement de la science. L’imaginaire, qui est inné, s’organise autour des quatre éléments de la terre, de l’eau, de l’air et du feu. Ceux-ci ont chacun une sorte de halo de significations vagues et nous conduisent à certaines conceptions qui nous sont naturelles et dont la science doit se détacher. L’histoire des sciences devient, pour Bachelard, un double mouvement de rupture avec l’imaginaire et de rationalisation de l’expérience. En plaçant à l’opposé de la science l’imaginaire, c’est-à-dire une conception du monde qui n’est pas construite par l’esprit humain, mais, d’une certaine façon, reçue, il ouvre la voie à la notion d’idéologie chez Althusser et, par certains aspects, à celle d’épistémè chez Foucault.

Le mouvement de Cavaillès relativement à la position de Brunschvicg est double. D’abord, Cavaillès tente, à mon sens, de faire l’économie de la raison brunschvicgienne. Nous l’avons vu dans la citation (3), Brunschvicg appuie le présent de la science sur son passé. Cavaillès commence par renforcer ce lien. Comme Brunschvicg, non seulement il relie les notions présentes aux difficultés passées, mais il voit dans l’apparition des notions présentes une nécessité émanant des problèmes antérieurs. Les problèmes antérieurs exigent les notions ultérieures, en donnent les raisons et, si l’on veut, les engendrent. Ainsi, pour la théorie des ensembles,

Alors que, pour Brunschvicg, l’apparition d’une notion nouvelle relève d’une invention, libre, de la conscience humaine, elle est, pour Cavaillès, entièrement expliquée par les problèmes posés dans le champ mathématique. Cavaillès n’a donc pas besoin de ce détour par la conscience brunschvicgienne. Les problèmes posés appellent de nouvelles notions qui posent à leur tour de nouveaux problèmes, sans qu’il soit, pour le philosophe, nécessaire que le développement mathématique se rapporte à l’esprit mathématicien. Comme dans le système de Spinoza, les « idées », qui interviennent dans le devenir mathématique tel que le décrit Cavaillès, s’appellent les unes les autres, et l’esprit mathématicien doit plutôt être conçu comme un certain système de ces idées que comme leur source. C’est ce développement autonome des concepts mathématiques que Cavaillès appellera, à partir de « Transfini et continu », la dialectique des concepts.

Ce facteur d’objectivité que représentait la raison dans le schéma de Brunschvicg disparaît dans le dispositif de Cavaillès. « L’objectivité » des théories actuelles tient en réalité seulement à leur histoire, en cela qu’elles s’intègrent dans un développement nécessaire. Dans l’introduction de sa thèse complémentaire, Cavaillès écrivait, pour montrer la nécessité qui s’attache au devenir mathématique :

À la fin du parcours de Cavaillès, cette formule pourrait être renversée : il y a une objectivité, fondée historiquement, des théories mathématiques.

Cependant, parallèlement à ces analyses sur l’histoire, Cavaillès reprend l’idée brunschvicgienne que le développement mathématique passe par l’expérience ou ce que Cavaillès appelle des « gestes ». Au lieu d’appuyer, comme Brunschvicg, les mathématiques sur une expérience phénoménale, Cavaillès les renvoie à des « expériences » sur des signes ou ce qu’il appelle aussi un « espace combinatoire ». Les mathématiques sont bien fondées sur des gestes et, si l’on veut, sur une expérience, mais cette expérience n’est pas constituée de sensations ou de phénomènes informés par la raison : elle est constituée de signes, de formules et de figures sur lesquels le mathématicien s’appuie. Or ces expériences sur les signes constituent un deuxième facteur d’objectivité. Au moment par exemple d’esquisser son « formalisme modifié », Cavaillès renvoie aux expériences sur les signes pour assurer la « portée objective » des mathématiques[16].

On voit que Cavaillès hérite de cette ambiguïté de l’idée d’objectivité. « L’objectivité » des mathématiques reste double : intellectuelle en tant qu’elle est référée à l’histoire des problèmes et des notions et, pour ainsi dire, empirique, en tant qu’elle est référée au jeu sur les signes. Le problème du lien entre ces deux plans, « la dialectique des concepts » et les gestes sur les signes — ce que Cavaillès appelle finalement la superposition intuitive —, ne sera jamais résolu mais posé dans « Transfini et continu » comme « le problème fondamental de la philosophie mathématique »[17].

Comme Bachelard, Cavaillès aurait aussi ses héritiers, du côté de Foucault pour l’idée d’un développement conceptuel autonome, qui ne doit pas être considéré comme le produit de l’esprit humain, et, du côté de Merleau-Ponty et de Derrida pour certaines analyses sur les statuts des signes et le rapport du signe au sens, cela bien que ni Merleau-Ponty ni Derrida ne se réfèrent à Cavaillès à ce propos.

Enfin, la position de Lautman, qui déterminera la notion de virtuel chez Deleuze, tient d’abord à ce que le facteur intellectuel de l’objectivité des mathématiques soit déplacé de la conscience humaine vers une réalité idéale. Lautman déplace les concepts qui forment l’unité des sciences pour les sortir de la raison brunschvicgienne et les fixer dans des Idées indépendantes de l’esprit. Les hésitations de Lautman tiennent ensuite non seulement à la difficulté de penser le rapport de ces Idées aux théories mathématiques, mais à celle de récupérer dans ce schéma le deuxième facteur, l’aspect empirique, de l’objectivité des mathématiques. C’est ce que je m’attacherai à montrer.

II. Le platonisme de Lautman et l’héritage brunschvicgien

À partir de 1937, Lautman met en place une épistémologie originale dans la tradition philosophique en France, une épistémologie qui se caractérise par la position d’une réalité idéale dominant les théories mathématiques :

Ces Idées que Lautman qualifie de « dialectiques » sont constituées d’oppositions conceptuelles, le global et le local, les propriétés intrinsèques et extrinsèques, l’essence et l’existence, le continu et le discret. Les théories mathématiques représentent différentes incarnations et différentes versions de ces oppositions.

Je voudrais d’abord mettre en évidence l’héritage brunschvicgien dans le platonisme de Lautman. Il y a bien, dans les premiers textes de Lautman, un vocabulaire issu de Brunschvicg. En 1935, Lautman semble ainsi vouloir

Il est clair, cependant, que Lautman, comme Cavaillès, rompt peu à peu avec le vocabulaire et la perspective idéalistes de Brunschvicg. La reprise par Lautman du postulat méthodologique de Brunschvicg, chercher l’objectivité des sciences dans leur histoire, semble même d’abord faire problème. Par exemple, à la Société française de philosophie, E. Cartan et M. Fréchet distinguent la position de Lautman de celle de Cavaillès : Lautman s’intéresse à « l’état actuel [...] d’un certain nombre de théories mathématiques », « il ne s’agit pas d’un point de vue historique »[20].

Il est vrai que les études proposées par Lautman ne portent pas sur de longues périodes comme celles de Brunschvicg, qui partaient des mathématiques antiques, ou celles de Cavaillès, qui, dans la thèse complémentaire, couvrent un siècle d’analyse et de théorie des ensembles. Néanmoins, la façon dont Lautman travaille sur les théories mathématiques relève de la méthode brunschvicgienne. C’est l’insistance de Lautman, du début à la fin de son oeuvre, sur le fait que les Idées dialectiques ne se révèlent que dans le « mouvement propre d’une théorie mathématique[21] ». L’histoire de Lautman est ponctuelle ou elle se fait sur place, pour ainsi dire. Mais « la méthode d’analyse descriptive » que propose Lautman des théories actuelles reste historique.

Lautman reconnaît, du reste, cet héritage méthodologique lorsqu’il définit sa position en associant Brunschvicg et Hilbert. À Hilbert, il reprend l’idée que les théories mathématiques sont susceptibles d’une analyse dans un méta-discours qui met en évidence leurs propriétés logiques. Ces propriétés logiques doivent être entendues en un sens plus large que celui du programme de Hilbert, puisque, au lieu de propriétés telles que la non-contradiction, qu’une théorie vérifie, oui ou non, Lautman évoque des oppositions susceptibles d’une « infinité de degrés[22] ». De l’autre côté, Lautman reprend à Brunschvicg la thèse que la philosophie des mathématiques s’appuie sur l’analyse de l’histoire ou, ponctuellement, du « mouvement » des théories. Il s’agit donc de

Il n’y a pas de doute, dans le texte d’où est extraite cette citation, que la référence au « mouvement » des théories vient de Brunschvicg et de son postulat méthodologique. C’est, je le répète, ce qui fait l’originalité du platonisme de Lautman. Le platonisme de Lautman est un platonisme de l’histoire : la réalité des théories mathématiques n’est pas dans l’univers des objets que ces théories décrivent. La réalité de la théorie des ensembles n’est pas dans un univers des ensembles que nos axiomes décriraient. Lautman rejette cette forme de platonisme dans les mêmes termes que Cavaillès et avec la même rapidité. Ainsi, à la Société française de philosophie :

Lautman : « Je reconnais avec M. Cavaillès l’impossibilité d’une pareille conception d’un univers immuable d’êtres mathématiques idéaux[24]. »

De façon plus générale, les Idées platoniciennes, telles que les conçoit Lautman, ne figurent pas dans les notions primitives d’une théorie mathématique. Ces notions, comme celle de local et de global, n’apparaissent pas de façon explicite dans les axiomes. Elles n’entrent pas non plus dans les univers que ces théories décrivent. La réalité idéale ne se montre que dans l’activité mathématique ou le mouvement des théories. Il faut donc

Le lieu où les Idées s’incarnent, dans le platonisme de Lautman, n’est pas celui des théories mathématiques entendues comme systèmes de propositions : c’est l’activité, le mouvement ou, encore, « l’expérience » mathématique. Ce mode d’incarnation des Idées dialectiques, qui fait l’originalité de Lautman sur l’éventail des positions platonistes, est lié à son inscription dans la tradition d’épistémologie historique issue de Brunschvicg.

Inversement, son platonisme donne à Lautman une place singulière dans cette tradition. Il ne faut pas sous-estimer le coup de force qu’opère Lautman. L’écart par rapport à la perspective de Brunschvicg, comme par rapport à celles que dessinent ensuite Bachelard et Cavaillès, est d’abord ontologique en cela que Lautman admet une réalité idéale située hors du temps, en « extériorité par rapport au devenir temporel des concepts scientifiques » et « indépendante de l’activité de l’esprit »[27]. L’Idée dialectique n’est pas, comme les concepts qu’invente la conscience brunschvicgienne, créée par l’esprit humain : c’est « une objectivité qui s’impose à lui »[28]. Lautman s’oppose à Brunschvicg et à Cavaillès dans des formules très proches :

La réalité des mathématiques est, pour Lautman, au-dessus de l’expérience mathématique à laquelle renvoie Cavaillès, et au-dessus de cet « effort de l’intelligence » que décrit Brunschvicg.

Cependant, il y a, au fondement de cet écart ontologique, un coup de force épistémologique qui consiste à remplacer ces éléments mobiles que sont les concepts brunschvicgiens par ces éléments fixes que sont les Idées. En effet, il est au centre de la perspective de Brunschvicg que les concepts qui marquent les étapes de la science soient inventés par la raison humaine, librement et de façon imprévisible. Par là, Brunschvicg veut se démarquer de l’idéalisme kantien qui entendait constituer l’expérience et fonder la science à partir d’un certain nombre de formes et de concepts donnés dans la conscience. L’idéalisme de Brunschvicg ne reconnaît aucun élément permanent dans l’esprit humain, mais une seule capacité d’invention qui se mesure à l’expérience. C’est par cette mobilité que Brunschvicg définit son idéalisme :

L’idée d’associer, comme l’écrit Lautman dans la citation (15), l’historicité des mathématiques à la « fixité » de notions logiques, c’est-à-dire à leur intemporalité, cache une rupture fondamentale et d’autant plus audacieuse qu’elle porte sur le point par lequel Brunschvicg marque l’originalité de sa position vis-à-vis de la tradition kantienne. Sur ce thème, Cavaillès suit du reste Brunschvicg en refusant d’admettre des structures fixes qui puissent gouverner l’expérience mathématique : « abandon de tout a priori »[31]. De même, la liste des « moments dialectiques » que dresse Cavaillès pour caractériser les grandes ruptures dans les mathématiques récentes reste dans son esprit « provisoire », dans la mesure où d’autres procédés peuvent encore voir le jour, et abstraite ou « grossière, car, à chaque instant, il y a certains procédés qui se situent dans une atmosphère mathématique, un état des mathématiques à un moment donné qui peut ne pas être pas transportable[32] ».

À la Société française de philosophie, Lautman s’oppose sur ce point à Cavaillès de façon explicite[33]. Il est vrai que Lautman insiste sur le fait que cette sorte d’a priori qu’il reconnaît dans les mathématiques, cette réalité idéale, ne détermine pas à proprement parler le développement des mathématiques et ne permet pas de le prévoir. En effet, parce qu’elles sont transcendantes à l’expérience mathématique et ne font que poser un problème susceptible de différentes solutions, les Idées dialectiques sont susceptibles de différentes réalisations dans les théories mathématiques. Lautman accorde à Cavaillès, et à Brunschvicg, le caractère imprévisible de l’évolution des mathématiques :

Le caractère imprévisible reconnu au devenir mathématique recouvre néanmoins une rupture profonde vis-à-vis des perspectives de Brunschvicg et de Cavaillès. Au fond, Lautman a, pour ainsi dire, transposé les concepts de la raison brunschvicgienne dans un domaine de réalité idéale. Ce déplacement produit un écart fondamental mais également une certaine communauté. Je voudrais montrer maintenant que les Idées de Lautman conservent un rôle analogue aux concepts brunschvicgiens et que cette analogie induit dans la philosophie inachevée de Lautman un certain nombre de difficultés.

Un premier indice de cette communauté apparaît à propos de l’unité des mathématiques. J’ai déjà évoqué cette question dans l’épistémologie de Brunschvicg. Le concept, dans le schéma brunschvicgien, a toujours pour fonction d’unifier l’expérience. L’histoire des sciences représente une unification ininterrompue des données de l’expérience dans les concepts de la conscience. Cela amène Brunschvicg à rejeter les théories mathématiques qui ne semblent pas participer à cet effort d’unification. Cavaillès, comme Lautman, s’écarte de Brunschvicg sur ce dernier point, tout en insistant sur l’importance des facteurs d’unité dans les théories mathématiques. Ainsi, Lautman objecte à Brunschvicg :

Lautman prend le contre-pied de Brunschvicg. Ces variations en géométrie (que ce soient les géométries non euclidiennes ou les géométries non archimédiennes qu’évoquait Brunschvicg) qui ne consistent pas, comme on peut le considérer de la théorie des groupes, en l’unification de théories antérieures, loin de devoir être écartées des mathématiques véritables, montrent plutôt que l’unité ne doit pas être exigée des mathématiques entières mais posée seulement comme problème à l’intérieur de chaque théorie. La question de l’unité est donc reportée, de la mathématique comme une seule totalité, ou une seule histoire, à des théories qui peuvent rester indépendantes. Cependant, à propos de ces théories, et de façon donc ponctuelle, Lautman insiste sur le rôle unificateur des Idées dialectiques. L’Idée dialectique, comme le concept de la raison dans le dispositif de Brunschvicg, est d’abord un facteur d’unité :

Et, de cette façon, dans l’Idée dialectique,

Plus largement, comme le concept brunschvicgien, l’Idée dialectique est un facteur d’objectivité. Lautman rapporte « la réalité inhérente aux théories mathématiques » ou « leur objectivité » aux Idées qui s’y incarnent :

Lautman n’emploie le terme d’objectivité qu’en ce sens, pour rapporter l’objectivité des mathématiques aux Idées dialectiques. Cependant, nous l’avons vu, il y a dans le dispositif de Brunschvicg et, à nouveau, dans celui de Cavaillès, un second facteur d’objectivité, qui se situe dans l’expérience. Or il reste dans les analyses de Lautman un écho de cette dualité. Le problème pour Lautman est de savoir quelle est la matière dans laquelle les Idées s’incarnent et dans quelle mesure celle-ci contribue à la réalité des mathématiques. Il y a, sur ce point, une hésitation. Dans ses premiers textes, Lautman renvoie comme Cavaillès aux signes mathématiques. C’est apparemment la nécessité d’une écriture qui implique le passage du niveau des Idées dialectiques à celui des mathématiques effectives :

Si Lautman, je le répète, ne parle pas « d’objectivité », cette phrase, qui compare les « signes » au corps de l’Idée, montre bien que, dans ces premiers textes, l’expérience, la matière de l’Idée vient contribuer à la solidité, à la réalité des mathématiques.

Dans un deuxième temps, pourtant, Lautman revient sur cette interprétation des signes comme matière de l’Idée. Il refuse de façon générale la position d’une telle « matière » ou d’une expérience hétérogène aux Idées et dans laquelle celles-ci viendraient s’incarner.

Le passage de l’Idée aux mathématiques viendrait alors seulement du mécanisme de la pensée, de « l’effort de compréhension », qui implique de pouvoir illustrer l’Idée dans le concret d’un exemple :

Il n’est donc plus question de cette expérience extérieure, de cette matière sensible que constituaient les signes. La matière dans laquelle s’incarnent les Idées est identifiée aux concepts mathématiques eux-mêmes :

Lautman semble donc tenter de résorber cette dualité qu’il a commencé par hériter de Brunschvicg, dualité entre l’expérience et la raison chez Brunschvicg, dualité entre la dialectique des concepts et les expériences sur les signes chez Cavaillès. Nous l’avons vu, cette dualité, ou le problème du lien entre ces deux plans reste, pour Cavaillès, « le problème fondamental de la philosophie mathématique ». Il nous faut examiner dans quelle mesure la tentative de Lautman pour se débarrasser de cette dualité, se débarrasser en vérité de ce second facteur d’objectivité que représente l’expérience dans le dispositif de Brunschvicg, réussit.

La question est de savoir si Lautman parvient à expliquer, sans revenir à cette expérience sur les signes de ses premiers textes, le passage du niveau dialectique au niveau mathématique. C’est la fonction de la référence à Heidegger dans les derniers textes, et de la thématisation de l’Idée comme « virtuel »[43], que reprendra par la suite Deleuze.

Il me semble, cependant, que les analyses de Lautman manifestent une certaine tension. D’un côté, nous venons de le voir, Lautman explique la retombée de l’Idée dans les mathématiques et la plurivocité de l’Idée, au sens où la même Idée est susceptible de différentes incarnations, par la nécessité de penser l’Idée dans des exemples :

D’un autre côté, pour répondre en particulier à des objections de Fréchet[45], Lautman accorde que l’Idée dialectique n’est pas à l’origine de la création des théories mathématiques. Ce n’est pas que le mathématicien ait d’abord une intuition de l’Idée qui le conduit ensuite à créer une théorie mathématique qui la réalise. L’antériorité de l’Idée n’est pas « de l’ordre chronologique de la création ». Elle n’est pas non plus « de l’ordre de la reconstruction logique », en cela que l’Idée n’est pas une notion primitive et ne figure pas de façon explicite dans les axiomes dont découle la théorie. L’antériorité de l’Idée est seulement l’antériorité en principe de la question, ou du problème, par rapport à la réponse, antériorité qui ne reflète pas l’ordre du cheminement de la pensée :

Un peu plus loin, Lautman évoque ces « Idées, qu’au sens d’une histoire non vécue, le philosophe reconnaît à l’origine des théories »[47], distinguant encore par là la précession de l’Idée et le processus réel de création des théories. Mais, ce faisant, Lautman semble court-circuiter son analyse du passage de l’Idée à la mathématique et de l’exemple comme matière de l’Idée. Ce passage de l’Idée à la mathématique, cette incarnation de l’Idée dialectique dans un exemple concret n’a en réalité jamais lieu ou, pour reprendre l’expression de Lautman, est une « histoire non vécue ».Considérons cette question plus largement. Brunschvicg évoquait un dialogue entre la raison qui invente des concepts et l’expérience qui permet de les vérifier et leur donne corps. Cavaillès, d’un côté, identifie « l’expérience » qu’invoque Brunschvicg au jeu sur les formules et les figures, à l’écriture mathématique, et, de l’autre côté, tente de se débarrasser de la raison brunschvicgienne pour penser l’histoire mathématique comme un processus sui generis, une « dialectique des concepts », où problèmes et notions nouvelles s’appellent les uns les autres sans qu’il soit besoin de faire référence à un esprit qui les produit. Cavaillès se retrouve alors avec ce problème de penser le lien entre « la dialectique des concepts » et les expériences sur les signes. Enfin, Lautman déplace les concepts que, dans le dispositif de Brunschvicg, la raison tire d’elle-même, pour les fixer dans une réalité idéale. Le problème est alors de déterminer la façon dont ces Idées se réalisent dans les théories mathématiques. Dans un premier temps, Lautman invoque les signes mathématiques, ce qui, au fond, reviendrait à rétablir, en le réinterprétant comme le fait Cavaillès, ce niveau d’expérience hérité du dispositif de Brunschvicg. Dans un deuxième temps, Lautman tente de se débarrasser de ce plan d’expérience. Il hésite alors entre deux positions.

D’un côté, l’interprétation de l’Idée comme question et des mathématiques comme réponse donnerait à penser que c’est l’esprit qui fait le passage du niveau dialectique à celui des mathématiques : un esprit qui entend la question et propose une réponse sous la forme d’une théorie mathématique. En ce sens, par exemple,

Dans cette perspective, il faudrait admettre à l’origine des mathématiques une subjectivité, analogue à la conscience brunschvicgienne, qui crée les théories à partir des Idées. Cependant, d’un autre côté, Lautman ne reconnaît pas une réalité vécue, ou historique, à ce passage de l’Idée comme problème aux mathématiques comme solution. Il invoque alors un développement autonome des théories mathématiques, sans référence à l’Idée dialectique, ni, du reste, à une conscience créatrice :

Lautman est alors très proche de Cavaillès et de sa conception de l’expérience mathématique, ce qu’il reconnaît à la Société française de philosophie[50]. Mais, dans cette seconde perspective, la difficulté, pour Lautman, serait de comprendre comment l’expérience mathématique, ces théories qui se développent de façon autonome, en viennent à répondre à des Idées-questions qui ne sont jamais posées de façon explicite.

La philosophie inachevée de Lautman, dont tous les textes ont été écrits en moins de dix ans, semble laisser ouvert ce problème du « comment » de la réalisation des Idées et hésiter entre deux perspectives.