Comptes rendus

Richard Tieszen, Phenomenology, Logic and the Philosophy of Mathematics, Cambridge, Cambridge University Press, 2005, 357 pages[Notice]

  • Yvon Gauthier

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  • Yvon Gauthier
    Université de Montréal

Cet ouvrage est une collection de quinze essais qui portent sur des thèmes ayant des liens plutôt lâches avec la phénoménologie husserlienne. La troisième partie de l’ouvrage, qui traite du « remplissage » (Erfüllung) des intentions au sens de Husserl, est en continuité avec l’ouvrage antérieur de l’auteur de Mathematical Intuition. Phenomenology and Mathematical Experience (Kluwer, 1989). On ne trouvera pas ici une étude détaillée des analyses husserliennes, ni une critique fondationnelle de l’intuition mathématique, mais plutôt une série de commentaires plus ou moins disparates sur des auteurs aussi divers que Gödel, Quine, Penelope Maddy, Dummett, Heyting, Weyl, Penrose, Poincaré, Frege, et bien sûr Husserl. L’auteur consacre la deuxième partie de son ouvrage à Gödel, à la phénoménologie et à la philosophie des mathématiques (chapitres 4-8). On sait que Gödel, après ses travaux de logique, s’est rapproché de la philosophie et en particulier de la phénoménologie husserlienne qu’il voyait comme une entreprise systématique de clarification des concepts, un peu dans le sens de Kant qui pensait que les mathématiques construisaient des concepts que la philosophie devait analyser. Mais ce rapprochement avec Husserl, bien documenté dans l’ouvrage de Hao Wang From Mathematics to Philosophy (Humanities Press, 1974), est demeuré superficiel. Ce que cherchait Gödel chez Husserl, c’est une justification philosophique de son platonisme mathématique qui supposait que l’intuition mathématique était une sorte de perception d’ordre supérieur comparable à la perception des objets sensibles mais relevant du monde des essences. Les idées de Gödel sur la question n’ont pas débouché sur une analyse systématique, et Tieszen se contente de ce modeste constat. On n’en apprendra guère plus sur l’intuition mathématique qui, aux yeux de l’auteur, est essentiellement le remplissage d’une intention, comme le sont d’ailleurs les constructions et les preuves en mathématiques. L’accent, ici, est mis sur la notion d’intentionnalité, centrale chez Husserl, mais l’auteur n’en fournit pas une description qui aille au-delà du rappel historique. Ce qu’il nous dit des variations eidétiques — « free variations in imagination » — (p. 334) ne nous renseigne pas non plus sur le rôle capital que joue la méthode dans la théorie husserlienne de la Wesensschau (vision des essences) ou de la réduction eidétique — de façon assez énigmatique, l’auteur rapproche la méthode des variations eidétiques de la rigueur informelle promue au rang d’analyse conceptuelle par Georg Kreisel. Husserl, qui a d’abord été mathématicien, a fait son apprentissage mathématique en travaillant sur le calcul des variations où l’on cherche des conditions à la limite (extrema) pour certaines fonctions portant sur des phénomènes physiques. Cela n’a pas été sans conséquence pour les travaux philosophiques ultérieurs de Husserl, ce que l’auteur néglige de souligner. De même, la théorie des multiplicités (Mannigfaltigkeitslehre) de Husserl évoquée par l’auteur ne saurait se comprendre sans l’apport de Cantor — qui a appelé sa première théorie des ensembles théorie des multiplicités — et de Kronecker, qui a été le professeur de Husserl à Berlin et dont il approuve l’arithmétique générale (allgemeine Arithmetik). On l’aura compris, ce n’est pas en phénoménologie que les analyses de l’auteur sont le plus pertinentes; ce n’est pas en logique non plus, les questions techniques des fondements n’étant abordées qu’au passage. On notera cependant que Tieszen affiche une sympathie non voilée pour l’intuitionnisme mathématique, et s’il a dû renoncer à faire de Gödel un husserlien radical, il ne manque pas de citer le logicien contemporain Per Martin-Löf et sa théorie des jugements logiques au compte des influences de la phénoménologie. Un mathématicien d’envergure comme Hermann Weyl a aussi été fortement marqué par la phénoménologie husserlienne, et l’auteur lui consacre un …