Comptes rendus

Blaise Bachofen (dir.), Le libéralisme au miroir du droit. L’État, la personne, la propriété, Lyon, ENS Éditions, 2008, 241 pages[Notice]

  • Christian Nadeau

…plus d’informations

  • Christian Nadeau
    Université de Montréal

La philosophie politique contemporaine est pour l’essentiel dominée par les théories du libéralisme, et ce au moins depuis la publication de la célèbre Théorie de la justice, de John Rawls. De nombreuses critiques du modèle libéral ont été faites, mais il s’agit de critiques internes, et non d’un refus global des thèses fondamentales du libéralisme, par exemple sur l’égal respect des droits et intérêts de chacun, sur la défense des libertés individuelles, sur la liberté à disposer de soi-même ou sur la justice comme équité. Dans le monde francophone, pourtant, l’épithète « libérale » est souvent connotée négativement. Elle renvoie aux doctrines de la privatisation et du laisser-faire. Ces doctrines ne sont pas étrangères au libéralisme, et des auteurs comme les libertariens pensent même qu’elles en sont les conclusions logiques. Mais ces thèses n’en décrivent pas pour autant l’ensemble des théories libérales, loin s’en faut. Pour s’en convaincre, il suffit de se rapporter aux grands auteurs contemporains de la tradition libérale, notamment John Rawls, déjà cité, mais aussi Ronald Dworkin, Will Kymlicka, ou encore Charles Larmore et Jeremy Waldron. Comme ces noms le laissent entendre, la tradition libérale est complexe et présente des visages forts différents. En outre, le libéralisme ne se mesure pas seulement à l’aune du discours économique. Il se manifeste également dans le débat sur les protections des droits fondamentaux, comme celui de la liberté d’expression ou le droit au respect de la vie privée. Une autre manière de mieux voir la complexité du libéralisme, tout en comprenant aussi en quoi il représente véritablement une tradition politique à part, est de remonter à ses sources conceptuelles. C’est l’entreprise à laquelle se sont livrés les auteurs du collectif présenté ici. Ces auteurs, pour la plupart spécialistes de philosophie politique moderne, se sont penchés sur des notions fondamentales du libéralisme en les situant dans leur contexte théorique d’émergence. Sont ainsi passés au crible de l’analyse philosophique les oeuvres de Locke, Hume, Montesquieu, Bentham, Constant et Tocqueville, mais aussi, celles des auteurs associés au conservatisme, comme Burke ou Bonald. Dans son introduction, Blaise Bachofen explique les raisons pour lesquelles les textes rassemblés dans ce recueil se recoupent sur la notion de libéralisme normatif, et plus précisément de libéralisme juridique. La norme de droit propre au libéralisme permet en effet de rendre compte à la fois de sa dimension politique et de sa dimension économique. L’égal traitement de droit contient en lui-même les motivations morales des principes fondamentaux du libéralisme. La liberté ainsi préconisée n’a rien à voir avec un concept métaphysique et ne suppose aucun déterminisme. Il s’agit d’une thèse normative, et non d’une thèse descriptive d’un état du monde. Trois grandes notions ont été retenues pour expliciter le paradigme du libéralisme juridique : L’État, comme lieu des échanges et des protections individuelles ; la personne, comme sujet du droit et de la liberté ; la propriété, comme notion canonique du rapport de l’individu à lui-même et aux objets qu’il peut légitimement faire siens. Une des idées communes au sujet du libéralisme est qu’il serait hostile au pouvoir de l’État. Or, si le libéralisme ne saurait accepter la suprématie d’un État dégagé de toutes responsabilités à l’égard des citoyens, il n’en présente pas moins la défense d’un État fort, capable de répondre aux attentes de ses membres. À partir d’une réflexion très intéressante et stimulante sur la notion de jugement chez Locke, et donc à partir des oeuvres épistémologiques de ce dernier, Michaël Biziou montre en quoi la démarche lockéenne visant à prémunir les citoyens contre les pouvoirs arbitraires de l’État ne vise pas à affaiblir celui-ci. Par des …