Comptes rendus

Binkelmann, Christoph, Theorie der praktischen Freiheit. Fichte — Hegel, Berlin, De Gruyter, 2007, 376 p.[Notice]

  • Quentin Landenne

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  • Quentin Landenne
    Université libre de Bruxelles/FNRS

Le livre de C. Binkelmann se propose d’analyser un des projets les plus centraux de l’idéalisme allemand, l’édification scientifique d’un système de la liberté entendu comme système de la nécessité interne de la raison qui pose la liberté comme principe constitutif du monde. Ce projet d’une théorie de la liberté pratique, l’A. l’étudie à partir de deux de ses versions les plus fortes et les plus profondes, en confrontant principalement la première philosophie de J. G. Fichte au système plus tardif de G. W. Hegel. Cette confrontation part de l’hypothèse que l’influence du premier sur le second est à ce point prégnante qu’il est possible de considérer la philosophie pratique de Hegel comme une réplique aux positions de Fichte. L’A. y défend la thèse que ces deux systèmes construisent leur concept de liberté pratique sous deux aspects sinon contradictoires, du moins radicalement divergents dans leur principe respectif. Alors que le système fichtéen insiste sur le caractère absolu d’une liberté infondée par quoi que ce soit d’autre qu’elle-même (Grundlosigkeit) et développe son concept de liberté pratique comme origine (Ursprung) et saut discontinu (Sprung), le système hégélien produit une fondation absolue de la liberté et constitue même l’exposition de sa genèse rationnelle. L’origine et la genèse sont ainsi identifiées comme les deux pôles ou les deux points de vue systématiques possibles de ce système de la liberté. Le livre se compose de trois parties : les deux premières exposent successivement une interprétation interne des perspectives fichtéenne et hégélienne, en partant de l’ancrage systématique fondamental du concept de liberté pratique pour aboutir aux domaines plus concrets d’effectuation de ce concept chez ces deux philosophes ; dans une troisième partie, l’A. cherche à construire méthodologiquement et à investir philosophiquement une position plus externe et critique lui permettant de confronter directement les deux systèmes l’un à l’autre et de révéler à partir de leurs oppositions ce qu’il y aurait d’unilatéral en chacun d’eux. Le premier pas vers un système de la liberté réside dans la liberté de la réflexion et du choix d’un système. Le philosophe est placé devant l’alternative entre le moi en soi de l’idéalisme et la chose en soi du réalisme (dogmatisme) ; ce conflit d’intérêts originaire entre des points de vue irréductiblement opposés et empêchant toute critique interne ne peut être résolu que par un moment décisionniste. Seule la décision idéaliste, qui repose sur un intérêt pratique, une croyance en la liberté, peut se confirmer par une autojustification systématique réflexivement cohérente, qui ne supprime pour autant jamais le moment pratique ou décisionniste originaire. Cette décision ouvre une « chaîne idéaliste d’implications » qui mène au point de vue transcendantal : 1) la conscience d’un objet X suppose 2) la conscience de la conscience de cet objet X, qui suppose 3) la conscience de la conscience en général, la conscience de soi. Par cette conscience de soi ou cette intuition intellectuelle, Fichte n’entend pas l’intuition suprasensible d’une chose en soi à laquelle Kant avait opposé l’interdit de la philosophie critique, mais « l’intuition de l’auto-activité et de la liberté » par laquelle Fichte cherche à combler le déficit de l’idéalisme kantien. En effet, le point de vue transcendantal de l’intuition intellectuelle vient compléter et fonder l’unité des instances cognitives constitutives de la conscience empirique, soit l’intuition sensible et le concept de l’objet représenté. Cette intuition intellectuelle, ou Tathandlung (littéralement « action-fait »), doit être comprise sous un double aspect : d’une part, en tant que forme abstraite de l’auto-position, elle est « une simple abstraction, une simple pensée du philosophe », qui n’apparaît jamais comme un …