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Albert Lautman, philosophe des mathématiques[Notice]

  • Jean-Pierre Marquis

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Albert Lautman, l’homme, le héros de la résistance française, n’a aucunement besoin de présentation. Le philosophe des mathématiques, lui, n’a malheureusement pas reçu l’attention qu’il méritait. Certes, on l’a commenté ponctuellement ici et là, on a heureusement réédité son oeuvre récemment, mais jamais n’a-t-on tenté de décrire avec soin la nature du projet philosophique qu’il a tout juste eu le temps d’esquisser durant la dizaine d’années environ avant sa mort tragique en 1944. Il faut le dire, l’oeuvre est rébarbative pour ceux qui ne sont pas prêts à se plonger dans les mathématiques avancées. Car Albert Lautman s’inspirait des développements mathématiques de son époque, suivait le développement des mathématiques en temps réel et inscrivait ces développements dans un cadre philosophique foncièrement original, novateur et, inutile de le cacher, franchement difficile à décoder. On voit en lui un platonicien, mais ce n’est pas le Platon simple et caricatural des Formes ou des Idées extra-mentales et transcendantes. Il explore la dialectique, mais on ne sait trop s’il faut à nouveau remonter à Platon ou si une forme plus contemporaine et originale de dialectique est à l’oeuvre. Bref, les obstacles à une compréhension de son approche sont nombreux, difficiles et à la fois mathématiques et philosophiques. Toutefois, sa pensée fascine. Elle ouvre une porte, elle explore des sentiers inconnus, elle articule une synthèse inédite de son maître philosophique, Léon Brunschvicg, qui préconisait une approche résolument historique de la philosophie des mathématiques et de l’école de Hilbert qu’il connaissait bien et finement grâce à son grand ami Jacques Herbrand (et, dans une certaine mesure, de ses contemporains mathématiciens français, dont Élie Cartan, Maurice Fréchet, Claude Chevalley, Charles Ehresmann, les deux derniers comptant également parmi ses bons amis), tout en se positionnant par rapport aux alternatives de l’époque, entre autres celles de ses amis philosophes, cette fois, Jean Cavaillès et Gaston Bachelard, et plus largement, la phénoménologie de Husserl, le premier Heidegger et le Cercle de Vienne, dont il suivait les travaux. Il s’agit là d’un vaste panorama, varié et complexe. Il va sans dire que Lautman prend néanmoins ses distances à la fois de Brunschvicg et de Hilbert et que, si synthèse il y a, elle n’est pas un simple collage, mais plutôt de l’ordre de la synthèse organique, comme la synthèse des protéines, celle qui, à partir d’éléments donnés, génère une entité entièrement nouvelle et originale. La dernière difficulté tient au fait que Lautman a eu bien peu de temps pour développer ses idées et que les textes qu’il a laissés sont bien peu nombreux. J’ai toutefois le plaisir d’annoncer ici une primeur : en effet, grâce aux recherches minutieuses de Fernando Zalamea et à la gentillesse du fils d’Albert, un texte inédit de celui-ci — une oeuvre de jeunesse pour ainsi dire — ouvre le présent ouvrage. On y constatera immédiatement l’unité des préoccupations de Lautman au cours de sa trop brève carrière. Ce texte est immédiatement suivi du commentaire de Fernando Zalamea mettant en perspective de manière remarquable et originale les principaux thèmes — en particulier le passage du local au global — qui apparaissent déjà dans ce rapport de 1935, et comment Lautman pressentait, pour ainsi dire, l’idée de faisceau qui allait apparaître sur la scène mathématique à la fin des années quarante et au début des années cinquante. Les textes présentés ici sont le fruit d’un colloque organisé à l’Université de Montréal au printemps 2008 en l’honneur du 100e anniversaire de naissance d’Albert Lautman. Deux textes se sont ajoutés par la suite, ceux de David Corfield et de Brendan Larvor, deux philosophes des mathématiques anglo-saxons, témoignant ainsi que …

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