Comptes rendus

Robert Brandom, Between Saying and Doing : Towards an Analytic Pragmatism, Oxford, Oxford University Press, 2008, 251 p.[Notice]

  • Gwennaël Bricteux

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  • Gwennaël Bricteux
    Université du Québec à Montréal

Ce livre est composé des Conférences John Locke présentées par Robert Brandom à Oxford en 2006, auxquelles est ajouté un chapitre répondant aux principales objections qui leur ont été adressées. L’auteur y développe des thèmes semblables à ceux abordés dans Making It Explicit (Cambridge, Harvard, 1994) et Articulating Reasons (Cambridge, Harvard, 2000), mais spécifie sa problématique, sa méthode et ses arguments de façon différente. Il propose un programme de recherche formalisant les relations entre vocabulaires selon une approche qu’il qualifie de « pragmatisme analytique ». Les trois premières conférences élaborent ainsi une technique d’analyse des relations entre vocabulaires, l’« analyse signification-usage », s’appuyant sur des diagrammes ; tandis que les trois dernières conférences appliquent cette nouvelle méthode à des vocabulaires d’intérêt saillant pour la philosophie du langage (les vocabulaires modal, normatif, intentionnel et logique classique), et leurs relations mutuelles. Nous résumerons les trois premiers chapitres en un bloc, puis les suivants chacun à leur tour. Brandom tient à s’inscrire dans les traditions analytique et pragmatiste de la philosophie contemporaine et reconstitue donc pour commencer une histoire du projet classique de l’analyse, projet faisant face à un défi pragmatiste. Le projet classique de l’analyse consiste à faire ressortir les significations propres à un vocabulaire par l’élaboration logique des significations mieux définies d’un autre vocabulaire de base. Ce type d’analyse ne se préoccupe donc que des relations sémantiques entre vocabulaires. Le défi pragmatiste (Brandom fait référence surtout à Wittgenstein) consiste à soutenir que d’autres aspects du langage servent à la constitution de la signification, en particulier les pratiques linguistiques. Brandom prétend récupérer et étendre le projet classique de l’analyse en tenant compte du défi pragmatiste et en formalisant en conséquence l’aspect pragmatique du langage dans sa relation à l’aspect sémantique. Cette formalisation se fait par le biais de l’analyse signification-usage, dans laquelle est introduite la notion de « relation sémantique pragmatiquement médiatisée ». Plusieurs types élémentaires de relation sont distingués dans l’analyse. Ainsi, un vocabulaire peut suffire à spécifier un ensemble de pratiques discursives ou habiletés comportementales, et un ensemble de pratiques discursives ou habiletés comportementales peut par converse suffire à déployer un certain vocabulaire. Un vocabulaire de base sert de métavocabulaire pragmatique pour un vocabulaire cible lorsqu’il permet de spécifier des pratiques ou habiletés, qui elles-mêmes permettent de déployer le vocabulaire cible. Il en résulte une relation pragmatiquement médiatisée entre le vocabulaire de base et le vocabulaire cible, par laquelle le premier en vient à suffire pour caractériser le second. Les relations sémantiques ne sont donc pas remplacées, mais accompagnées de relations pragmatiques médiatrices. Brandom développe plus avant ce schéma de base de l’analyse signification-usage en considérant la théorie des automates en intelligence artificielle. Cette considération lui permet de faire ressortir le problème des limites apparentes du rôle expressif accordé à certains vocabulaires, qui est particulièrement manifeste lorsqu’un vocabulaire est très différent de son métavocabulaire pragmatique. La portée expressive du vocabulaire de base est expliquée par l’« élaboration algorithmique », à partir des pratiques spécifiées par le vocabulaire de base, d’un autre ensemble de pratiques qui permet à son tour de déployer plus avant le vocabulaire de base et de lui donner de la sorte la portée nécessaire à la mise en relation résultante avec le vocabulaire cible. Le métavocabulaire est donc à la fois élaboré à partir — et explicatif (ou explicitatif) — de pratiques qui constituent un ensemble de pratiques discursives autonomes. L’élaboration algorithmique est ce qui explique, par exemple, la portée expressive des automates qui produisent un langage plus riche que leur langage de programmation initial. La possibilité d’un tel développement soutenu de soi-même (bootstrapping) est …