Comptes rendus

Michel Seymour, De la tolérance à la reconnaissance. Une théorie libérale des droits collectifs, Montréal, Boréal, 2008, 704 p.[Notice]

  • Nicolas Tavaglione

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  • Nicolas Tavaglione
    Université de Genève

Lorsqu’il feuillette pour la première fois le dernier livre de Michel Seymour, le lecteur ne peut manquer de s’écrier, tremblant héritier de Cyrano de Bergerac : « Ce n’est pas un livre : c’est une somme, c’est un atlas, c’est une Bible ! Que dis-je, c’est une Bible ? c’est un Léviathan ». Et cette impression perdure quand la lecture enfin s’achève. En sept cents pages serrées, l’auteur progresse méticuleusement, d’obstacle en obstacle, d’objection en objection, d’adversaire en adversaire, jusqu’à sa destination : la justification, dans le cadre et au nom du libéralisme, de droits collectifs dotés d’une importance égale aux droits individuels — et, plus généralement, la célébration de la diversité culturelle et la condamnation de l’« impérialisme culturel anglo-américain » (406). Dans une première partie, Seymour analyse le concept de reconnaissance, en retrace la généalogie hégélienne, en défend la pertinence normative et retrace les motifs individualistes du dédain libéral pour la reconnaissance des peuples. Dans une deuxième partie, il décortique et défend le libéralisme politique, amende le droit des gens rawlsien qui en est l’extension internationale, montre comment il doit accueillir favorablement la diversité culturelle et la valorisation des peuples, et explique comment on doit comprendre la possibilité d’un « nationalisme cosmopolitique ». Dans une troisième et ultime partie, enfin, il construit et précise la théorie des droits collectifs pour laquelle il a déblayé le terrain — sans s’abstenir, au passage, de réfuter les dernières objections qui, tels des francs-tireurs en retard sur la défaite de leur armée, osent traîner encore sur son chemin. C’est un tour de force, qui mérite chapeau bas. Le cadre théorique dans lequel Seymour veut ancrer sa défense des droits collectifs est celui du libéralisme politique du « deuxième Rawls » : renonçant à arrimer le libéralisme dans la moindre doctrine compréhensive, comme on sait, Rawls abandonne le libéralisme individualiste, trop métaphysique, au profit d’un libéralisme « politique » prenant pleinement acte du pluralisme raisonnable des doctrines compréhensives que programme immanquablement la vie dans une société démocratique. Dans cette perspective, commente Seymour, la valeur première du libéralisme n’est plus l’autonomie individuelle en un sens kantien, puisque le pluralisme raisonnable nous interdit de privilégier la philosophie de Kant par rapport à ses rivales. La valeur première du libéralisme politique est bien plutôt la tolérance — entendue comme un principe politique, et non comme une attitude subjective, commandant le respect mutuel et la garantie d’un « traitement statutaire égal […] dans l’espace politique » (267, 103). Et la vertu majeure d’un tel libéralisme détaché de son héritage individualiste, c’est qu’il permet une authentique neutralité entre conceptions du bien — et notamment une neutralité bienvenue dans le débat qui oppose individualistes et communautariens : Tel est donc le socle normatif sur lequel repose le bâtiment des droits collectifs. Mais comment passer de la tolérance à la reconnaissance des différences culturelles et à la justification des droits collectifs ? Comment fonder, sur une telle base libérale amendée, une « politique de la reconnaissance » définie comme « toute mesure, constitutionnalisée ou non, cherchant à promouvoir ou à protéger la différence ou le respect égal entre des personnes ou entre des peuples, dans le but de traduire une certaine forme de respect ou d’estime et de contrer toute forme d’humiliation dirigée contre leur identité statutaire » (106) ? L’argument central de Seymour se déploie en trois temps. Mais la tolérance n’est pas encore la reconnaissance, puisque la première commande le respect tandis que la seconde présuppose l’estime : Tandis que le respect exige la garantie, aux personnes et aux peuples, d’un statut égal dans l’espace public, l’estime, …