Comptes rendus

Robert Theis, Jonas. Habiter le monde, Paris, Michalon, « Le bien commun », 2008, 122 p.[Notice]

  • Carl R. Bolduc

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  • Carl R. Bolduc
    Université du Luxembourg

L’ambition de Robert Theis est clairement affichée : restituer l’infrastructure extrêmement ample de l’oeuvre de Hans Jonas, entre les moments ontologique, théologique et éthique. On retrouve ainsi dans cet ouvrage les quatre grands volets des investigations philosophiques de Jonas, qui sont : « l’esprit gnostique », « une philosophie de la vie et de l’homme », « une éthique de la responsabilité » et « Dieu dans le monde ». L’A. fonde ses analyses sur une thèse originale selon laquelle le fil qui relierait les différents moments de l’oeuvre entière de Jonas se trouve dans ses premiers travaux sur les doctrines gnostiques des premiers siècles chrétiens développées par Jonas à l’Université de Marbourg. Cette interprétation originale ne va pas de soi puisqu’elle rompt avec l’affirmation de Jonas lui-même selon laquelle sa philosophie « ne commence pas avec ses recherches sur la gnose, mais avec l’effort de penser la biologie » (p. 10). La première étape de l’ouvrage, consacrée à l’esprit gnostique, consiste à montrer que ce qui intéresse Jonas dans l’étude de la gnose, ce n’est pas tant la question des sources ou la reconstruction de la pensée gnostique, mais « l’esprit gnostique ». L’idée directrice de cette étude tient d’abord dans le souci d’un dépassement du dualisme métaphysique qui caractérise l’expérience gnostique et qui « comporte d’une part un dualisme entre Dieu et le monde, et de l’autre un dualisme entre l’homme et le monde, qui est le reflet du premier » (p. 15). De manière sans doute significative, c’est en recourant aux analyses heideggériennes, et en particulier à l’analyse existentiale, à ses méthodes interprétatives et à sa compréhension du Dasein, exposées dans Sein und Zeit (1927), que Jonas trouve le cadre phénoménologique pertinent pour comprendre l’expérience fondamentale de l’homme gnostique s’éprouvant comme étranger au monde et à ses fins. À partir de ses recherches érudites sur un monde presque oublié de l’Antiquité tardive et qu’il appellera plus tard « le jardin de la Gnose », Jonas risque une lecture gnostique de la dynamique du nihilisme moderne, de l’existentialisme contemporain et de son expérience de soi-même exprimés par les gnostiques sous le sentiment de la crainte de la solitude de l’homme dans l’existence terrestre, sentiment que Pascal a décrit comme : « abîmé dans l’infinie immensité des espaces que j’ignore et qui m’ignorent, je m’effraie... » (Pensées, 88, 205). La reconstruction de ce que les gnostiques qualifient de nihilisme antique doit à son terme mettre en lumière les « racines » du nihilisme moderne et de l’existentialisme contemporain qui, au xxe siècle, sont compris, au moins en partie, comme le résultat de « l’indifférence de la nature et l’aliénation de l’homme par rapport à la nature » (p. 24). C’est dans ce contexte que prend forme la réaction de Jonas au nihilisme et qu’il a été conduit, non seulement à surmonter toute forme de dualisme qui opposerait la matière à l’esprit, mais aussi à maintenir l’hypothèse d’un Dieu définissable au regard des conditions de l’expérience contemporaine. Contre cet acosmisme, Jonas propose pour tâche à la philosophie de penser le dépassement du monisme matérialisme incapable de rendre justice intégralement aux phénomènes de la vie en montrant l’ancrage biologique de l’homme dans la nature. Dans la deuxième étape de l’ouvrage, consacrée à l’explication de la philosophie de la biologie, l’A. explique que la radicalisation du paradigme de l’idée de nature élaboré par Francis Bacon et qui s’est imposé à partir du xviie siècle est le moment décisif qui a ruiné un régime de savoir développé depuis l’Antiquité, et ordonné autour de la vision classique d’un cosmos hiérarchisé et …