Comptes rendus

Susan Moller Okin, Justice, genre et famille, Paris, Flammarion, 2008 (traduction de Justice, Gender and the Family,1989)[Notice]

  • Christine Daigle

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  • Christine Daigle
    Université Brock

Moller Okin a publié son ouvrage Justice, genre et famille il y a maintenant vingt ans. On pourrait espérer que son message soit maintenant dépassé et que la situation qu’elle décrit ne soit plus actuelle. Mais il demeure que ce n’est pas le cas, même si bien des théoriciens sont allés plus loin qu’elle dans leurs propositions. Moller Okin nous peint le portrait d’une famille dont la structure est fondamentalement oppressive et injuste, et place les femmes et les enfants en situation d’infériorité et de dépendance. Elle démontre que, la famille étant structurée selon le genre, il lui est impossible d’opérer selon les principes de justice fondamentaux. S’il y a justice et équité dans un tel cadre, c’est pour ceux qui sont nés du bon sexe, soit le masculin. Cela est problématique et entraîne des inéquités sur tous les plans. Se voulant, selon la traductrice Ludivine Thiaw-Po-Une, un complément à la Théorie de la justice de Rawls, l’ouvrage de Moller Okin cherche à réintroduire la différence sexuelle et l’effet de cette différence dans le cadre de la situation originelle afin que ce facteur ne soit plus ignoré. Okin explique que cela est trop souvent le cas dans les théories libérales qui croient régler le problème du sexisme et de la discrimination, parce qu’elles adoptent un point de vue de neutralité vis-à-vis le genre. Pour elle, c’est une erreur, et la neutralité est tout aussi dommageable qu’un point de vue carrément sexiste. « L’État n’a rien à faire dans les chambres à coucher de la nation ! », déclara un jour Pierre Elliott Trudeau. Peut-être, mais selon Moller Okin l’État doit au moins s’impliquer dans les familles afin de redresser les inéquités qui y prévalent. L’auteure souhaite remédier aux faiblesses des théories libérales, desquelles elle se réclame de façon critique. Un des premiers points qu’elle aborde est la fracture entre sphère privée et sphère publique. Puisqu’il est du devoir de l’État de défendre les droits individuels, si ces droits individuels sont bafoués au coeur de la famille, il faut que celui-ci y intervienne. Cela va bien au-delà de ce que souhaitent les théories libérales traditionnelles. Bien des théoriciens omettent de traiter de la famille parce qu’il s’agit du domaine privé et que l’objet de leur analyse est plutôt la vie sociale et une théorie qui la régit. Pour eux, ces deux sphères, publiques et privées, sont radicalement distinctes. Pour Rawls, par exemple — et Moller Okin indique cette faiblesse de sa théorie, non seulement la famille est présupposée mais elle est encore présupposée juste. En ne théorisant pas la famille, Rawls est incapable de voir les injustices qui y règnent. Moller Okin le remarque : les théoriciens de la justice ne portent pas attention à la manière dont nous devenons justes, comme si le sens de la justice était inné. Bien sûr, cela n’est pas le cas. Elle insiste aussi pour exprimer son désaccord avec les éthiques différenciées qui présentent un essentialisme moral selon lequel les hommes et les femmes auraient une approche différente de la pensée morale. Il faut se pencher sur la manière dont nous acquérons les principes de justice et autres vertus. Contrairement aux théoriciens de la justice qui posent les sphères publiques et privées comme étant radicalement distinctes, Moller Okin croit qu’il est impossible de séparer ces deux sphères car, pour elle, le privé fonde le public. En effet, les citoyens sont avant tout des membres d’une famille. C’est la vie familiale qui leur enseigne les principes moraux, tels que la justice. Cet apprentissage se fait, en ce qui concerne les enfants, par l’observation d’exemples de comportements. …