Comptes rendus

Richard Bodéüs (traduction française, introduction et notes), Porphyre, Commentaire aux Catégories d’Aristote. Édition critique, Paris, Vrin, « Textes philosophiques », 2008, 485 p.[Notice]

  • Annick Stevens

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  • Annick Stevens
    Université de Liège

L’influence qu’a exercée le commentaire de Porphyre aux Catégories d’Aristote sur la philosophie de la fin de l’Antiquité et du Moyen Âge est, de l’aveu général, considérable. Il a en effet servi de référence pour l’enseignement de la philosophie durant des siècles, tant dans la tradition platonicienne que dans la tradition aristotélicienne. En outre, comme le signale d’emblée Richard Bodéüs dans son introduction, ce traité est le rescapé d’un double naufrage, celui des commentaires anciens aux Catégories, et celui de l’oeuvre exégétique de Porphyre. Malgré cette importance historique, le texte du traité n’avait plus été revu depuis l’édition réalisée par Adolph Busse en 1887 pour la série des Commentaria ad Aristotelem Graeca. Or cette édition, qui avait amélioré le texte « de façon spectaculaire » par rapport à l’editio princeps de Jacques Bogard en 1543, n’en comportait pas moins encore de nombreuses lacunes, résultant des passages illisibles dans les manuscrits, et quelques erreurs de lecture, dues notamment à une fidélité parfois excessive à l’editio princeps. Richard Bodéüs a donc repris l’examen de tous les manuscrits disponibles pour établir un nouvel état du texte, non dépourvu de nombreuses conjectures quant aux leçons à privilégier et surtout quant à la meilleure manière de combler les espaces lacunaires. On peut se rendre compte de l’ampleur de la tâche éditoriale ainsi fournie en consultant les tableaux comparatifs entre les manuscrits et les éditions antérieures, ainsi qu’en parcourant les très nombreuses notes de bas de page dans lesquelles l’auteur justifie ses interventions et choix textuels. Ce n’est d’ailleurs pas seulement en ce qui concerne le texte que les notes apportent un éclairage précieux, mais aussi quant au contenu : Bodéüs fournit des explications très approfondies de l’interprétation porphyrienne, complète les références au traité des Catégories ainsi qu’à d’autres traités aristotéliciens, et évalue l’influence qu’ont exercée les courants et controverses philosophiques contemporains de Porphyre sur le traitement de certaines questions. Ce faisant, s’il fait montre d’une érudition et d’une subtilité philosophique considérables, le traducteur ne se départit jamais d’une extrême prudence, se refusant à conclure de manière tranchée lorsque nous ne disposons que de conjectures. La position de Porphyre, comme le rappelle et le montre Bodéüs, consiste à considérer les Catégories comme le premier des traités logiques, c’est-à-dire comme une propédeutique à la philosophie, qui devait contenir la théorie des termes simples, à laquelle le traité De l’interprétation ajoutait la théorie des propositions, et les Analytiques celle du raisonnement. Écartant ainsi toute perspective ontologique de son contenu, Porphyre considère les dix catégories comme des genres de mots et non des genres d’êtres, position par rapport à laquelle tous les interprètes postérieurs devront se prononcer, soit en la suivant soit en s’y opposant, pour revendiquer le caractère ontologique et non seulement linguistique de l’étude. Ce fait est bien connu ; ce qui l’est moins, c’est l’élément d’explication qu’avance Bodéüs pour ce choix, à savoir qu’il permettait à Porphyre d’éviter d’opposer Aristote à Platon, puisqu’une série de catégories sémantiques ne risquait pas de venir contredire la série des genres de l’être exposée dans le Sophiste. Le souci de Porphyre de rester fidèle à Platon et à Plotin, malgré le doute que certains spécialistes ont élevé à ce sujet, apparaît encore ponctuellement au détour d’une interprétation, par exemple en 138, 30-32, lorsque l’exégète affirme que les qualités immatérielles, c’est-à-dire les formes de qualités, sont en réalité des substances, ce qu’il est bien entendu impossible de trouver chez Aristote. On sait également que Porphyre est l’auteur de la théorie de la double imposition des noms, la première imposition servant à signifier les natures des choses, …