Comptes rendus

François Duchesneau, Leibniz, l’organisme et le vivant, Paris, Vrin 2010 ; Justin E. H. Smith, Divine Machines. Leibniz and the Sciences of Life, Princeton, Princeton University Press, 2011[Notice]

  • Christian Leduc

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  • Christian Leduc
    Université de Montréal

Depuis un peu plus d’une dizaine d’années, l’intérêt pour le problème du vivant a pris de plus en plus d’importance au sein des études leibniziennes. Les travaux de François Duchesneau ne sont évidemment pas étrangers à la place qu’occupe maintenant l’étude de ce qu’on pourrait appeler la philosophie de la biologie de Leibniz. Dès La physiologie des Lumières parue en 1982, mais aussi plus récemment dans Les modèles du vivant de Descartes à Leibniz et dans de nombreux articles, Duchesneau a parfaitement démontré la prépondérance des sciences du vivant dans l’organisation et le développement de la pensée leibnizienne. Les deux ouvrages ici recensés se situent en continuité avec ce travail de pionnier, le premier, Leibniz, le vivant et l’organisme, parce qu’il marque bien évidemment l’achèvement par le même auteur d’une recherche de longue haleine, le deuxième, Divine Machines. Leibniz and the Sciences of Life, dans lequel l’auteur exploite des thèmes similaires, mais avec de nouvelles orientations d’analyse. Les ouvrages de Duchesneau et de Smith prennent sur différents points une direction similaire. Le premier aspect commun concerne leurs prises de position quant aux débats actuels entre la lecture idéaliste et la lecture réaliste de la doctrine leibnizienne des corps. L’une des thèses dominantes, défendue depuis quelques années par Daniel Garber, repose sur l’idée que la métaphysique leibnizienne se serait profondément transformée, des années 1680 jusqu’à l’époque de maturité : partant d’une conception plus réaliste selon laquelle il considèrerait la substance comme étant un composé d’une forme et d’une matière, Leibniz aurait par la suite opté, en particulier avec l’adoption de la notion de monade, pour une doctrine idéaliste suivant laquelle, pour le dire rapidement, les corps matériels ne sont que des agrégats phénoménaux. Or, nos deux auteurs croient qu’il faudrait reconsidérer les termes de cette lecture — y compris les nombreuses réactions qu’elle a suscitées — à la lumière des thèses portant sur les sciences du vivant. Pour sa part, Duchesneau serait plutôt d’accord pour interpréter la métaphysique leibnizienne de manière réaliste, c’est-à-dire que le corps ne serait pas, même à l’époque de la maturité, un simple agrégat dont le fondement est monadique. Il faudrait en réalité insister sur la continuité entre l’ordre des corps et celui des substrats monadiques. D’ailleurs, Duchesneau avance l’hypothèse selon laquelle il n’y aurait pas de visée métaphysique pure chez Leibniz et que son projet consisterait davantage à établir un système de la nature, dans lequel la physiologie joue un rôle primordial. Smith, quant à lui, croit que des changements ont certes eu lieu au sein de la métaphysique leibnizienne, mais que ceux-ci se rapportent surtout à la théorie du corps organique. Dans ce contexte, tant une lecture idéaliste qu’une lecture réaliste seraient possibles. L’une des thèses centrales de l’ouvrage de Smith vise plus précisément à marquer la discontinuité entre deux doctrines des corps organiques : partant d’une conception plus traditionnelle et aristotélicienne, centrée autour de l’économie animale, Leibniz se serait par la suite davantage intéressé aux corps microscopiques, ce qui irait de pair avec une théorisation de l’anatomie subtile. Un deuxième point de concordance met l’accent sur les procédures empiriques dans la science leibnizienne, un aspect souvent négligé par les commentateurs. Le vivant, comme objet de recherche, nécessite de recourir à des observations et des expériences sans lesquelles notre connaissance des corps organiques serait grandement lacunaire. Comme le souligne Smith, l’engagement de Leibniz envers les savoirs empiriques nous permet d’ailleurs de comprendre l’origine et même le contenu de certaines thèses théoriques. Par exemple, selon lui, il existerait un lien entre la doctrine leibnizienne de l’emboîtement infini des parties du corps organique …