Comptes rendus

Paul Thagard, The Cognitive Science of Science, MIT Press, Cambridge (MA)/Londres, 2012, 365 p.[Notice]

  • Jean-Frédéric de Pasquale et
  • Pierre Poirier

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  • Jean-Frédéric de Pasquale
    Université du Québec à Montréal

  • Pierre Poirier
    Université du Québec à Montréal

Il y a quelques mois paraissait dans la revue Science un article décrivant Spaun, un cerveau artificiel comportant 2,5 millions de neurones, capable de réaliser huit tâches cognitives, dont une version simplifiée d’un test d’intelligence. Cette prouesse des neurosciences théoriques, héritières du connexionnisme d’antan, constitue une bonne occasion de se demander si celles-ci ont quelque chose à apporter à la philosophie. The Cognitive Science of Science de Paul Thagard pourrait être la réponse à cette question, et c’est dans cet esprit que nous présenterons son ouvrage. Thagard est l’un de ceux qui (comme les Churchland) ont poursuivi le projet d’une philosophie neurocomputationnelle des sciences et, dans ce livre où il collabore, entre autres, avec certains des membres du laboratoire derrière Spaun, il apporte à l’étude des sciences la nouvelle révolution neurale en sciences cognitives : l’application des neurosciences théoriques aux fonctions de haut niveau du cerveau — dans ce cas-ci, celles qui sont essentielles à la pratique scientifique. Malgré une certaine volonté de multidisciplinarité, les neurosciences théoriques occupent en effet la place centrale dans la version des sciences cognitives de la science proposée par Thagard. Il a développé une approche de la science par simulations neuronales, laquelle permet à la fois de décrire les mécanismes cognitifs en jeu dans la pratique scientifique et, par le fait même, grâce à une conception instrumentale de la rationalité scientifique, de mieux cerner les normes de la science — deux tâches qui ont traditionnellement occupé les philosophes. Pour comprendre ces modèles, il faut d’abord dire un mot sur les neurosciences théoriques qui les animent. Cela donnera en même temps une idée des progrès faits par celles-ci et de leur capacité à réanimer les vieux débats philosophiques sur les modèles neuronaux, car de la résolution de ces débats dépend en partie la valeur des modèles de la science de Thagard. Il adopte deux développements récents dans le domaine qui sont particulièrement importants ici : les représentations holographiques réduites (HRR) et le cadre d’ingénierie neurale NEF. Les HRR permettent la construction de représentations neurales (des vecteurs d’activité neuronale) structurées, et notamment compositionnelles. En plus de l’opération de somme de deux vecteurs, deux opérations des HRR rendent cette construction possible : la convolution circulaire (Ⓧ), que Thagard décrit comme une sorte d’entortillement de deux vecteurs, et l’opération inverse de corrélation circulaire (#). Ces deux opérations sont complexes, mais il suffit ici de dire que la première permet de joindre deux vecteurs en un seul de même dimension (A Ⓧ B=C) et la seconde de retrouver (à peu près) un des deux vecteurs initiaux (C#A≅B). Un tel formalisme permet de dépasser certaines limites liées à la construction de représentations neurales structurées. Ainsi, les HRR permettent de distinguer entre la représentation neuronale de « Marie aime Jean » (marie Ⓧ sujet + aime Ⓧ verbe + jean Ⓧ complément) et celle de « Jean aime Marie » (jean Ⓧ sujet + aime Ⓧ verbe + marie Ⓧ complément). Un des reproches fait à la tentative de Churchland de rendre compte de la représentation scientifique en termes neuronaux étant précisément son incapacité à rendre compte de la nature propositionnelle des théories, c’est là un solide avantage de Thagard. NEF, l’autre outil qui fait de l’approche de Thagard une nouvelle forme de neurophilosophie des sciences, est un cadre d’ingénierie neuronale qui permet de construire analytiquement des réseaux de neurones d’un haut niveau de réalisme biologique. Celui des anciens modèles connexionnistes laissait souvent à désirer ; par exemple, leurs neurones formels communiquaient par des nombres réels dits « taux d’activation ». Dans les nouveaux modèles plus réalistes que permet …

Parties annexes