Comptes rendus

Tinland, Olivier, L’idéalisme hégélien, Paris, CNRS-Éditions, 2013, 250 p.[Notice]

  • Guillaume Lejeune

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  • Guillaume Lejeune
    Université Libre de Bruxelles

Si la notion d’idéalisme est centrale chez Hegel, elle est rarement étudiée pour elle-même. « Ce qui est bien connu est en général, pour cette raison qu’il est bien connu, non connu », cette sentence célèbre de la philosophie hégélienne pourrait ici servir de maxime à cet ouvrage subtil. Loin de se réduire à la question d’une simple étiquette, la question de l’idéalisme auquel s’attache le livre d’Olivier Tinland catalyse des questions philosophiques centrales et conditionne une réhabilitation éventuelle de la pensée de Hegel. Si l’idéalisme est une fuite abstraite hors du réel ou s’il est cette réflexion subjective critiquée par Kant, alors il paraît vain de vouloir ressusciter un quelconque idéalisme. Mais, si au lieu de s’en remettre à une lecture superficielle de Hegel pour prôner un retour à Kant on analyse, comme le propose Tinland, l’« idéalisme hégélien », il apparaît qu’une définition plus nuancée de celui-ci existe. Cette définition repose sur un renvoi au concept d’idéalité, lequel, loin de dénoter un antiréalisme, réfère à l’élévation du réel à sa vérité dans la clarté d’un discours qui réfléchit ses propres conditions. C’est en tout cas ce que l’auteur nous montre de façon convaincante au fil d’un périple cathartique qui s’ouvre sur une critique des présupposés dogmatiques du projet ontologique classique (chapitre I), se poursuit par une critique du cadre égologique abstrait dans lequel opère le concept kantien puis fichtéen de la réflexion (chapitre II), et se conclut en statuant sur le sens de l’idéalisme que développe la philosophie hégélienne (chapitre III). On notera que, de façon didactique, l’auteur préfère ainsi à un plongeon pur et dur dans la logique hégélienne une approche empreinte d’une minutieuse attention à l’histoire des idées et à la façon dont Hegel se place par rapport à celle-ci. Dans le premier chapitre, l’auteur, dans le souci de distinguer l’originalité de Hegel de certaines notions dans lesquelles on l’enfermerait, remet en cause l’association de son idéalisme à l’ontologie. Il remarque tout d’abord que le terme d’ontologie apparaît rarement dans l’oeuvre de Hegel, et jamais pour qualifier son système, mais toujours en regard d’éléments relevant de l’histoire préalable à ce système. L’ontologie, dont Hegel fait conformément au modèle wolffien la première partie de la métaphysique, demeurerait prise dans les malentendus de l’entendement en confondant l’exactitude et la complétude avec la vérité et la nécessité des concepts. Certes, Hegel critique le point de vue kantien qui se méfie de l’ontologie, mais il ne restaure pas pour autant l’ontologie. Olivier Tinland, en s’inspirant largement de la démarche de Gérard Lebrun, montre alors que Hegel reconduit plutôt le kantisme et l’ontologie dos à dos en montrant que l’un comme l’autre reste prisonnier d’une pensée représentationnelle. Incapable de rendre compte des représentations, qu’elle articule dans les jugements, la pensée kantienne fonctionnerait comme un « empirisme linguistique » (p. 61), utilisant les termes tels qu’elle les trouve. Pour Hegel, le kantisme et l’ontologie seraient des discours incapables de rendre compte d’eux-mêmes. Comme dans l’empirisme, ils présupposeraient la réalité et s’y rapporteraient de façon atomistique. Le retour de Hegel à une certaine métaphysique ne serait donc pas à comprendre comme une régression en deçà du kantisme à la Schulmetaphysik, mais comme une prise de conscience métacritique d’un substrat linguistique à l’oeuvre dans l’exercice de la philosophie, substrat qu’il entend intégrer à la pensée par le biais de la réflexion. En caractérisant l’idée de réflexion chez Hegel, le chapitre II du livre de Tinland a l’intérêt de ne plus situer la démarche de Hegel par rapport à la question de la métaphysique en général, mais par rapport au contexte plus …

Parties annexes