Dossier. La philosophie à l’Académie de Berlin au XVIIIe siècle

Introduction[Notice]

  • Christian Leduc et
  • Daniel Dumouchel

…plus d’informations

  • Christian Leduc
    Université de Montréal

  • Daniel Dumouchel
    Université de Montréal

L’Académie royale des sciences de Prusse a été fondée en 1700 par Gottfried Wilhelm Leibniz, avec l’important soutien politique de Sophie Charlotte de Hanovre, et l’aide de certains collaborateurs, en particulier du théologien Daniel Ernst Jablonski. Sur le modèle de l’Académie royale de Londres, fondée en 1660, et de l’Académie royale des sciences de Paris, en 1666, l’Académie de Berlin avait pour but général l’avancement des savoirs, mais aussi le progrès des beaux-arts, ce qui la distingue dans un premier temps des institutions anglaise et française plus spécifiquement scientifiques. En lui choisissant la devise Theoria cum praxis, Leibniz souhaitait que les savoirs produits par les membres aient certes une incidence pratique, mais il voulait aussi créer un espace institutionnel pour que les recherches, aussi bien contemplatives qu’appliquées, puissent dialoguer. Frédéric 1er, premier roi de Prusse de 1701 à 1713, insista pour que, dès ses débuts, l’Académie ait également un objectif culturel par sa promotion des études sur la langue allemande et sur l’histoire des États qui en font usage. La création de l’Académie s’inscrit par conséquent au départ dans une stratégie politique ; elle peut sans aucun doute être considérée comme une étape préalable mais essentielle dans la constitution à venir de l’identité scientifique et culturelle allemande. Avec Leibniz, élu président à vie, il est possible de circonscrire une première période dans l’histoire de l’Académie au xviiie siècle, et qui s’arrête en 1716 à la mort du philosophe. Elle réunissait notamment des correspondants ou collaborateurs de Leibniz lui-même, par exemple les mathématiciens Johann et Jakob Bernoulli, le philosophe Michel Angelo Fardella, ou le physiologiste et physicien Nikolas Hartsoeker. En 1710 parut un premier volume réunissant des travaux de membres de l’Académie ; les Miscellanea Berolinensia ad incrementum scientiarum, dont sept autres volumes furent publiés jusqu’en 1744, comprenaient des mémoires, rédigés en latin, portant sur divers sujets scientifiques et littéraires. La publication de ces mélanges continua pendant les trois décennies subséquentes, mais on constate que le décès de Leibniz marque le début d’une deuxième période dans l’histoire de l’Académie. Il s’agit d’une époque assez sombre où elle tombe peu à peu dans l’oubli, bien que l’institution continue de recruter plusieurs nouveaux membres et que Jablonski assure une certaine continuité comme secrétaire et vice-président. La situation est en bonne partie attribuable au manque d’intérêt de Frédéric-Guillaume 1er (roi de Prusse de 1713 à 1740), voire à sa méfiance à l’égard des sciences et des arts. La période est aussi connue en raison d’une importante controverse qui impliqua certains de ses membres, en particulier Christian Wolff et Johann Joachim Lange, tous les deux professeurs à l’Université de Halle. La controverse concernait des éléments de la théologie et de la métaphysique de Wolff, qui s’opposeraient d’après Lange à l’orthodoxie piétiste, en particulier sur la question du libre arbitre ; elle mena en 1723 au congédiement de Wolff par Frédéric-Guillaume. Il faudra attendre l’accession au trône de Frédéric II en 1740 pour que Wolff retourne en Prusse et récupère sa chaire universitaire à Halle. La prise du pouvoir par Frédéric II donne justement naissance à une troisième période, qui s’étend jusqu’à la fin de son règne en 1786, et sur laquelle portent les contributions du présent numéro. L’attitude de Frédéric le Grand à l’égard de l’Académie est diamétralement opposée à celle de son prédécesseur. Son intérêt est tel qu’il participe activement à ses travaux, entre autres par la publication de quelques mémoires. Signalons quatre changements majeurs s’opérant dès le début des années 1740 : premièrement, on y investit de nouveaux fonds et on …

Parties annexes