Disputatio

Wittgenstein et Ortega sur les lois logiques de base[Notice]

  • Patrice Philie

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  • Patrice Philie
    Université d’Ottawa

Le livre de Kevin Mulligan qui fait l’objet de cette disputatio porte sur Wittgenstein et ses liens avec les traditions austro-allemandes provenant de Bolzano et Brentano. Ces deux penseurs sont à l’origine, entre autres, des courants phénoménologiques et de la psychologie de la Gestalt. Selon Mulligan, l’influence s’étend même jusqu’aux confins du Cercle de Vienne (donc très près de Wittgenstein, conceptuellement et au sens propre). La présente contribution se concentrera sur le dernier chapitre du livre, qui porte sur les certitudes. Tout comme dans les chapitres précédents, Mulligan nous offre ici une analyse comparative très riche entre les travaux des penseurs issus de la tradition austro-allemande et les écrits de Wittgenstein. Tout d’abord, et crucialement, les deux accordent un rôle central aux descriptions. Au premier chapitre de Wittgenstein et la philosophie austro-allemande, Mulligan décrit bien, pour ainsi dire, les similitudes et les différences entre les descriptions de Wittgenstein (seconde manière) et celles de ses prédécesseurs phénoménologues. La différence qui m’interpelle le plus est soulignée par Mulligan au premier chapitre : « Alors que ses prédécesseurs conçoivent la description comme portant avant tout sur la complexité des états et des épisodes mentaux psychologiques ainsi que sur leurs objets, Wittgenstein considère qu’il décrit le langage et la façon dont on emploie les mots » (47). Cela illustre selon moi la différence fondamentale entre les deux types de description : alors que Wittgenstein tente en fait d’expulser, ou tout du moins de minimiser, le rôle des descriptions qui réfèrent à des états mentaux ou « internes », les phénoménologues n’ont aucun scrupule à explorer et à décrire notre vie intérieure, notre vie mentale. Ou, pour le dire peut-être plus précisément, Wittgenstein croit qu’il n’est pas souhaitable de faire appel aux états et épisodes mentaux lorsque l’on tente de faire la lumière sur les concepts qui le préoccupent, notamment ceux de signification, de vouloir-dire, de connaissance, et de certitude — et cela est à contraster avec ce que font les phénoménologues issus de la tradition austro-allemande telle que comprise par Mulligan. Dans De la certitude, Wittgenstein tente justement — de façon presque obsessive — de décrire ce que signifie être certain de savoir quelque chose, et cela l’amène évidemment à examiner les concepts connexes de doute, de connaissance, et de conviction. Cet examen met en lumière plusieurs idées évocatrices et bien connues de cet ensemble de remarques, comme la fin de la justification, la fluidité des propositions empiriques, le rôle des propositions charnières, et ainsi de suite. Les philosophes étudiés par Mulligan au chapitre VIII — dont le plus intéressant, selon moi, est José Ortega y Gasset — arrivent à des positions semblables à celles de Wittgenstein, et les similitudes qu’il souligne sont surprenantes et même stimulantes, ne serait-ce que pour éclairer les positions de Wittgenstein, qui peuvent parfois être nébuleuses telles qu’elles sont présentées. Mais avant de commencer l’analyse critique du chapitre VIII du livre de Mulligan, il est nécessaire de se pencher sur ce qu’est, en quelque sorte, De la certitude. Cet ensemble de remarques est en fait tiré de différents manuscrits écrits dans les deux dernières années de sa vie. Il est important de noter une évidence que nous sommes prompts à oublier, étant donné le mode de présentation des remarques sous la forme du livre édité par Anscombe et von Wright : ces remarques sont en fait une collation d’un premier jet de remarques portant sur un ensemble de thèmes connexes. L’ordre de présentation est temporel, et ne suit donc pas un ordre logique (en ce sens cet ordre est « arbitraire …

Parties annexes