Comptes rendus

Hourya Bentouhami-Molino, Race, cultures, identités. Une approche féministe et postcoloniale, Paris, Presses universitaires de France, coll. Philosophies, 2015, 172 pages[Notice]

  • Ryoa Chung

Il ne fait aucun doute que l’ouvrage de Hourya Bentouhami-Molino, Race, cultures, identités. Une approche féministe et postcoloniale, représente une contribution importante dans le milieu universitaire de la philosophie politique de langue française. Avec les travaux de Magali Bessone, le livre de Bentouhami-Molino participe à cette prise en considération récente, du moins en langue française, des enjeux philosophiques reliés au racisme. Dans la mesure où l’histoire du racisme est une histoire de violence et d’oppression au coeur des configurations sociales et politiques de nos sociétés contemporaines et des rapports institués par le colonialisme à l’échelle internationale, il est étonnant de constater à quel point la communauté universitaire en philosophie, de manière générale, a peu travaillé les questions de la race et du racisme. À vrai dire, on ne doutera pas du fait que les philosophes s’intéressent au racisme à titre de citoyens alarmés par cette plaie sociale des plus virulentes et dangereuses, ni à titre d’intellectuels interpellés par les ouvrages de DuBois, Fanon, Said, Davis, Mohanty ou de Coates. Mais dans le contexte des clivages disciplinaires en milieu universitaire, la question du racisme a été associée aux domaines de la théorie critique raciale, au Black Feminism en études féministes, ou aux études culturelles en sociologie, de sorte que le problème crucial du racisme n’a pas été saisi comme tel en philosophie. Quelque peu en marge du paradigme distributif ralwsien qui détermine le point de départ et le point de mire de l’approche dominante en philosophie politique contemporaine anglo-américaine, le livre de Charles Mills, The Racial Contract (1997), représente un point tournant qui a certainement aidé à défricher le terrain des discussions philosophiques au sujet du racisme. À vrai dire, ce n’est pas que les inégalités économiques et politiques entre les groupes sociaux, définis en termes de minorités culturelles, religieuses et linguistiques, aient échappé aux philosophes politiques du multiculturalisme ou des théories de la reconnaissance, par exemple, mais c’est au nom des concepts de pluralisme et de différence que les questions de justice entre les groupes majoritaires et les minorités ont été conceptualisées. L’intérêt fondamental de l’ouvrage de Bentouhami-Molino consiste toutefois à nommer plus précisément le racisme, plutôt que le pluralisme et la différence, comme problème philosophique. La matrice conceptuelle de Bentouhami-Molino ne fait aucune mention aux références familières en philosophie politique contemporaine issue du modèle rawlsien, vraisemblablement en raison du fait que l’approche libérale n’a pas conceptualisé le racisme en vertu d’une conception abstraite de l’impartialité et de l’universalisme moral. En effet, l’égalitarisme libéral consiste à défendre les libertés individuelles de base au-delà et en deçà des particularités qui nous distinguent les uns des autres dans le monde non idéal. Bien que l’on puisse comprendre la cohérence de ce paradigme philosophique, force est de constater que les injustices genrées et racialisées au sein des démocraties dites libérales demeurent prégnantes. En vérité, les discriminations raciales semblent même exacerbées par les tensions sociales de notre époque contemporaine comme en témoignent, par exemple, le phénomène de la brutalité policière ciblée contre les noirs américains dans des villes telles que Ferguson et Baltimore et, de manière plus générale, les montées de l’islamophobie et de la xénophobie à travers les pays occidentaux. Justement, l’ouvrage de Bentouhami-Molino commence avec l’affirmation percutante que les figures de l’étranger, soit la menace du barbare et l’esclave du passé, revêtent aujourd’hui la figure de l’immigrant. La xénophobie qui se drape de vertu patriotique ou se prête au discours soi-disant lucide des considérations de cohésion sociale est, en fait, le simple prolongement du racisme biologique qui prend la forme de racisme culturel : Bien que …

Parties annexes