Comptes rendus

After phrenology : Neural Reuse and the Interactive Brain de Michael L. Anderson (MIT Press, 2014)[Notice]

  • Mélyssa Thibodeau-Doré et
  • Pierre Poirier

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  • Mélyssa Thibodeau-Doré
    UQAM

  • Pierre Poirier
    UQAM

Le traitement critique de la question de l’organisation fonctionnelle se veut une attaque contre la pratique actuelle en neurosciences cognitives, où Anderson voit un localisationnisme naïf qui n’est pas sans rappeler selon lui la phrénologie du xixe siècle. Les neurosciences cognitives seraient imprégnées de ce qu’Anderson nomme la théorie compositionnelle et computationnelle de l’esprit (CCTM), qui veut que la cognition soit composée d’un ensemble de mécanismes fonctionnellement spécialisés et localisés dans des régions circonscrites du cerveau. Cette théorie pousse les chercheurs à ne recourir aux méthodes d’imagerie cérébrale que pour associer les modules cognitifs aux régions cérébrales qui les sous-tendraient. À cette « nouvelle phrénologie » (Uttal 2001), Anderson oppose un nouveau paradigme qu’il nomme réutilisation neuronale (RN), lequel permet de repenser les neurosciences cognitives ainsi que de les fonder sur des assises théoriques en continuité avec les théories de la cognition incarnée (embodied). Selon RN, les régions du cerveau ne sont pas fonctionnellement spécialisées mais peuvent être utilisées et réutilisées pour réaliser diverses tâches cognitives, dans différents domaines de la cognition. RN sert à la fois de modèle de l’architecture cognitive, d’hypothèse de neuro-plasticité à l’oeuvre dans le cerveau, et de paradigme méthodologique pour guider la recherche en neurosciences cognitives. RN s’oppose à toutes les assises centrales de CCTM : le localisationnisme, la spécialisation fonctionnelle, le computationnalisme classique, voire tout l’appareil conceptuel des sciences cognitives. Aux construits traditionnels hérités de la psychologie du xixe siècle (perception, attention, mémoire, etc.), reconstruits dans la forme computationnelle que leur a donné les sciences cognitives, il oppose les concepts encore en émergence des sciences cognitives incarnées. Afin de soutenir RN, Anderson présente trois lignes argumentatives. La première est de nature empirique : les données récoltées en neurosciences lors des dernières décennies montrent que les mêmes régions cérébrales sont impliquées dans plusieurs tâches et pour des domaines cognitifs variés. Anderson examine d’ailleurs de manière extensive, au chapitre I, les études empiriques allant dans ce sens. La seconde ligne argumentative est évolutive. Anderson avance qu’il n’aurait pas été économique pour l’évolution de « construire » dans le cerveau des modules spécialisés pour résoudre chaque nouveau problème adaptatif. Plutôt, elle aurait de préférence sélectionné des cerveaux capables de réutiliser les ressources neuronales déjà existantes, formant de nouveaux partenariats entre les régions cérébrales pour réaliser les tâches demandées. La troisième ligne argumentative consiste à souligner le pouvoir prédictif de RN. Ce paradigme permet de faire trois prédictions quant à l’organisation fonctionnelle du cerveau. D’abord, les mêmes régions cérébrales seront impliquées dans des tâches cognitives diverses. Ensuite, la spécificité des fonctions cognitives dépendra de la configuration des ressources utilisées pour réaliser une tâche et finalement, les fonctions cognitives évolutivement récentes seront réalisées de façon plus largement distribuée dans le cerveau. Anderson présente des évidences empiriques cohérentes avec ces trois prédictions. Bien que la réutilisation neuronale soit l’hypothèse centrale du livre, Anderson y développe plusieurs autres propositions intéressantes. Il suggère au chapitre II une approche du développement fonctionnel neuronal capable de rendre compte des données du premier chapitre : la différentiation et recherche interactive (interactive differentiation and search, IDS). Selon IDS, les régions cérébrales vont, au cours de l’ontogenèse, développer des profils de réponses distinctifs qui se manifestent par des tendances fonctionnelles régionales. Ces tendances, influencées par des biais corticaux hérités et des facteurs extrinsèques (expérience, relation avec d’autres régions), permettent à la même région de produire des réponses différentes selon les partenariats qu’elle établit avec d’autres régions cérébrales. Une analyse des données suggère toutefois la présence fondamentale d’un processus de recherche, qui sert à tester rapidement de multiples coalitions neuronales pour …

Parties annexes