Comptes rendus

Christian Leduc, François Pépin, Anne-Lise Rey et Mitia Rioux-Beaulne, dir., Leibniz et Diderot : Rencontres et transformations, Montréal, Vrin, 2015, 340 pages[Notice]

  • Guillaume Coissard

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  • Guillaume Coissard
    ENS de Lyon

Issu d’un colloque international tenu en 2012 à Ottawa, cet ouvrage, présenté comme un recueil de textes, est composé de seize contributions, quatorze en français, et deux en langue anglaise. Il s’intéresse à la rencontre de deux philosophes dont les pensées semblent à première vue bien différentes. Leibniz d’un côté, représentant de la métaphysique classique, et Diderot de l’autre, dont la philosophie est connue pour son matérialisme vitaliste et sa complaisance à l’endroit de l’empirisme d’inspiration lockéenne, sont les deux protagonistes de cette « rencontre » inattendue. À travers la relation particulière entre Leibniz et Diderot, les diverses études qui composent le livre fournissent un exemple frappant de la fécondité de tout travail cherchant à reconstruire les relations de deux périodes qu’on a longtemps cherché à opposer. L’ambition n’était pourtant pas aisée : comme le remarque l’Avant-propos, un problème important émerge auquel se frotte l’historien de la philosophie qui cherche à reconstruire la réception de la philosophie leibnizienne au xviiie siècle : d’abord, il est impossible de déterminer avec précision ce que Diderot a lu de Leibniz, et à quelle date. Cet obstacle a pour origine l’histoire accidentée de la diffusion des textes leibniziens aussi bien que la manière très libre dont Diderot utilise les références philosophiques. Un des traits caractéristiques de l’éclectisme de Diderot, méthode philosophique sur laquelle un grand nombre des auteurs participant à cet ouvrage reviennent, est qu’il reprend, sans les nommer et en les intégrant à un contexte philosophique très différent de leur contexte d’origine, des éléments, des concepts, des argumentations qui fonctionnent alors à nouveaux frais. Il s’agit de repérer ces emprunts et de mesurer les transformations qu’ils font subir à la pensée d’origine. Cela dit, il faut aussi être capable, puisque Diderot n’a guère le souci de la référence, de justifier qu’il y a bien emprunt, discussion ou refus d’éléments réellement leibniziens. C’est pourquoi l’Avant-propos, écrit à huit mains, va jusqu’à parler d’« une importante lacune contextuelle qui empêche de traiter ce rapport comme étant de l’ordre d’une réception au sens plus classique » (p. 9). Dès lors, un problème de méthode s’impose, qu’entendent justement traiter les onze pages de cet avant-propos. Cette section liminaire tente de dégager une solution méthodologique positive. Est ainsi écartée une manière classique d’envisager les rapports entre deux auteurs en ce qui concerne leur influence, ce qui nécessiterait une identification des textes disponibles pour Diderot, des textes réellement lus, et des médiations permettant telle ou telle lecture. On comprend que la méthode philosophique de Diderot, qui dissimule ses sources en plus d’en faire un usage libre, se prête mal à cette procédure habituelle. Il faut aussi traiter avec prudence, pour les mêmes raisons, l’idée selon laquelle Diderot fournit une interprétation de la philosophie de Leibniz. Diderot n’est pas exégète ni commentateur de Leibniz, mais il use de certains lieux de la philosophie leibnizienne pour développer sa propre réflexion. D’où la proposition méthodologique qui, nous semble-t-il, est le coeur de cet Avant-propos, d’adopter une méthode comparatiste et historique : il s’agit d’identifier des « homologies » entre les deux auteurs, c’est-à-dire de « montrer comment, dans certains champs du savoir, Leibniz et Diderot s’attaquent aux mêmes problèmes philosophiques » (p. 13). Les auteurs vont jusqu’à avancer que c’est parce qu’il y a une « communauté épistémique » englobant Leibniz et Diderot, et définissant des problèmes communs, que les réponses leibniziennes à ces problèmes peuvent être reprises, déformées ou rejetées par Diderot. Ce qui ferait le commun entre les deux auteurs serait donc les questions auxquelles ils se confrontent et les outils conceptuels dont ils disposent pour répondre ; ce …

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