Comptes rendus

Laure Cahen-Maurel, L’art de romantiser le monde. La peinture de Caspar David Friedrich et la philosophie romantique de Novalis, Zürich, LIT Verlag, 2017, 340 pages[Notice]

  • LAURA KASSAR

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  • LAURA KASSAR
    Université de Montréal

L’ouvrage de Laure Cahen-Maurel, L’art de romantiser le monde, propose d’examiner le romantisme par-delà une certaine « vulgate » de celui-ci, à la lumière de deux figures a priori hétéroclites bien que contemporaines l’une de l’autre : celles du peintre Caspar David Friedrich (1774-1840) et du poète-philosophe Novalis (1772-1801). Dans les premières pages du livre, Cahen-Maurel explique les motifs derrière le choix de ce double objet d’étude, non sans d’une part interroger les raisons pour lesquelles C. D. Friedrich est considéré aujourd’hui comme le représentant par excellence du romantisme en peinture, ni d’autre part sans justifier ce qui lui fait privilégier dans le cadre de sa réflexion la définition que donne Novalis du « romantisme », plutôt que celle que l’on pourrait tirer des écrits des frères Schlegel (fondateurs de la revue l’Athenaeum et initiateurs du romantisme d’Iéna (1795-1797 ; 1800-1802), période particulièrement visée dans cette étude). C’est en effet du fragment 105 des « Poéticismes » de Novalis que l’auteure tire un concept opératoire — en même temps outil herméneutique et fil conducteur — lui permettant de mener à la fois une exploration conceptuelle de l’imaginaire plastique du romantisme pictural de C. D. Friedrich, et une relecture double du romantisme par Novalis et de Novalis. L’auteure suggère ainsi la possibilité d’une réhabilitation philosophique du penseur dont l’impératif de romantisation du monde, tel que formulé au fragment 105, est à comprendre non pas comme simple élucubration poétique, mais comme résultant d’une intégration bien comprise de certains auteurs dont la pensée (surtout Kant et Fichte) précède la sienne. Il s’agit pour Cahen-Maurel de prendre au sérieux, au-delà de l’image du poète exalté, le penseur du système paradoxal de « l’absence de système », et elle cherche donc à mettre en lumière les thèses philosophiques, voire la présence d’une métaphysique, chez ce dernier. Elle cerne en Novalis, à travers sa conception de « l’action réciproque » (Weschselwirkung) entre le Moi et le monde, un subtil penseur de la réciprocité entre réalisme et idéalisme. Les thèses du poète, selon Cahen-Maurel, seraient ainsi le fruit de plusieurs moments de « dépassement » (notamment de Kant, Fichte et des frères Schlegel), résultant notamment de l’intégration dans sa pensée de concepts d’abord formulés par Goethe, Herder et Hemsterhuis. « Le monde doit être romantisé », nous dit le fragment 105 des « Poéticismes ». L’art de romantiser, explique Cahen-Maurel quant au choix du titre de son ouvrage, doit s’entendre doublement comme « art » de romantiser (il s’agit en effet d’une enquête auprès d’un romantisme pictural), de même que comme « art de », c’est-à-dire méthode, tour pour. L’auteure perçoit une double implication dans la définition novalisienne de la romantisation du monde : c’est autant un certain rapport au réel qu’une méthode de production d’un imaginaire ou d’une poétique. L’entièreté de son analyse tient compte de ce constat, et jamais — ni chez C. D. Friedrich, ni chez Novalis — elle ne faillit à mener jusqu’à terme ce double examen, d’objet et de manière, sous le double angle de l’objectivité et de la subjectivité. Le défi est d’autant plus important que l’auteure ne s’intéresse pas seulement à des textes, mais aussi — et très concrètement — à des tableaux. Le dialogue entre image et langage, qui est aussi plus largement celui du dialogue entre art (peinture, poésie, fragment) et discours, est d’ailleurs maintenu dans sa complexité tout au long du livre. Cahen-Maurel prend soin d’éviter les écueils et les interprétations qui menacent d’un côté « d’imposer au …

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