Comptes rendus

José L. Zalabardo, Representation and Reality in Wittgenstein’s Tractatus, Oxford, Oxford University Press, 2015, 263 pages[Notice]

  • Jonathan Gombin

…plus d’informations

  • Jonathan Gombin
    Université Bordeaux Montaigne

Depuis trente ans, les études wittgensteiniennes tâchent de répondre à une question de méthode : comment convient-il de lire le Tractatus logico-philosophicus ? Un tel trouble trouve sa source dans la célèbre pénultième remarque (6.54), par laquelle l’auteur explique que le comprendre c’est, en fin de compte, reconnaître ses remarques comme étant dépourvues de sens. À la fin des années 1980, Cora Diamond lançait un défi, celui de prendre cette remarque au sérieux et ainsi cesser de faire comme si Wittgenstein présentait des thèses philosophiques tout à fait pertinentes, quoiqu’ayant la fâcheuse particularité de ne pouvoir être formulées. L’audace du livre de José Zalabardo est d’essayer de faire droit à cette contrainte de lecture, mais de telle sorte qu’elle n’interdise pas d’appréhender le Tractatus comme mettant en avant un ensemble cohérent de doctrines. Selon Zalabardo, reconnaître que les remarques de Wittgenstein sont dénuées de sens présuppose en effet de croire qu’elles « fournissent les seules réponses et solutions correctes aux questions et problèmes philosophiques qu’elles abordent » (p. 3). Si ça n’était pas le cas, nous aurions affaire à de la mauvaise philosophie (à des questions pertinentes recevant des réponses dénuées de sens), et non pas à un rejet de l’entreprise philosophique (à des questions dont les seules réponses possibles s’avèrent être dénuées de sens). Concentrant ses efforts sur l’une des questions centrales du Tractatus, celle de la représentation de la réalité par le langage, Zalabardo se propose de montrer comment les réponses qui y sont avancées peuvent sembler en constituer le dernier mot. C’est parce qu’une telle doctrine permet en apparence de répondre aux difficultés rencontrées par les théories du jugement de Russell entre 1903 et 1913 que Wittgenstein aurait d’abord été lui-même victime de l’illusion d’avoir produit l’unique solution aux problèmes concernant le rapport entre la réalité et sa représentation. Essentiellement invérifiable quoique convaincante, une telle hypothèse permet d’abord à l’auteur d’affirmer qu’en concevant la proposition comme un fait employé en tant qu’image d’un autre fait, Wittgenstein ne fait que modifier la théorie du jugement que Russell élaborait dans le manuscrit de La théorie de la connaissance. À la suite de nombreuses versions de la théorie du jugement, que Zalabardo expose avec une grande clarté dans le chapitre I, Russell en vient à penser que juger que A aime B, c’est produire en esprit un complexe qui parvient à représenter cette situation parce qu’il est lui-même composé à la fois des éléments du complexe représenté (A, B, aimer) et de sa forme, à savoir que « quelque chose est en relation avec quelque chose ». C’est à cette seule condition qu’un jugement pourrait être à la fois faux (l’existence du complexe représentant ne suppose pas celle du complexe représenté) et déterminé (en incorporant la forme du complexe représenté, le complexe représentant détermine la manière dont les éléments y sont combinés). Une telle solution n’en est cependant pas une aux yeux de Wittgenstein, puisqu’elle suppose que la forme d’un complexe soit elle-même un fait, sans en avoir cependant la contingence. La vérité de « A aime B » dépendrait effectivement de celle de « quelque chose est en relation avec quelque chose », proposition que Russell estime à tort être purement formelle et par conséquent nécessairement vraie. Le chapitre II est alors en mesure de mettre au jour aussi bien l’originalité de la théorie de l’image du Tractatus que sa continuité avec la théorie du jugement comme relation multiple de Russell. Le legs de cette dernière réside dans l’idée que c’est en faisant usage d’un fait, c’est-à-dire d’une certaine combinaison de …

Parties annexes