Comptes rendus

Markus Gabriel, Le néo-existentialisme : penser l’esprit humain après l’échec du naturalisme, Québec, Presses de l’Université Laval, 2019, 179 pages[Notice]

  • Simon Lavoie

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  • Simon Lavoie
    Chercheur indépendant, Québec

Le présent ouvrage est la reprise augmentée et accompagnée de trois commentaires inédits d’une conférence prononcée notamment à l’Université Laval à l’invitation de la Chaire de philosophie dans le monde actuel. Gabriel y développe une objection et une solution de rechange au naturalisme réductionniste. Dans ce qui suit, nous présentons un aperçu de son raisonnement, ainsi que des commentaires qui l’accompagnent, avant de nous interroger sur son potentiel à rendre compte du foisonnement de recherches cognitives et neuroscientifiques. Une part considérable de l’ouvrage est consacrée à détailler le naturalisme réductionniste, et à mettre en relief un « problème de placement » ainsi que sa charge mystérieuse : l’esprit peut-il apparaître au sein d’un monde qui en est dépourvu ? Peut-on l’y situer sans le faire disparaître ? De manière large, aux yeux de Gabriel, le partisan du naturalisme réductionniste est le « scientifique moderne stéréotypé » (p. 17) qui répond par la négative à ces deux questions. Il tient pour une lacune ou pour une insuffisance temporaire dans nos connaissances le recours à des termes ou entités immatérielles dans nos explications de nous-mêmes, de nos actions et de nos pensées. Il considère ainsi l’esprit ou la conscience comme un épiphénomène, comme une nouveauté dépourvue de pouvoir causal, en voie d’élimination par son identification sans reste avec le cerveau et, partant, avec le monde naturel. Au terme d’une décomposition du « naturalisme standard » en ses principales articulations (p. 32), Gabriel précise vouloir livrer l’essentiel de son propos critique à l’adresse du matérialisme, lequel consiste en une articulation métaphysique du naturalisme qui discrédite tout être non matériel. Un pan de cet exercice conclut à l’impossibilité de démontrer empiriquement un tel discrédit (p. 25-26, p. 39-40, p. 42). « Aucune découverte empirique, nous dit Gabriel, n’écarte l’existence d’objets immatériels » (p. 40). D’où il s’ensuit, à ses yeux, que le matérialisme est une « généralisation abusive pseudo-inductive largement injustifiée » (p. 42), une « mythologie » (p. 66), ainsi que la source d’« interprétations philosophiquement erronées de ce que les sciences naturelles ont établi et pourront jamais établir à l’avenir » (p. 34). Des critiques du naturalisme métaphysique sont brièvement reconstituées, dont celles qu’ont articulées Joseph Levine (concepts mince/épais, p. 43-6), David Chalmers (l’argument de la concevabilité, p. 46-52), et Thomas Nagel (le principe d’intelligibilité, p. 53-56). Or Gabriel rejette une posture qui serait commune à ces philosophes et qui consisterait à concéder au matérialisme « les règles du jeu » (p. 56), à savoir que le monde matériel forme la totalité de référence au sein de laquelle l’esprit doit être situé. Gabriel rejette également la « (méta-)physique spéculative » qui fait appel à des découvertes scientifiques futures (en physique quantique dans le cas de Chalmers) pour concilier ce qui tient présentement lieu de dualisme avec la clôture causale du monde physique. À ce titre, l’intérêt et l’originalité de la démarche de Gabriel semblent devoir être principalement jugés à l’aulne d’une série de propositions qui introduisent au réalisme pluraliste qu’il propose, dont premièrement celle qui vise à articuler l’acceptation d’une perspective biologique et évolutionniste sur l’être humain à la répudiation de l’exhaustivité explicative de cette perspective et plus largement, celle du monde comme totalité englobante. Une deuxième articulation est également centrale au propos de Gabriel, soit celle de l’unité et du pouvoir causal des « vocabulaires mentaux » avec leur pluralité indéfinie. Surtout que les autres critiques philosophiques du naturalisme qui sont considérées par Gabriel établissent la ligne de …

Parties annexes