Disputatio

Probabilités subjectives et métaphysique[Notice]

  • Anna Longo

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  • Anna Longo
    Université de Paris 1, Panthéon-Sorbonne

Ainsi s’exprimait Bruno de Finetti dans Probabilismo, l’un des textes fondateurs de la théorie subjective des probabilités qui a inspiré le QBisme (bayésianisme quantique), voire l’interprétation de la mécanique quantique que Michel Bitbol partage et considère comme s’accordant avec l’épistémologie qu’il propose dans Maintenant la finitude. Or ma question est la suivante : le « corrélationisme radical » de Bitbol est-il assez radical ou devrait-on plutôt considérer le « probabilisme radical » proposé par Jeffrey en suivant de Finetti et Ramsey, comme à la fois plus cohérent et plus efficace du point de vue d’une explication antimétaphysique du succès de la science actuelle ? Le probabilisme radical ne nous permet-il pas de dévoiler l’insuffisance du critère de cohérence proposé par Bitbol, ce qui rendrait incertaine sa victoire contre le matérialiste spéculatif ? Comme je vais le montrer, tout en partant d’une position assez proche, les conclusions de Bitbol et des bayésiens subjectivistes diffèrent quant à la radicalité des propos antimétaphysiques. Comme de Finetti le soutient : Cette position semble s’accorder avec celle de Bitbol, lorsqu’il explique : « Ce n’est pas qu’un “monde-de-faits” soit intrinsèquement conforme à une loi de l’univers ; c’est seulement que, dans le cours de notre recherche, nous appliquions constamment, nécessairement, le principe régulateur de l’entendement qu’est la “loi de liaison de la cause et de l’effet”, et que nous anticipions l’unité des phénomènes sous le présupposé de cette loi comme si elle était universelle. » À partir du constat que, sauf en admettant quelque raison métaphysique, la méthode inductive ne peut garantir la nécessité des prévisions des événements futurs, la meilleure solution au problème de Hume semble l’attitude pragmatiste : les lois de la physique sont des hypothèses d’action qui permettent de s’attendre à des résultats. Il s’agit d’habitudes sélectionnées qui permettent de s’orienter et de prendre des décisions efficaces dans une réalité incertaine, il s’agit de stratégies de pari qui permettent de calculer la probabilité du succès des opérations qu’on met en place afin de rendre des expériences possibles. Le QBiste, comme Bitbol l’explique, reconnaît la validité de cette approche, et « il considère cet ordre apparent comme le travestissement superficiel dont un univers, peut-être désordonné, est recouvert par un système ordonné de comportements présents, et de paris sur l’avenir : le système des paris grâce auxquels des agents d’échelle macroscopique organisent par avance les conditions dynamiques de leur survie au coeur d’un environnement pouvant être chaotique ». De cette manière, on ne doit pas se soucier de l’ordre métaphysique du monde, mais seulement de la probabilité de succès de nos paris (décisions d’action) et des raisons qui peuvent nous donner plus ou moins confiance dans des opérations techniques, conduites dans un cadre expérimental nous permettant d’espérer voir un résultat se réaliser. Chez les subjectivistes, en théorie des probabilités, comme de Finetti et les QBistes, la méthode des paris est employée pour mesurer le degré de croyance personnelle en une hypothèse comportant une décision d’action lorsqu’aucune probabilité logique, a priori, n’est admise pour évaluer la vérité universelle de l’implication entre état des faits observé et inférence prédictive. Cette méthode est l’une des manières de quantifier la confiance personnelle dans une prédiction relative à un contexte précis de décision (comme parier sur la couleur de la prochaine boule tirée d’une urne dont on ne connaît pas le contenu, mais dont on a pu observer un certain nombre de tirages) afin d’en vérifier la cohérence. Ce qui compte est que cette méthode des paris, dont Bitbol utilise à plusieurs reprises le vocabulaire, présuppose que la probabilité ne se réfère pas à l’ignorance …

Parties annexes