Disputatio

Le(s) passé(s)[Notice]

  • Claudia Serban

…plus d’informations

  • Claudia Serban
    Université de Toulouse

À l’occasion de cette disputatio autour de Maintenant la finitude, j’aimerais aborder un point qui a particulièrement attiré mon attention lors de la lecture de l’ouvrage. Il s’agit d’une question qui pourrait sembler se trouver en marge du débat frontal avec le matérialisme spéculatif (ainsi, elle ne figure pas expressis verbis dans le texte de présentation qui inaugure cette disputatio), mais qui me paraît être tout de même au coeur de la proposition philosophique que Michel Bitbol formule d’une manière relativement indépendante par rapport à son objet polémique : à savoir, la thèse de la relativité au présent vivant. Avant de restituer cette thèse et la fonction qui lui revient au sein de sa démonstration, il convient de donner un aperçu de ce qui la rend à mes yeux digne d’intérêt et de discussion. La thèse d’une relativité au présent vivant, en tant que manière d’affirmer la centralité du présent (ou du « maintenant » auquel renvoie de manière significative le titre de l’ouvrage), peut en effet être comprise non seulement au sens où tout (tout ce qui est, tout ce que nous disons, tout ce que nous pouvons connaître, penser ou faire) est relatif au présent vivant (au présent de notre pensée, de notre action, de notre existence maintenant), mais aussi en un sens plus fort, selon lequel, en définitive, il n’y a, à proprement parler, que ce qui se donne au sein du présent vivant. Cette deuxième affirmation qui revient à déréaliser tacitement ce qui n’est pas (de l’ordre du) présent a de forts accents parménidiens, et elle nous plonge par ailleurs au coeur de l’enquête sur la nature du temps que la philosophie a menée pendant plus de deux millénaires. L’expression « le présent vivant », quant à elle, nous renvoie à un moment précis — et plus proche de nous d’un point de vue chronologique — de la réflexion philosophique sur le temps : à savoir, la phénoménologie husserlienne. Nous trouvons, en effet, chez Husserl, dès ses Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps (1905), une formulation de la thèse de la relativité au présent vivant, bien que ce vocabulaire ne soit pas encore le sien. Mais la réflexion husserlienne sur le temps, à laquelle je reviendrai plus en détail un peu plus loin, a aussi un autre enjeu qui me paraît tout aussi central dans ce contexte : celui de s’assurer, justement, que le passé ne soit pas déréalisé du fait de sa relativité au présent. La question que soulève ainsi immanquablement la thèse de la relativité au présent vivant, en s’inscrivant sur la toile de fond des problèmes classiques du temps et du maintenant, est donc aussi celle du passé. En effet, depuis la philosophie grecque au moins, les tentatives de penser le temps se sont confrontées au risque de le voir sombrer dans l’inexistence : le passé n’est plus, l’avenir n’est pas encore, et le présent est un instant changeant et évanescent ; la déréalisation du temps ayant toujours pour corollaire celle, encore plus inquiétante, de notre propre existence, qui perd ainsi une bonne partie de ses ancrages et repères. Or, parler d’un présent vivant revient précisément à faire ressortir, sur le modèle de l’argument du cogito cartésien, la contradiction performative de toute tentative de déréaliser le présent : lorsque je doute de mon présent (ou de mon existence au présent), j’en doute maintenant ; en en doutant, j’en fais inévitablement l’épreuve, je produis l’attestation du maintenant (comme, d’ailleurs, celle de mon existence). Il ne paraît pas possible, en revanche, d’attester semblablement le passé et l’avenir …

Parties annexes