Comptes rendus

François Duchesneau, Organisme et corps organique de Leibniz à Kant, Paris, Librairie Philosophique J. Vrin, 2018, 522 pages[Notice]

  • Emmanuel Chaput

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  • Emmanuel Chaput
    Université d’Ottawa

Avec Organisme et corps organique de Leibniz à Kant, François Duchesneau poursuit sa vaste entreprise de recherche tant d’ordre historique qu’épistémologique sur la genèse des modèles du vivant à l’époque moderne. Après Les Modèles du vivant de Descartes à Leibniz, et Leibniz. Le vivant et l’organisme, il tente ici de montrer l’influence, parfois diffuse, parfois directe, qu’a pu avoir la conception leibnizienne de l’organisme et du corps organique sur « le développement des modèles théoriques du vivant au xviiie siècle » (p. 14), y compris chez Kant qui inspirera à son tour la biologie naissante, par l’intermédiaire, notamment, de sa troisième critique (p. 425). Ici, l’auteur fait en partie siennes les conclusions défendues par Timothy Lenoir dans The Strategy of Life. En partie seulement, car si l’auteur reconnaît l’influence positive qu’a pu exercer Kant sur la biologie naissante, il considère « douteux le rattachement à Kant du téléomécanisme que Timothy Lenoir lui attribue » (p. 463, n. 3). Pour une posture qui conteste à la fois l’attribution à Kant d’une posture téléomécaniste et l’idée d’une influence positive d’envergure de ce dernier sur la biologie, voir la position défendue par Robert J. Richards qui présente plutôt Kant comme celui auquel les biologistes tentent de répondre notamment quant au statut de scientificité de leur pratique, ce qui supposerait une influence plutôt négative que positive sur la constitution de la biologie comme science. Quoi qu’il en soit, il y a certes quelque chose de paradoxal à retracer cette grande histoire du concept d’organisme à l’heure même où le privilège épistémologique de celui-ci est de plus en plus remis en question. C’est là un paradoxe que Duchesneau soulève d’entrée de jeu. Malgré tout, il ne lui semble pas vain « de découvrir les multiples options que recélaient les doctrines du passé dont certaines comporteraient même un air de famille avec des orientations de recherches actuelles » (p. 9). Cela étant dit, c’est davantage une plongée dans l’histoire des idées qu’un dialogue entre le présent et le passé que nous offre l’auteur. L’ouvrage, en effet, est extrêmement riche dans sa description des postures menant successivement de Leibniz à Kant. Et à l’exception d’un bref retour sur la controverse entre Lenoir et Richards sur l’affinité entre la physiologie de Blumenbach et la posture kantienne (p. 409-411, 468), ou sur l’origine du concept de « biologie » tantôt attribué à Lamarck, tantôt à Treviranus, mais déjà formulé un demi-siècle plus tôt par Michael Christoph Hanov (1695-1773) (p. 311), il ne s’agit pas pour l’auteur de polémiquer ou de prendre position par rapport aux débats contemporains entre les divers spécialistes en histoire des sciences et des idées. L’objectif est plus descriptif. On retrace dans toute leur complexité les déplacements successifs qu’opère le concept d’organisme chez Leibniz (ch. 1) en passant par les Wolffiens (Wolff, Bilfinger, Canz, Winckler) (ch. 2), souvent vus comme les héritiers de Leibniz, mais dont on peut dire à la suite de l’examen des textes auquel nous convie l’auteur qu’il se « révèle un écart considérable entre leur doctrine et celle de Leibniz » (p. 119). Avec Bourguet (ch. 3), correspondant et disciple de Leibniz, nous assistons à un élargissement de la position leibnizienne qui exercera une certaine influence, malgré son parti-pris préformationniste, sur les partisans de l’épigenèse que furent Maupertuis et Buffon (p. 145). Avec Maupertuis et Buffon (ch. 4), à la fois influencés par l’approche monadologique de Leibniz et critiques devant celle-ci, nous assistons dans les faits à « une sorte de transposition matérialiste » (p. 186) de l’approche de Leibniz qui maintenait le dualisme entre le corps …

Parties annexes