Disputatio

La Démocratie et les constitutions chez Aristote[Notice]

  • Marco Zingano

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  • Marco Zingano
    Universidade de São Paulo

Le dernier ouvrage de Jean-Marc Narbonne est un plaidoyer vigoureux pour la démocratie qui tombe à point nommé dans notre époque marquée par des dérives autocratiques. Cet ouvrage donne des suites à une réflexion soutenue sur les enjeux du politique dans l’Antiquité grecque et apporte des éléments précieux pour aider à mieux comprendre la position d’Aristote dans ce débat. Narbonne s’érige contre une lecture qui veut, sinon effacer, du moins atténuer la perspective démocratique, laquelle, selon lui, se dégage nettement d’une lecture de la Politique d’Aristote, affranchie de tout préjugé. Le noyau de la thèse aristotélicienne en faveur de la démocratie se trouve, selon l’auteur, dans l’argument de la sagesse cumulative présenté dans Politique III, 11, 1281 a 40-1282 b 1, dont il propose un commentaire minutieux, ligne à ligne, accompagné d’une traduction soignée. Cet argument séparerait à jamais, selon lui, l’Aristote démocratique de toute pensée réfractaire à la démocratie, y compris celle de son maître Platon, qui revient sans cesse sur les formes non démocratiques du gouvernement des meilleurs. On peut distinguer trois grands thèmes qui soutiennent cette reprise en force de l’argument touchant la sagesse cumulative en III, 11. D’une part, il y a un « contre Platon », une déconstruction du projet platonicien du Roi-philosophe qui s’oppose au gouvernement des masses. D’autre part et à son opposé, il y a le projet aristotélicien en faveur de la démocratie, ce qui constitue la plus grande partie de cet ouvrage. Enfin, en troisième lieu, on trouve aussi une discussion sur l’ordre de composition de la Politique d’Aristote, car les livres VII et VIII présentent des perspectives moins facilement conciliables avec le projet démocratique qui se voit développé dans les autres livres. Dans ce qui suit, je vais laisser de côté l’argument de la sagesse cumulative pour concentrer mon attention sur un autre point, celui qui tourne autour de la définition du citoyen donnée dans le Livre III, à propos duquel je voudrais émettre trois observations, dont l’une est neutre, l’autre est favorable, mais la troisième paraît apporter un bémol à l’argument avancé par Narbonne. Je commence par l’observation qui est neutre, mais qui me semble capitale pour une bonne compréhension du noyau de la question. Au Livre III, Aristote cherche à formuler la définition du citoyen. Il connaît les définitions dont on se sert couramment, comme celle qui veut qu’un citoyen soit celui dont le père ou la mère est citoyen, ou qui est né de deux citoyens et non d’un seul, ou encore celui dont la lignée citoyenne va au-delà de deux ancêtres. Aristote les juge toutes inadéquates, car elles ont une visée politique, alors qu’il cherche à produire une définition d’un point de vue philosophique. Sa définition nous est donnée en III, 1, 1275 a 22-23, reprise en 1275 b 17-31 et récapitulée plus loin en III, 13, 1283 b 42-1248 a 3. Je vais revenir bientôt à cette dernière formulation ; pour l’instant, je voudrais faire quelques remarques sur le premier passage. Aristote nous y dit que le citoyen ἁπλῶς « à proprement parler », se définit par le fait d’être en mesure de μετέχειν κρίσεως καὶ ἀρχῆς. La traduction ne semble faire aucune difficulté : « by his participation in judgment and office » (Reeve), « par la participation à une fonction judiciaire et à une magistrature » (Pellegrin). À deux détails près : (i) le citoyen est bien celui qui peut participer, non pas celui qui de fait prend part à des fonctions judiciaires et de gouvernement. Plus d’un citoyen font tout pour y échapper, et il y en a plusieurs qui réussissent. …

Parties annexes