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Introduction

Au Québec, les réformes des dernières décennies ont mis en évidence de nouveaux paradigmes éducationnels qui demandent aux enseignants d’agir « autrement ». Ainsi, placés devant l’évidence d’un taux d’échec scolaire alarmant du système scolaire traditionnel de nombreux auteurs appellent à la recherche de solutions novatrices pour favoriser la réussite scolaire et éducative de nos enfants (Ainscow & Miles, 2008 ; Bergeron, Rousseau& Leclerc, 2011). L’éducation inclusive propose d’offrir un espace commun à tous et de dispenser les services nécessaires pour compenser les faiblesses de certains apprenants (Mainardi, 2014). Cette nouvelle conception crée passablement de résistance chez les enseignants du secteur régulier qui doivent désormais composer avec un nombre important d’élèves à besoins particuliers en classe ordinaire. La mise en place de nouvelles pratiques et la prise en compte du caractère unique de chaque apprenant sont identifiées comme des défis à relever par les enseignants du secondaire (Prud’homme, Ramel & Vienneau, 2011).

Selon les travaux de Legendre et David (2012), deux grands courants épistémologiques dominent le champ de la professionnalisation des enseignants. Le premier vise à former des praticiens capables d’appliquer les techniques pédagogiques préconisées par les recherches empiriques (Gauthier, Bissonnette & Richard, 2007). Le deuxième, davantage socioconstructiviste, considère les praticiens comme des acteurs réflexifs, aptes à juger et à prendre des décisions adaptées à la diversité des situations professionnelles auxquelles ils sont confrontés (Schön, 1983). Dans cette perspective, les enseignants doivent analyser le contexte de leur enseignement et de réguler leurs actions afin de faire face à la complexité des situations d’enseignement en classe, améliorer leur efficacité et surtout se développer professionnellement tout au long de leur carrière (Paquay, 2012). Ainsi, selon les courants épistémologiques qui guident leurs interventions, les institutions d’enseignement sont encouragées à mettre en place des dispositifs de développement professionnel qui favorise la réussite scolaire des élèves (OCDE, 2003). La création de communautés d’apprentissage en milieu de travail, l’élaboration de démarches d’accompagnement et la valorisation d’un leadership pédagogique partagé par les différents acteurs apparaissent comme les voies à explorer pour s’adapter aux besoins diversifiés des élèves mais aussi du personnel qui oeuvre au quotidien auprès de ces derniers (Lafortune, 2008 ; Paquay, 2012).

Dans cet article, nous présentons un dispositif d’accompagnement élaboré pour accompagner des enseignants d’une école secondaire située en Montérégie dans le développement de pratiques d’enseignement adaptées aux caractéristiques des élèves qui composent la classe ordinaire. Avant d’y arriver, nous développerons sur l’intérêt d’encourager le développement professionnel chez les enseignants et les avantages de créer des communautés pour soutenir l’apprentissage continu de ces derniers. Nous verrons les différentes acceptions du terme de communauté et ce qu’elles impliquent comme transformation de la part des acteurs scolaires.

1. Enjeux du développement professionnel

Dans la perspective où les enseignants doivent s’adapter à la diversité des profils d’apprenants désormais intégrés en classe régulière, la réflexion dans et sur l’action s’avère une composante essentielle du développement professionnel des enseignants (Wittorski, 2008). En référence à Donnay et Charlier (2008, p.13), le développement professionnel est

un processus dynamique et récurrent, intentionnel ou non, par lequel, dans ses interactions avec l’altérité, et dans les conditions qui le permettent, une personne développe ses compétences et ses attitudes inscrites dans des valeurs éducatives et une éthique professionnelle et par là enrichit et transforme son identité professionnelle

Selon ces mêmes auteurs, le développement professionnel conjugue plusieurs facettes liées à la profession et à la personne en constante interaction. La professionnalisation des enseignants s’avère un processus d’acquisition de savoirs et de compétences professionnelles en situation réelle et de construction d’une identité (Paquay, 2012). Selon Butler (2005), l’accompagnement vise à assister les enseignants dans la construction de connaissances théoriques qui permettront ultérieurement de faire des liens avec la pratique authentique en salle de classe. Afin de susciter l’engagement des professionnels dans un processus d’innovation plusieurs auteurs recommandent de rechercher l’équilibre entre les besoins individuels et collectifs des participants (Carton, 2011). La mise en place de dispositif collaboratif est un moyen reconnu pour convoquer les acteurs du milieu scolaire autour d’une réflexion commune (Ainscow & Miles, 2008).

1.1 Dimension communautaire du développement professionnel

En effet, plusieurs auteurs s’entendent pour dire que les changements en milieu scolaire sont tributaires de la dimension communautaire donnée au projet de changement. Leclerc et Labelle (2013, p.5) recensent trois grands types de communautés. Dans un premier temps, l’auteure relève le concept de communauté de pratique qui vise à réduire l’isolement des praticiens afin de faire face à de nouveaux défis (Wenger, 1998). Elle est définie comme un groupe de personnes ayant en commun une pratique professionnelle qui se rencontrent pour échanger, partager et apprendre les uns des autres, dans le but de répondre à des questionnements, relever de nouveaux défis, identifier ou des meilleures pratiques » (Bourhis & Tremblay, 2004). La force des interactions entre les membres favorise l’acquisition de nouvelles connaissances tout en construisant un sens commun et un sentiment d’appartenance (Leclerc et al., 2013).

Par la suite, vient le concept de communauté d’apprentissage définit par Dionne, Lemyre et Savoie-Zajc (2010, p.25) comme un lieu de partage et de soutien entre enseignants permettant la construction de savoirs individuels et collectifs, l’ajustement des pratiques et la recherche de sens. Au sein de la communauté, les praticiens apprivoisent un savoir savant ou participent à son élaboration, tout en contribuant à l’édification d’une vision partagée dans l’école. Selon Akkari (2006), ce type de regroupement serait davantage formel que le précédent en vertu de son dispositif plus structuré.

Le dernier type de communauté est celui de la communauté d’apprentissage professionnelle qui se distingue des deux autres en mettant l’accent sur l’apprentissage et la réussite des élèves (DuFour, 2011 ; Leclerc et al., 2013). Ainsi, les membres de l’équipe-école se rencontrent pour discuter des situations problèmes relatives à la réussite de leurs élèves, ils mettent en place une démarche d’enquête collaborative ancrée dans une culture de recherche basée sur des références théoriques qui les aideront à trouver les pratiques les plus efficaces pour faire progresser les apprenants en salle de classe.

Le renouveau pédagogique instauré depuis plus de dix ans au secondaire propose une approche centrée sur l’apprenant. Selon Thomazet (2008), cette nouvelle conception invite l’école ordinaire à pratiquer une pédagogie différenciée et à l’appliquer à l’ensemble des élèves. Agir selon les principes de l’éducation inclusive suppose que les enseignants délaissent des pratiques d’enseignement souvent rigides pour adopter des stratégies d’enseignement-apprentissage plus dynamiques et plus actives dans le but de répondre aux besoins diversifiés de leurs élèves (Govinda, 2009). Développer une base de connaissances liées à l’agir professionnel, une aptitude à agir en situation complexe, une capacité à rendre compte de ses savoirs et de ses actes, une autonomie et une responsabilité personnelle dans l’exercice de ses compétences serait tributaire d’une professionnalisation réussie (Altet, 2010). Ajoutons à cela, l’adhésion à des normes collectives qui permet aux enseignants de valoriser et de justifier l’appartenance à la communauté dont ils font partie (Ibid., 2010).

Or, si plusieurs recherches ont porté sur les pratiques efficaces auprès des élèves en difficulté ou sur des projets novateurs qui favorisent la persévérance et l’engagement scolaire, peu d’entre elles décrivent l’accompagnement nécessaire dans la mise en place d’un dispositif ayant pour visée le changement de pratiques des enseignants en exercice.

2. Cadre conceptuel

2.1 Interrelation et développement professionnel

Selon Sergiovanni et Starratt (2007), l’idée générale consiste à faire de l’école un environnement humain et stimulant sur le plan social et au plan de la réussite scolaire. Ainsi, dans l’esprit où ce serait dans l’interaction sociale qu’une signification se construit (Vause, 2010), la notion de zone évoquée par Bresler (2004), permet de considérer la démarche de changement amorcée par le personnel scolaire comme une action en construction qui renvoie à des lieux instables caractérisés par l’activité et la rencontre des forces inattendues. Prise sous l’angle symbolique (Ricoeur, 1975 ; Charbonnel, 1991 ; Dionne, 2003), la notion de zone fait découvrir divers processus dynamiques tels que l’échange, la transaction, la transformation et l’intensité. Elle favorise pour chaque participant l’interprétation, la fabrication et le croisement de sens. Elle suggère des démarches participatives authentiques, des liens de collaboration entre pairs, des stratégies de différenciation et diverses approches de résolutions de problèmes (du balbutiement préliminaire à l’expression d’expert).

Selon Bresler (2004), la parcellisation des savoirs telle que préconisée par les disciplines scientifiques ne permet pas de rendre compte de la complexité de l’action éducative. Pour cette dernière, le manque de communication conduirait à l’isolement entre les disciplines et aussi à l’isolement professionnel des enseignants. Tel que souligné précédemment, le cadre offert par la notion de communauté est reconnu pour stimuler les interactions entre les membres et encourager le partage des préoccupations, défis, modèles, outils, meilleures pratiques et découvertes (Bourhis & Tremblay, 2004 ; Wenger, 1998). Il encourage l’acquisition de nouvelles connaissances et le développement d’un sentiment d’appartenance dans le but qu’il y ait des retombées sur l’apprentissage et sur la réussite des élèves (Leclerc, 2012).

Dans la perspective où notre dispositif s’adresse à des enseignants de différentes disciplines scolaire qui souhaitent développer un ensemble de stratégies communes pour appréhender l’écrit scolaire, nous nous sommes intéressée au concept de transdisciplinarité tel que présenté par Bresler (2004). Cette auteure, inspirée des théories vygotskiennes sur la pensée en éducation (Vygostki, 1985) et des concepts de communautés de pratique qui s’y rattachent (Lave & Wenger, 1991 ; Wenger, 1998), propose le concept de transdisciplinarité comme un espace permettant de débattre de visions et d’interprétations diverses dans le but de faire naître un projet commun : un projet porteur de sens (Boutinet, 2005) constituant une zone à l’intérieur de laquelle le dialogue et l’arrimage des pratiques professionnelles se doivent d’être vécus comme un processus ouvert permettant de générer le développement professionnel et des relations significatives entre les différents acteurs.

2.2 Dimensions structurantes du dispositif

Bresler (2004) nomme la zone de transformation des pratiques (ZTP) l’espace de négociation ayant pour but d’articuler une représentation cohérente en trois dimensions du métier d’enseignant soit la question du sens conféré aux pratiques, des principes orienteurs et des critères d’application ou d’action.

2.2.1 Le sens conféré aux pratiques

Pour Thomazet (2008), la gestion positive des singularités propres à chaque élève par l’enseignant demande un changement paradigmatique auquel il n’a pas été préparé. Le caractère réellement inclusif d’une école dépend de la capacité de ses enseignants à mettre en place une différenciation pédagogique et à se montrer innovants. Pour y arriver, un travail sur la différence sera nécessaire afin de permettre aux enseignants de dépasser leur peur de l’altérité (Hamel, 2005) et ainsi éliminer une cause importante de l’absence d’avancée de l’intégration (Armstrong, 2004).

L’organisation d’espaces d’apprentissage, d’échange et de partage permettrait la circulation des savoirs au sein d’une équipe pédagogique (Novoa, 2004). Dans un tel contexte, chaque membre de la communauté participe à la déconstruction et la reconstruction de ses savoirs individuels pour s’inscrire dans une perspective collective de construction de nouveaux savoirs (Bourassa, Philion & Chevalier, 2007). Des sujets de discussion portant sur les caractéristiques des élèves en difficulté, les besoins perçus par les enseignants chez leurs élèves, les implications d’une pédagogie inclusive et différenciée sont au nombre des représentations qui peuvent avoir un impact sur les pratiques à valoriser au sein de l’équipe-école. Comme le mentionnent Portelance et Durant (2006), réfléchir sur les pratiques pédagogiques, les stratégies d’enseignement, la résolution de situations problématiques, l’expérimentation de méthodes en classe ainsi que leurs effets possibles sur l’apprentissage des élèves répond tout autant aux besoins du novice qu’à ceux de l’enseignant plus expérimenté.

Dans la mesure où la transition entre l’analyse de construits personnels et l’analyse de construits de groupe amène les enseignants à s’interroger sur la pertinence et la viabilité du sens dégagé, la notion de zone évoquée par Bresler (2004) permet de une zone proximale de recherche-ensemble au sein de laquelle tous les partenaires travaillent véritablement à co-construire un sens intégré et à décider des actions qui en découlent (Bourassa et al., 2007). Le défi des enseignants est de pouvoir adapter leurs pratiques professionnelles en fonction du sens suggéré par l’éducation inclusive soit celui de répondre aux besoins éducatifs particuliers dans le fonctionnement ordinaire de l’établissement scolaire (Thomazet, 2008).

2.2.2 Principes orienteurs

Vienneau (2002) souligne l’importance de certains principes orienteurs dans la mise en place d’une école inclusive. Selon ce dernier, de nombreux défis doivent être relevés par les enseignants concernant autant les attitudes, les ressources que les savoir-faire. Or, si certains auteurs identifient la formation continue comme une façon de réfléchir sur leurs pratiques, il appert selon d’autres chercheurs, que les enseignants se sentent insuffisamment préparés pour mener à bien un dialogue constructif avec leurs partenaires (Brodeur, Daudelin et Bru, 2005). Dans cette perspective, pour chaque participant, la notion de zone trouve son intérêt pour bien repérer les besoins des enseignants débutants ou experts. Comme le rappellent Pourtois et Desmet (2004), la compréhension des besoins émerge surtout des situations problèmes, des situations interactives et contribue à construire les liens interpersonnels et l’identité propre de chaque participant. À cet égard, Desgagné (2005) suggère que la réflexion engendrée par le projet commun est une action au sens où elle permet d’acquérir de l’expérience. Dans cet ordre d’idées, nous référons à Lave et Wenger (1991) qui conçoivent l’acquisition des savoirs comme étant le résultat d’une « participation périphérique légitime » par laquelle l’enseignant novice effectue des allers-retours dans l’activité continue d’un groupe social. Cet accès à un groupe d’appartenance permet à l’apprenant de développer son identité professionnelle et de mieux comprendre l’activité dans laquelle il est engagé et le monde dans lequel il vit. Cette transformation s’opère par un processus complexe qui lie l’apprenant à son vécu. Pour Schön (1983), l’action se fait réflexion dans la mesure où elle est régie par un savoir dans l’action et un savoir sur l’action. Ainsi, dans la mesure où le projet permet aux acteurs impliqués de jongler avec la situation en installant un rapport de réciprocité entre leur action et leur réflexion sur la problématique identifiée, Bresler (2004) souligne l’apport des situations-problèmes à la production d’oeuvres de qualité, à la réalisation des actions et gestes pertinents d’enseignement-apprentissage.

Le travail en projet apparaît alors comme un cadre intégrateur permettant d’articuler principes et valeurs de la société ou de l’école. Selon plusieurs auteurs (Jellab, 2005 ; Legault et Laferrière, 2002 ; Rousseau et al., 2007 ; Santa, 2006), les projets apportent divers bénéfices qui, sous l’angle du développement personnel mais aussi sous l’angle des compétences spécifiques dans un milieu scolaire inclusif, permettront d’élaborer des structures cohérentes à partir de l’expérience vécue afin de guider les actions futures (Von Glasersfeld, 2004). Il convient maintenant de s’intéresser aux critères d’application nécessaires à la création d’une zone favorable à la transformation des pratiques professionnelles.

2.2.3 Critères d’application ou d’action

Le concept d’interdisciplinarité est un des impératifs introduits au coeur des enjeux de la réforme des programmes de formation des enseignants, tant au Québec qu’ailleurs dans le monde occidental (Lenoir, 2003). À l’instar de ces auteurs et tel que nous l’avons présenté précédemment dans la problématique, la critique portée au système scolaire actuel porte particulièrement sur la qualité de la formation à l’enseignement offerte, chargée d’une vision additive, cloisonnée et linéaire. Dans cette perspective, le concept de transdisciplinarité implique un accord préalable entre les membres de l’équipe, de même qu’un engagement de ceux-ci à travailler et à apprendre ensemble dans le but de mettre en place un plan de services unifié et complet (Pelletier, Tétreault & Vincent, 2005).

Le concept de zone de transformation des pratiques (ZTP) défini par Bresler (2004) engage les participants dont les pratiques sont axées sur un programme intégrant plusieurs disciplines à négocier ou à interagir en adaptant différentes perspectives. Il s’agit alors d’identifier des pratiques communes à toutes les disciplines qui permettent aux apprenants de créer du sens dans leurs apprentissages. Parmi les critères d’application, faire preuve d’initiative personnelle, de questionnement conduirait les enseignants à s’engager hors de leur zone de confort et ainsi déterminer, en partenariat, la pertinence d’avoir recours ou non à certaines pratiques d’enseignement (Bélanger & Berger, 2006). Un dispositif permettant de mettre à jour les représentations des enseignants, de préciser leurs besoins et de les guider vers des pratiques qui répondent aux aspirations pédagogiques qu’ils se sont donnés serait une voie favorable pour structurer le changement souhaité. Nous avons nommé cercles d’apprentissage et d’inclusion le dispositif élaboré à l’intention des enseignants participants à notre projet de recherche doctorale.

2.3 Cadre intégrateur des cercles d’apprentissage et d’inclusion

Le cadre conceptuel fournit par Bresler (2004) nous a permis de créer pour les enseignants un lieu d’échange les encourageant à mettre en commun les problématiques vécues depuis l’intégration massive d’élèves en difficulté ou HDAA dans les classes ordinaires au secondaire. À l’instar de Ramel et Longtchamp (2009) qui suggèrent de fournir un soutien continu aux professionnels qui s’investissent dans une démarche de changement, un accompagnement à deux volets leur a été proposé.

Dans un premier temps, des moments de formation en grand groupe ont été offerts afin de favoriser l’acquisition de connaissances à partir des savoirs et des expériences des participants. Lors de ces formations, les enseignants ont eu l’occasion de s’exprimer sur les problèmes vécus en salle de classe et de se questionner sur les améliorations à apportées. La zone de transformation des pratiques a favorisé les échanges qui ont été guidées par les formateurs[1]. Ainsi, les enseignants ont pu prendre conscience de leurs croyances, de leurs perceptions et de leurs attitudes face aux élèves en difficulté intégrés dans leurs classes. Ces dernières ont été mises en perspective grâce aux données de la recherche, aux définitions théoriques proposées par différents auteurs et aux visées des programmes de formation. L’objectif de ces moments de formation était de chercher ensemble comment prendre en compte les besoins des élèves, plus précisément en ce qui a trait à l’écrit, et de favoriser la réussite éducative et scolaire en salle de classe.

Dans un deuxième temps, afin de soutenir les enseignants dans cette démarche d’appropriation, un soutien individualisé a permis de construire du sens autour des connaissances acquises en grand groupe. Ainsi, l’aide apportée par des enseignants-ressources (ER)[2] s’est traduit par de l’accompagnement didactique[3], un soutien direct en salle de classe et des discussions avec l’enseignant dans le but de respecter l’intention pédagogique fixée au départ.

Enfin, cette démarche s’est inscrite dans un mouvement circulaire d’interdépendance dans laquelle une réflexion individuelle et collective s’est amorcée en fonction des effets perçus par les enseignants sur les apprentissages des élèves. Tout au long de la démarche de recherche, le cadre intégrateur pour la transformation des pratiques des enseignants a servi à orienter les actions pédagogiques en fonction des nouvelles stratégies utilisées et des nouvelles méthodes d’enseignement afin rencontrer les visées de l’inclusion scolaire.

Figure 1

Inclusion scolaire

Inclusion scolaire

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Dans cette perspective, notre question de recherche visait à identifier : quels sont les effets de la participation des enseignants aux cercles d’apprentissage et d’inclusion sur la transformation de leurs pratiques professionnelles à l’égard des élèves en difficulté intégrés en classe ordinaire au secondaire ?

Le dispositif présenté ci-dessus a servi de zone d’échange au sein de laquelle se sont tenus des groupes de réflexion en partenariat qui ont permis à la fois de documenter l’expérience vécue et de procéder à l’analyse des données. Dans la partie qui suit, le contexte dans lequel s’est déroulée notre recherche sera décrit et les méthodes de collectes de données utilisées seront explicitées puis mises en relation avec le cadre conceptuel de Bresler présenté précédemment.

3. Métodologie

Le projet de recherche-action que nous présentons s’est déroulé entre 2008 et 2011 dans une école secondaire située en milieu rural dans une commission scolaire de la Montérégie au Québec. Cette recherche avait pour objectif de répondre à un appel du personnel de l’école. À cette époque, les enseignants et la direction de l’établissement étaient confrontés à un nombre important d’échecs scolaires (estimés à environ 48 %) dans la discipline du français au terme du premier cycle du secondaire. Quelques enseignants sensibilisés à l’enseignement stratégique de la lecture se sont montrés intéressés à explorer davantage les effets d’un changement de pratiques à l’égard des élèves en difficulté, intégrés dans leur classe, afin de favoriser le développement de leurs apprentissages. Un souci particulier était de dégager des stratégies communes à toutes les disciplines scolaires et ce, d’un cours à l’autre et d’un niveau à l’autre pour le premier cycle du secondaire.

Selon Prud’homme, Dolbec et Guay (2011, p.175), la démarche de recherche-action comporte un caractère itératif qui se décline en différentes étapes soit « 1) définir plus précisément une situation problème en fonction 2) d’une situation désirée et recherchée par les protagonistes. Ce travail soutient 3) la planification de différentes actions, 4) le passage à l’action et 5) l’évaluation de ces expérimentations ».

Dans notre dispositif, les moments de formation permettent de questionner les enseignants et de faire le point sur le sens qu’ils donnent à leurs pratiques, sur les principes qui guident leurs choix et les critères auxquels ils se réfèrent pour agir. Les groupes de réflexion agissent comme catalyseur et encourage les échanges entre les participants afin qu’ils dégagent les facilitateurs, les obstacles et les pistes de solutions au terme de l’expérience vécue.

3.1 Échantillonnage et caractéristiques des participants

Notre recherche s’est déroulée dans une école secondaire de la Montérégie située en milieu rural et socioéconomique faible composée d’environ 650 élèves. Au total, neuf (9) enseignants du premier cycle ont manifesté un intérêt à participer au projet. La grande majorité comptait une dizaine d’années d’expérience dans le milieu scolaire. Les disciplines du français langue maternelle, de l’univers social, de l’anglais langue seconde, des sciences et des mathématiques étaient représentées. Tous souhaitaient travailler sur leurs pratiques professionnelles afin de dégager des pratiques communes d’enseignement qui seraient bénéfiques aux élèves en difficulté d’apprentissage intégrés dans leur classe. Bien entendu, les règles d’éthique en vigueur ont été respectées tout au long de la démarche.

3.2 Outils de collecte, de traitement et d’analyse de données

La démarche réflexive en partenariat (DRAP), soutenue par un logiciel du même nom, a permis de recueillir et d’analyser les énoncés provenant des groupes de réflexion composés d’enseignants du secondaire. Le logiciel QDA Miner a servi à analyser les verbatims des entrevues semi-dirigées réalisées en fin de parcours avec des enseignants ayant participé au projet.

3.2.1 Démarche réflexive en partenariat

Dans la présente recherche, le but était de recueillir des discussions centrées sur des situations particulières soit les pratiques professionnelles des enseignants. Un guide d’entretien semi-directif appelé pour les circonstances « Guide d’entretien DRAP » nous a permis d’orienter la collecte d’informations. Dans cette perspective, nous nous sommes inspirées du cadre conceptuel pour créer les différentes catégories du guide d’entretien. Ainsi : 1) l’expérience vécue ; 2) les outils, les instruments, la démarche et les approches pédagogiques utilisées ; 3) l’organisation du travail ; 4) le rôle des différents acteurs et 5) les apprentissages réalisés ont été les thèmes abordés. Tel que souligné précédemment, le logiciel DRAP permet une catégorisation des énoncés à la fois quantitative et qualitative. Ces deux modes d’analyses se sont avérés intéressants pour interpréter les énoncés des enseignants. En effet, en plus de nous donner accès aux obstacles et aux facilitateurs dans la transformation des pratiques des enseignants, les données quantitatives nous ont permis, grâce à l’écart-type, de suivre l’évolution de ces transformations. De plus, le logiciel permet le recoupement des différentes catégories de manières à mettre davantage en lumière les éléments qui rejoignent notamment les questions spécifiques de recherche soit les conditions favorables, les ressources nécessaire, les rôles joués par les enseignants et finalement, les effets perçus par ces derniers à la suite de leur participation aux CAI. D’un point de vue qualitatif, le logiciel favorise le regroupement d’énoncés autour des catégories identifiées préalablement : il devient alors aisé de procéder à l’analyse selon la grille élaborée à cet effet.

3.2.2 Le logiciel QDA Miner

Nous désirions voir si les changements rapportés durant les deux premières années du projet semblaient persister dans le temps. De plus, suite à l’analyse des énoncés recueillis à l’aide du logiciel DRAP, nous étions intéressés à approfondir certaines questions avec les participants.

Dans cette perspective, l’entrevue semi-dirigée comprise comme une interaction verbale animée de façon souple par le chercheur permet d’aborder, sur un mode qui ressemble à celui de la conversation, les thèmes généraux de la recherche pour une compréhension riche du phénomène (Savoie-Zajc dans Gauthier, 2006). Les données extraites des entrevues nous ont donc enrichi notre compréhension et ont pu être confrontées avec celles obtenues lors des groupes de réflexion. Cette démarche de triangulation des données visait à assurer la crédibilité de la recherche (Paillé et Mucchielli, 2005).

Au total, six entrevues ont été menées auprès d’enseignants ayant préalablement participé aux groupes de réflexion. Les données recueillies ont été analysées au moyen du logiciel QDA Miner (Lewis et Maas, 2007). Ainsi, une fois les verbatims retranscrits, les énoncés ont été séparés en segments. Chaque segment a été codé selon les catégories établies. QDA Miner offre la possibilité d’analyser les données selon trois modes, soit la fréquence des codes attribués aux segments, leur co-occurrence et le croisement entre les variables. Des analyses de contenu ont permis d’en faire ressortir toute la richesse et d’établir des liens de complémentarité avec les données recueillies à l’aide du logiciel DRAP.

3.2.3 Journal de bord

Selon Karsenti et Savoie-Zajc (2004, p.203), le journal de bord est un instrument qui soutien l’observation et la réflexion au cours de la recherche. Il permet de dégager le cheminement effectué entre le début et la fin de la recherche ; il sert d’instrument de validation. À l’instar de Jodelet (2003), nous avons utilisé nos notes d’enseignants chercheurs pour appuyer, nuancer et enrichir les données recueillies au cours de l’étude à la suite des analyses réalisées au moyen des logiciels DRAP et QDA Miner.

3.3 L’analyse de l’expérience vécue

Comme le mentionne Savoie-Zajc (2006), la valeur d’une recherche qualitative repose en grande partie sur la capacité du chercheur à créer du sens à partir des données. Le fait d’extraire ce sens permet d’aller au-delà de ce que les données brutes disent a priori (Denzin et Lincoln, 2005). Dans la présente recherche, nous avons choisi d’utiliser l’analyse de contenu parce qu’elle offrait un cadre d’analyse qui nous permettait d’interpréter les données recueillies lors des groupes de réflexion et des entrevues semi-dirigées de manière à en faire émerger le sens. En effet, nous disposions de plusieurs énoncés issus des groupes de réflexion qui ont été catégorisés à partir du cadre conceptuel élaboré et des questions de recherche auxquelles nous voulions répondre. Cependant, les données catégorisées ne permettent pas de rendre compte de toute la complexité de la réalité appréhendée, à savoir l’analyse des effets de la participation des enseignants aux CAI sur la transformation de leurs pratiques professionnelles. C’est pourquoi, afin d’éviter « le piège de la technicisation » (Paillé et Mucchielli, 2005) en restant trop collée aux données brutes, nous avons eu recours à l’analyse de contenu réputée comme étant : « une méthodologie, s’appuyant sur une technique ou un ensemble de techniques, complémentaires ou indépendantes, qui consiste à simplifier, expliciter, systématiser et par conséquent décrire et interpréter une communication ou un ensemble de communications » (Bardin, 2003, p.245). Selon cet auteur, cette méthodologie a pour but de mettre à jour une réalité riche de savoir du point de vue de la discipline à laquelle appartient le praticien. Pour y arriver, le chercheur doit faire preuve à la fois de créativité (faire venir à soi les intuitions) et de rigueur (pour opérationnaliser les intuitions). Or, comme le sens de l’action n’apparaît, la plupart du temps, qu’« après coup », le recours à l’analyse catégorielle permet de structurer les données en fonction de la réalité étudiée qui serviront à l’interprétation finale (Thomas, 2006).

Tableau 1

Exemple de grille catégorielle utilisée pour analyser les énoncés produits par les enseignants

Exemple de grille catégorielle utilisée pour analyser les énoncés produits par les enseignants

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4. Résultats 

Pour rappel, nous voulions connaître les effets de la participation des enseignants au dispositif des cercles d’apprentissage et d’inclusion sur la transformation de leurs pratiques professionnelles à l’égard des élèves en difficulté intégrés en classe ordinaire au secondaire. Les résultats présentés montrent la pertinence de convoquer les enseignants autour d’un projet commun agissant ici comme espace de négociation du sens conféré aux pratiques en constante évolution vers une finalité établie par les participants.

4.1 Les cercles d’apprentissage et d’inclusion (CAI) et leur impact sur la professionnalisation

Les résultats obtenus au terme de ce projet de recherche-action montrent qu’un dispositif comme celui des cercles d’apprentissage et d’inclusion peut offrir un cadre structurant aux enseignants qui souhaitent travailler à la transformation de leurs pratiques professionnelles. Pour les besoins de cet article, les résultats présentés sont regroupés en fonction des effets perçus sur la professionnalisation des enseignants.

4.1.1 Entre rôles à risque et rôles fonctionnels

S’engager dans la profession, partager sa passion, devenir un modèle pour l’élève, compteraient parmi les attitudes à mettre de l’avant pour favoriser la participation active de l’élève dans ses apprentissages et le développement de son autonomie (Santa, 2006). Un des enseignants interrogés témoigne à ce propos : « Si tu n’es pas débrouillard comme enseignant, si tu n’es pas passionné de pédagogie et de ta matière, tu restes un prof ordinaire ». Dans cet esprit, les enseignants dégagent quelques conseils sur les éléments importants à considérer avant toute chose : « Il faut mettre l’emphase sur les besoins des élèves ». En ce sens, il apparaît important de « faire preuve de flexibilité et d’ouverture aux commentaires des élèves ». Dans la perspective selon laquelle ces enseignants devaient travailler à développer des pratiques favorables aux apprentissages des élèves en difficulté, ils soulignent certains aspects liés à la tâche : « Il faut travailler avec eux, modéliser » ; « Il faut avoir une tâche claire, qui est adaptée, qui est différenciée. Il faut fournir des outils et les adapter aux élèves en difficulté ». En fait ce serait le rôle de l’enseignant de « se préparer pour aller en classe, d’être ouvert d’esprit et être prêt à se faire critiquer ». Comme éducateur, il doit savoir « varier les stratégies d’enseignement pour que l’enseignement soit le plus complet possible ». Finalement, il apparaît clair pour ces enseignants que leur rôle a changé : « Je suis davantage là pour guider les élèves que pour prendre toute la place ».

Les formations en grand groupe et l’accompagnement individualisé ont permis de donner de l’information sur la façon d’organiser une séquence didactique qui prenne en compte les besoins divers des apprenants. Selon les enseignants, il apparaît nécessaire de prendre le temps de cibler le matériel utilisé pour travailler l’écrit, et ce dans toutes les matières. Ils témoignent des gestes à poser pour qu’un apprentissage signifiant survienne : « Travailler des textes, bien les choisir, parfois les modifier, essayer de le surligner et de l’annoter soi-même et voir quelles sont les difficultés avant de le faire faire aux élèves ». Toutefois, les enseignants soulignent l’importance de s’arrimer entre eux. À cet égard, des différences importantes ont été observées entre les enseignants participants au projet et ceux qui ne se sont pas impliqués : « Quand les enseignants n’enseignent pas les stratégies de la même façon, ça mélange les élèves ». Ils soulignent d’ailleurs l’importance de s’investir à fond dans la démarche proposée pour plus de résultats : « Travailler les stratégies souvent et dans plusieurs situations permet aux élèves de se les approprier ». Malheureusement : « le fait que certains enseignants ne veuillent pas appliquer ces nouvelles pratiques nuit aux résultats des élèves ». Cette conduite est interprétée comme de la résistance au changement. En plus d’être un frein pour la personne elle-même, elle a un impact sur ses élèves et sur l’efficacité des efforts déployés par ses collègues. Dans cette perspective, il convient de cultiver chez les enseignants leur capacité à collaborer avec leurs collègues.

4.1.2 Contribution au fonctionnement d’une équipe-école en contexte de transformation

Le dispositif des CAI avait pour but de réunir les enseignants autour d’un projet commun soit celui de travailler à la transformation de leurs pratiques professionnelles. La métaphore du cercle visait à créer des lieux de discussion, de partage de l’expérience et de questionnement sur la pratique enseignante. Pour arriver à travailler au développement de la participation des différents acteurs du milieu scolaire et à la prise en charge de leur autonomie, il était souhaitable que s’établisse une alliance de travail entre collègues, et avec leurs élèves. Tel que souligné par les enseignants : « Avoir une vision commune au niveau de l’équipe-école (direction, enseignants, enseignants-ressources, orthopédagogues) est une condition importante pour travailler à la transformation de ses pratiques ». Dans ce projet de recherche, la collaboration semble s’être organisée autour de l’objectif de départ soit de pouvoir mieux intervenir auprès des élèves en difficulté intégrés en classe régulière. Cet objectif est repris clairement par les enseignants : « Le but de collaborer c’est de faire réussir les élèves ».

Tout au long de la démarche, les enseignants ont démontré un réel intérêt à se donner un référentiel commun : stratégies de lecture ; d’écriture ; méthodes de travail et d’organisation qui peuvent s’appliquer à toutes les matières. Pour eux, « avoir de bonnes bases pédagogiques, savoir ce que tu veux pour tes élèves, connaître différentes pratiques pédagogiques développe la capacité à identifier les besoins des élèves ». Ainsi, pour les enseignants qui ont pris part aux CAI, il appert que « participer à des formations qui permettent de produire des choses pour pouvoir en discuter, favoriser la mise en commun ».

Selon les entrevues réalisées auprès des participants, l’importance de se laisser déstabiliser serait une attitude capitale pour la transformation des pratiques. Ainsi, le contact avec les autres enseignants les a forcés à : « manifester une attitude d’ouverture, à changer ses façons de faire, modifier ses approches, mettre son ego de côté ». Les enseignants ont tissé des liens d’interdépendance avec les autres qui se sont manifestés par la coopération, l’engagement, le sentiment d’appartenance et le dépassement de soi : « J’ai besoin que l’on parle de pédagogie : que l’on se demande pourquoi on est là ? Quel rôle on a joué ? »; « J’avais envie de faire partie d’un projet dans mon école ». Cela implique toutefois certains « défis personnels », entre autres celui de devoir s’investir : « Il y a beaucoup d’efforts et d’énergie à fournir pour travailler en projet mais après un certain temps, ça finit toujours par débloquer ». Tout au long de la recherche, les enseignants participants ont mentionné les efforts qu’ils ont dû faire pour planifier des activités d’apprentissage signifiantes, pour les réaliser, pour adapter leurs méthodes pédagogiques. Bien qu’ils aient bénéficié du soutien d’enseignants-ressources, ils soulignent l’importance que revêt le fait d’« avoir la latitude pour adapter ce qui nous est proposé ». L’autonomie professionnelle est un facteur-clé de la profession enseignante et les participants aux CAI semblent avoir eu l’impression que cet aspect avait été respecté.

4.1.3 Optimisation des ressources disponibles en contexte scolaire

Les CAI ont permis de développer un système d’enseignement-ressource (ER) particulier à l’école dans laquelle nous sommes intervenue. Les résultats montrent que les enseignants ont apprécié le soutien dispensé grâce à cette ressource : « Ce qui m’a amené à changer des choses dans mon enseignement ce sont les discussions avec l’enseignante-chercheure et ce qu’elle m’a fait vivre en classe ; « L’eR me donne le coup de pied au derrière pour le faire, c’est un soutien, c’est dynamique, c’est rafraîchissant ». « L’eR alimente le prof ; il doit être un modèle, avoir une pédagogie novatrice ».

Tout au long du projet, le service d’enseignement-ressource travaillait en étroite collaboration avec les deux orthopédagogues de l’école. À cet égard, les enseignants ont pu entrer en contact avec ces spécialistes avec lesquels ils entretiennent très peu de liens en temps habituel : « Ils peuvent nous aider, nous donner des trucs pour mieux intervenir ».

En outre, le fait de recevoir du soutien semble être indissociable de la transformation des pratiques professionnelles des enseignants qui ont participé aux CAI. Il demeure toutefois que le soutien, s’il n’est pas intégré à une visée particulière, ne donnera pas les résultats escomptés. À cet égard, les enseignants témoignent de manière positive des résultats qu’ils ont obtenus en salle de classe.

4.1.4 Impact sur la réussite des élèves

Lorsque les enseignants ont demandé de l’aide pour pouvoir mieux intervenir auprès de leurs élèves en difficulté, ils faisaient face à un taux d’échec plutôt important. Or, à la suite de leur implication dans le projet des CAI, les enseignants considèrent la réussite de leurs élèves de manière plus générale qu’au départ. En effet, ils apparaissent davantage intéressés par le climat qui s’est instauré en classe, par les liens qu’ils ont tissés avec leurs collègues et avec leurs élèves ou encore par la réflexion qu’ils ont dû faire tant par rapport à leurs pratiques professionnelles même si le rendement académique de leurs élèves semble faire foi de leur réussite : « Le travail en atelier a très bien fonctionné pour ce groupe d’élèves. On l’a vu par les résultats qui ont été beaucoup meilleurs que ce qu’ils étaient avant. C’était très frappant ». Un autre enseignant souligne : « Je voulais aider les élèves en difficulté et le projet a très bien répondu à cette attente ».

La multiplicité des opportunités semble avoir créé le besoin de concertation mais aussi de collégialité entre les enseignants : « Le projet a amené un climat centré sur la pédagogie, un climat où les gens se sentaient bien, où c’était dynamique et agréable de travailler » ; « Le travail en projet amène aussi beaucoup d’entraide, de travail d’équipe entre les enseignants ». Les enseignants soulignent d’ailleurs qu’ils ont perçus des effets positifs chez leurs élèves : « Le fait de travailler en projet amène une unité dans le groupe » ; « C’était très bon pour la motivation et pour la participation ; « C’était surtout bon pour les garçons, ils aiment quand c’est interactif ». Le fait de promouvoir l’autonomie, et d’offrir un soutien constant aurait permis aux élèves de se sentir en confiance et davantage en contrôle de leurs apprentissages. À ce sujet, un enseignant rapporte : « Mes élèves sont devenus fiers et heureux ». Ainsi, parce qu’ils travaillaient en projet, les enseignants ont eu tendance à laisser davantage de place aux élèves, à les écouter et à s’adapter à leurs besoins. Les enseignants rapportent que le cadre structurant du travail en projet leur a permis d’intervenir de manière souple et ciblée sur les apprentissages à réaliser par leurs élèves. Un des enseignants souligne d’ailleurs : « Ce qu’ils m’ont donné avec ça, ils n’auraient pas pu me le donner autrement ».

5. Discussion

Dans une perspective de professionnalisation qui vise la transformation de l’agir professionnel des enseignants, la formation continue est un élément identifié par plusieurs auteurs comme favorable au questionnement et à l’identification de pistes de solutions viables pour les acteurs impliqués (Bresler, 2004 ; MacKay, 2006). De nombreux écrits mentionnent aussi les effets positifs engendrés par la collaboration autour d’un projet commun. En l’occurrence, les échanges sur les habitudes de travail développeraient les compétences à gérer le quotidien et à susciter de nouvelles pratiques possibles (Gaudreau et al., 2008). Dans cette perspective, le cadre de la formation doit tenir compte de deux grands objectifs, soit de répondre aux besoins individuels des enseignants et de susciter une mise en commun qui permette de faire converger les forces vives vers un même but. Selon Ainscow et Miles (2008), une formation qui échapperait à cette visée pourrait conduire à renforcer les pratiques existantes au détriment de nouvelles façons de faire.

Or, afin de susciter la réflexion, nous avons choisi d’instaurer des zones de discussion sur la mise à l’essai concrète des pratiques et des stratégies étudiées lors des formations. À cet égard, les enseignants rapportent qu’ils ont réalisé l’importance de certains gestes pédagogiques nécessaires à la conduite des activités d’enseignement-apprentissage réalisés en classe. Ils soulignent notamment l’importance de planifier leurs activités, de bien identifier le continuum des apprentissages visés et des compétences à développer, de prévoir les problèmes qui risquent d’être vécus par leurs élèves et de planifier des adaptations possibles. En ce sens, nous pourrions dire que la participation aux CAI a permis aux enseignants d’accéder à un niveau d’adaptation qui soit plus spécifique aux besoins de leurs élèves, parce qu’ils ont pu échanger avec leurs collègues et se décentrer par rapport à leur propre vécu : « Le travail d’équipe a permis la complicité entre les enseignants ; on échange sur nos stratégies, sur nos intentions » ; « Voir d’autres façons de faire, ça décloisonne l’enseignement ». Ce constat corrobore ce que Portelance et Durant (2006) mentionnent lorsqu’elles évoquent la nécessité de déconstruire les savoirs individuels pour permettre la reconstruction de savoirs issus de la négociation collective.

De plus, la mise en place de formations axées sur les besoins des enseignants nous a permis de constater que le travail en communauté constitue un excellent moyen de produire du savoir sur ses agirs professionnels (Prud’homme, Dolbec, Brodeur, Presseau & Martineau, 2005 ; Roth, 2008). Ce savoir semble avoir permis aux enseignants de créer des alliances, de se fixer des buts communs et en cela, de se considérer davantage comme des acteurs ayant un rôle à jouer dans la réussite de leurs élèves (MacKay, 2006). Nos résultats témoignent de la fierté des participants à appliquer tous ensemble les stratégies qu’ils se sont nouvellement appropriées. Plus encore, ils sont fiers des résultats qu’ils obtiennent chez leurs élèves et aimeraient que d’autres fassent comme eux : « que tout le monde embarque ». À cet égard, nous sommes d’avis, à l’instar de Le Boterf (2004), que le passage des croyances générales vers les performances de l’expert, les expériences de l’essai et de l’erreur, le processus d’adoption de nouvelles pratiques, le changement d’attitude quant à l’exercice de leur métier sont au nombre des sources d’appréhension qui suscitent la résistance chez plusieurs enseignants. Ainsi, les énoncés répertoriés traduisent bien le souhait des participants qu’une ouverture se crée chez l’ensemble des enseignants de l’école, qu’une collaboration accrue se mette en place. S’ils souhaitent ce rapprochement, c’est avant tout parce qu’ils croient désormais que la cohésion au sein d’une équipe-école peut favoriser la réussite des élèves : « Les plus faibles ont augmenté leur rendement ». Ce constat corrobore les propos de Van Tassel-Baska et al. (2008) selon lesquels les enseignants sont davantage disposés à modifier leur enseignement s’ils remarquent un changement dans les apprentissages et les résultats de leurs élèves. C’est pourquoi, à l’instar de Crahay (2002), nous soutenons que l’expérimentation constitue une condition nécessaire à la transformation des pratiques. Selon ce dernier, une étape importante est franchie lorsque l’homme de terrain se décide à essayer (Crahay, 2002, p.132).

Conclusion

L’originalité de cette recherche réside autour des espaces de formation et de discussions créés pour les enseignants. Un tel dispositif permet de comprendre à quel point les enseignants en exercice tout comme les enseignants qui débutent ont besoin de soutien. Les zones d’échanges didactiques ont stimulé le travail d’une équipe-école autour d’un projet commun et orienter les prises de décisions. En ce sens, le dispositif des CAI a contribué à développer l’identité professionnelle des enseignants participants. À partir de leur expérience singulière, ils ont réussi à se forger une identité collective poursuivant une finalité empreinte des valeurs inclusives préconisées par les programmes et désormais favorables à la réussite de leurs élèves.